GORIS: "J'ai perdu ce que j'avais de plus précieux: mon pays". Fuyant la prise de contrôle inéluctable du Nagorny Karabakh par l'armée azerbaïdjanaise, des milliers d'habitants ont pris la route de l'Arménie, où l'accueil se met en place.
Devant le théâtre de Goris, dans la région arménienne de Syunik, des minibus blancs arrivent sans cesse, d'autres repartent, leurs maigres coffres chargés de bagages en direction d'Erevan et des grandes villes du pays.
Sur le siège passager d'une Mercedes noire, une octogénaire attend, les yeux dans le vide, les mains cramponnées à son sac. Les volontaires de la Croix-Rouge se démènent. Un groupe de lycéennes de Goris est venu voir si elles pouvaient être d'une quelconque utilité.
L'afflux dans cette ville d'une vingtaine de milliers d'habitants, première étape pour les réfugiés du Nagorny Karabakh, a commencé dans la soirée de dimanche. Passé le poste de Kornidzor, tout de suite après la frontière, ceux qui n'ont "nulle part où aller", comme Valentina Asrian, sont amenés là.
Valentina, 54 ans, est assise sur un banc, tenant son petit-fils emmaillotté contre son corps. Elle n'a aucun proche en Arménie. Jusqu'à mardi dernier, elle vivait à Vank, un "village fantastique" avec son monastère du XIIIe siècle.
"Qui aurait pu croire que les Turcs (nom donné communément aux Azerbaïdjanais dans la région) entreraient dans ce village arménien historique", se lamente Valentina, dont le beau-frère a été tué dans les bombardements de la semaine dernière.
Après une nuit à la cave, elle s'est réfugié à l'aéroport -hors-service- de Stepanakert, le siège des forces russes d'interposition. Son mari, handicapé, y a passé trois jours sans son fauteuil roulant.
A quelques mètres, Anabel Ghoulassian, mère de sept enfants, garde un oeil sur son tas d'affaires, dont le bien le plus précieux est une couverture en poil de chameau.
Son histoire est similaire: les combats qui prennent la famille par surprise mardi, la fuite à l'aéroport. Mais ils en sont délogés dès mercredi, leur village n'ayant pas été touché par les combats. Ils trouvent alors refuge dans un bâtiment abandonné sans toit, où ils resteront quatre jours jusqu'à leur fuite.
"C'était des jours horribles, on était simplement assis les uns à côté des autres. Riches ou pauvres, tous au même endroit", raconte Anabel, 41 ans.
Embouteillages dans le corridor
Pour les 120 000 habitants du Nagorny Karabakh, la cohabitation avec les "Turcs", comme la plupart les appellent, semble inconcevable.
L'exode est tel qu'il a provoqué lundi des embouteillages monstres à proximité du corridor de Latchine, la porte de sortie du Nagorny Karabakh.
Après les premiers réfugiés, des habitants de villages proches de la frontière, les autorités avaient annoncé que la priorité serait donnée à ceux ayant perdu leur maison.
Mais nombre d'habitants de la "capitale" locale, Stepanakert, ont pris la route malgré tout, de peur d'être bloqués pendant des mois, a affirmé à l'AFP par téléphone une habitante de la capitale.
"C'est le désastre, le chaos. Le plus gros problème, c'est l'essence, il n'y en a pas", explique Ani, une artiste de 23 ans qui souhaite garder l'anonymat.
Elle aussi se prépare à partir. Depuis des jours, elle réfléchit à ce qu'elle prendra et elle a tranché: "J'ai pris un peu de terre sous notre mûrier. Il a été planté quand mon arrière-grand-père a construit notre maison. Cet arbre, cette terre symbolisent ma famille et moi-même".
Face à l'afflux annoncé, l'accueil s'organise. Les hôtels de Goris ont été réquisitionnés. Le gouverneur de la région de Syunik, Robert Ghoukassian, a affirmé à la presse pouvoir héberger 10 000 personnes.
La semaine dernière, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a lui annoncé que son pays de 2,9 millions d'habitants se préparait à accueillir 40 000 réfugiés.
Lundi en fin d'après-midi, 6.650 personnes avaient déjà franchi la frontière, selon les chiffres officiels.
A Stepanakert, Ani en est certaine: "Certains vont peut-être rester, ceux qui n'ont plus de force. Mais ce sera une infime minorité".