Un acronyme a été créé à Delhi au cours du week-end: l’«Imec». Samedi, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), l'Inde, la France, l'Allemagne, l'Italie, les États-Unis et l'Union européenne (UE) ont signé un accord lors des réunions du G20 à New Delhi pour la création du corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe. L'Imec comprendra le corridor est, qui reliera l'Inde au golfe Arabique, et le corridor nord, qui reliera le golfe à l'Europe.
Lors du sommet de l'Imec, qui s'est tenu à New Delhi en marge du sommet du G20, le président américain, Joe Biden, a déclaré que «le monde se trouve à un point tournant de l'histoire». Il a qualifié le nouvel accord d’«historique».
Ce dernier, du point de vue du Golfe, consolidera la position historique de la région en tant que principale route commerciale qui relie l'Asie, l'Europe et l'Afrique. En mettant l'accent sur le commerce de l'énergie, le projet mise sur l'avantage comparatif de la région par rapport à sa capacité à fournir une énergie bon marché et fiable au reste du monde.
L'Imec devrait stimuler le développement économique en améliorant la connectivité et l'intégration économique entre l'Asie, le Golfe et l'Europe. Il est également susceptible d'avoir des implications économiques mondiales de grande envergure au-delà de ces trois régions. Les huit signataires de l'Imec représentent environ la moitié de l'économie mondiale et 40% de sa population. Ils ont donc la capacité de transformer le commerce mondial et le développement s'ils sont prêts à engager les ressources nécessaires.
Le projet pourrait également avoir des implications géopolitiques, car il rehausse le profil de l'Amérique dans cette région et renforce son rôle en tant qu'acteur mondial. On a beaucoup parlé de la compatibilité entre cette nouvelle entreprise menée par les États-Unis et les projets existants de l'initiative chinoise intitulée «la ceinture et la route» dans la région. Toutefois, si l'on se place du point de vue du Golfe, il pourrait s'agir d'une situation gagnant-gagnant-gagnant pour la Chine, les États-Unis et les pays du Golfe grâce aux synergies de la coopération et de l'intégration. La cohabitation des deux projets dans la région pourrait également contribuer à désamorcer les tensions entre les deux superpuissances. Elles devront peut-être trouver un moyen de se concurrencer pacifiquement, au moins dans cette région.
Selon les déclarations des dirigeants de l'Imec, le corridor comprendra un chemin de fer qui fournira un réseau de transit transfrontalier navire-rail rentable pour compléter les voies de transport maritime et routier qui existent déjà. Cela permettra aux marchandises et aux services de transiter vers, de et entre l'Inde, le Golfe et l'Europe. Le long de l'itinéraire ferroviaire, les participants ont l'intention de permettre la pose de câbles pour l'électricité et la connectivité numérique, ainsi que d'un gazoduc pour l'exportation d'hydrogène propre.
Les pays fondateurs de l'Imec comptent sur ce projet pour sécuriser les chaînes d'approvisionnement régionales, accroître l'accessibilité des échanges, améliorer la facilitation du commerce et mettre davantage l'accent sur les incidences environnementales, sociales et gouvernementales. Ils s'attendent à ce qu'il augmente l'efficacité, réduise les coûts, renforce l'unité économique, crée des emplois et réduise les émissions de gaz à effet de serre, ce qui se traduira par une intégration transformatrice de l'Asie, de l'Europe et du Golfe.
Pour soutenir cette initiative, les participants se sont engagés à travailler «collectivement et rapidement pour organiser et mettre en œuvre tous les éléments» de ces deux nouveaux itinéraires de transit et à créer des entités de coordination pour traiter l'ensemble des normes techniques, de conception, de financement, juridiques et réglementaires pertinentes, selon un communiqué de la Maison-Blanche.
