En arrivant à l’aéroport international de San Diego, on pourrait s’attendre à une forte présence sécuritaire et à un contrôle migratoire rigoureux, surtout dans le contexte de la campagne menée par Washington contre l’immigration illégale. Après tout, la ville n’est située qu’à une trentaine de kilomètres de la frontière mexicaine, épicentre des préoccupations de l’administration Trump concernant l’accès non réglementé au territoire américain.
Mais sur place, on est loin de l’image d’un contrôle renforcé. L’atmosphère à l’aéroport est calme, presque chaleureuse. Le personnel -y compris les agents de l’immigration- est en grande partie issu des minorités américaines, notamment hispaniques et asiatiques, soit les mêmes groupes souvent stigmatisés par les discours anti-immigration de l’extrême droite. Les files avancent rapidement, et les contrôles aux passeports ne prennent qu’une minute en moyenne, même pour les passagers en provenance des aéroports mexicains voisins.
Les pays ontont naturellement le droit de sécuriser leurs frontières. Les politiques migratoires relèvent généralement de leur souveraineté, définies selon des considérations économiques et sécuritaires. Les États-Unis ne font pas exception à cette règle, d’autant qu’ils sont confrontés à un phénomène migratoire massif : on estime que plus de 11 millions de personnes vivent sur le sol américain sans statut légal, soit environ 3 % de la population. Certaines d’entre elles ont été impliquées dans des crimes graves sur le sol américain, ou ont fui leur pays d’origine en raison de délits qu’elles y avaient commis.
Cependant, l’administration Trump a été vivement critiquée pour la manière dont elle applique ces politiques, ainsi que pour la rhétorique utilisée pour les justifier. Elle a parfois visé des personnes en raison de leurs opinions politiques, notamment sur des sujets sensibles tels que la guerre à Gaza ou la question palestinienne. De nombreux résidents légaux ont vu leur statut remis en cause pour avoir exprimé leur point de vue sur ces sujets. Des résidents permanents titulaires de la carte verte ont été informés qu’ils ne pouvaient plus rester dans le pays, tandis que des étudiants, chercheurs et enseignants, pourtant en possession de visas valides, se sont vu ordonner de quitter le territoire.
Certaines mesures ont également semblé reposer sur des critères ethniques sélectifs, ciblant notamment les communautés hispaniques. Ces pratiques rappellent, de façon troublante, les méthodes de régimes autoritaires ou totalitaires souvent dénoncés par les États-Unis eux-mêmes pour leur répression de la liberté d’expression et le non-respect des garanties procédurales fondamentales.
À plusieurs reprises, la douleur et les souffrances infligées aux personnes expulsées sont largement ignorées, notamment lorsqu’elles sont transférées à l’étranger vers des centres de détention privés, souvent situés dans des zones reculées, loin de leurs proches, et échappant à tout véritable contrôle. Les conditions dans ces centres font régulièrement l’objet de signalements inquiétants, allant jusqu’à des cas de violences gratuites. Bien que les garanties de procédure équitable soient censées constituer un fondement du système judiciaire américain, dans le contexte des expulsions liées à certaines affaires d’immigration, ces protections sont fréquemment écourtées, voire totalement ignorées. Des injonctions émises par des juges américains ont été contournées ou simplement négligées.
Malgré cela, le président et plusieurs hauts responsables ont fait l'éloge de cette approche. L’extrême droite, au sein du Congrès comme en dehors, a instrumentalisé ces politiques comme armes politiques contre les opposants. La députée Marjorie Taylor Greene, par exemple, a violemment réagi à une question posée par un journaliste britannique au sujet de fuites récentes d’informations sensibles liées à la sécurité nationale sur l’application Signal. “Votre opinion et vos reportages m’importent peu. Pourquoi ne rentrez-vous pas dans votre pays, où la crise migratoire est bien plus grave?” a-t-elle lancé.
La rhétorique xénophobe visant les immigrés, qu’ils soient en situation légale ou non, a atteint un niveau inédit depuis des décennies. Le climat actuel évoque celui du maccarthysme des années 1950 : une atmosphère de suspicion généralisée, où ceux dont les opinions divergent du discours officiel deviennent des cibles. Toutefois, une différence majeure subsiste. À l’époque, la campagne était explicitement politique, centrée sur la lutte contre le communisme et l’influence soviétique — un adversaire clairement identifié, bien que la démarche ait parfois été teintée de préjugés. La campagne actuelle vise à la fois les opposants politiques et les personnes ayant enfreint la loi. Or, rien ne justifie les attaques contre les premiers : ni Gaza, ni la Palestine ne sont des ennemis des États-Unis. Concernant les seconds, si l’administration est saluée pour avoir appréhendé des membres de gangs étrangers, elle est aussi vivement critiquée pour avoir poursuivi des individus ordinaires, dont le seul tort est d’avoir dépassé la durée de leur visa ou d’exercer des métiers pénibles et indispensables que nombre d’Américains refusent d’assumer, notamment dans les secteurs agricoles et agroalimentaires.
Alors que les précédentes campagnes anti-immigration visaient principalement les ressortissants de pays en développement, la tendance actuelle semble s’élargir. Des citoyens de pays alliés des États-Unis ont été détenus ou expulsés dans des conditions souvent opaques, sans justification claire ni transparence procédurale. Dans plusieurs cas, des individus ont été retenus pendant de longues périodes dans des centres tenus secrets, avant d’être renvoyés dans leur pays sans préavis. Face à ces pratiques jugées arbitraires, plusieurs pays européens dont le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont émis des avis de voyage à l’intention de leurs citoyens prévoyant de se rendre aux États-Unis, les avertissant des risques potentiels de détention ou d’expulsion.
La Californie ne s’aligne guère sur les sentiments anti-immigrés. Cette différence d’approche s’explique en grande partie par sa composition démographique : selon le recensement de 2020, plus de 65 % des habitants de l’État appartiennent à une minorité, dont 84 % sont d’origine hispanique ou asiatique. En tant que pilier de l’agriculture américaine, la Californie est l’un des plus grands employeurs de main-d’œuvre immigrée, et elle s’appuie sur une longue tradition d’accueil, qu’il s’agisse d’immigration légale ou non. Pour cette position plus inclusive, différente de celle de Washington, ses responsables, en particulier le gouverneur démocrate Gavin Newsom, font régulièrement l’objet de critiques de la part des républicains.
D’autres États, notamment ceux dirigés par des démocrates ou comptant une proportion significative de résidents nés à l’étranger, s’opposent également à l’ingérence fédérale et à la rhétorique xénophobe qui l’accompagne. Le recensement de 2020 a révélé que les minorités représentent 50 % de la population au Texas et 49 % au Nouveau-Mexique, majoritairement hispaniques. Le district de Columbia, ainsi que des États comme le