«Cette initiative renforcera la position historique du Golfe en tant que principale route commerciale qui relie l'Asie, l'Europe et l'Afrique.» - Abdel Aziz Aluwaisheg
Si les engagements politiques des participants sont clairs, le protocole d'accord signé samedi à New Delhi est une déclaration d'intention. Toutefois, il ne crée pas en soi de droits ou d'obligations en vertu du droit international, ce qui signifie qu'aucun partenaire n'est encore tenu de prendre des mesures en vue de la mise en œuvre de l'Imec. Beaucoup de choses dépendent des priorités de ses fondateurs et des ressources qu'ils sont prêts, ou capables, d'engager dans ce projet ambitieux.
Pour l'Arabie saoudite, l'annonce de samedi est le couronnement de plusieurs mois de discussions sur le projet, que le prince héritier, Mohammed ben Salmane, a qualifié de transformateur pour la région et l'économie mondiale. À New Delhi, il a souligné le potentiel de création d'emplois à long terme du nouveau projet et la croissance attendue du commerce entre l'Inde et le Moyen-Orient. L'Inde est déjà un partenaire commercial clé de l'Arabie saoudite et les rencontres entre les deux pays à la suite du sommet du G20 – notamment entre le prince héritier et le Premier ministre indien, Narendra Modi –, ainsi que la signature de dizaines d'accords bilatéraux, visaient à renforcer leurs relations commerciales et investissements.
De plus, l'Arabie saoudite a signé la semaine dernière un protocole d'accord avec les États-Unis afin de mettre en place un corridor de transit vert intercontinental, qui tire parti de la situation géographique du Royaume tout en promouvant l'énergie verte. L'Arabie saoudite a salué le rôle de premier plan joué par les États-Unis dans le soutien et la facilitation des négociations en vue d'inclure d'autres pays intéressés par de tels corridors verts.
Pour les États-Unis, l'Imec est une mise en œuvre de l'initiative phare intitulée «Partnership for Global Infrastructure and Investment», dont le président Joe Biden a dévoilé les fondements pour la première fois lors du sommet du G7 en 2022. Lors de celui de cette année, à Hiroshima, au Japon, il a persuadé les dirigeants de l'organisation de s'engager à identifier de nouvelles opportunités pour développer l'initiative afin de mieux répondre à la demande mondiale de financement d'infrastructures de haute qualité dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
Depuis, les États-Unis ont annoncé des mesures qui visent à créer plusieurs couloirs économiques dans le but de stimuler les investissements dans les infrastructures de plusieurs pays et secteurs. Ils ont mobilisé plus de 30 milliards de dollars (1 dollar = 0,93 euro) sous forme de subventions, de financements fédéraux et d'investissements du secteur privé. Samedi, le prince héritier a fait l'éloge du «Partnership for Global Infrastructure and Investment» et il a annoncé que l'Arabie saoudite s'engageait à verser 20 milliards de dollars pour ses projets, tout en suggérant la nécessité d'une interaction entre le partenariat et l'Imec.
Outre les avantages économiques évidents qu’il présente, l'Imec pourrait récolter des avantages politiques en désamorçant les tensions et en renforçant la confiance et les intérêts mutuels le long de ses itinéraires. Il suppose également un engagement implicite en faveur de la coopération en matière de sécurité afin de protéger les investissements des participants à l'Imec et de garantir sa mise en place rapide et son bon fonctionnement.
Pour s'assurer que les promesses faites à New Delhi seront tenues, les participants ont l'intention de se réunir au cours des deux prochains mois afin d’élaborer un plan d’action, s'engager à le respecter et fixer les calendriers correspondants.
Les discussions qui auront lieu au cours des deux prochains mois devraient révéler la vitesse à laquelle l'Imec sera réellement lancé et donner une idée approximative de son calendrier. Cela déterminera sa portée et ses avantages potentiels pour les nations participantes et les trois régions dans leur ensemble. Toutefois, il est important d'agir rapidement et de tenir compte de l'appel du prince héritier à «commencer immédiatement à mettre en place le mécanisme de mise en œuvre».
Abdel Aziz Aluwaisheg est secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et les négociations, et chroniqueur pour Arab News. Les opinions exprimées dans cet article sont personnelles et ne représentent pas nécessairement celles du CCG.
Twitter: @abuhamad1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com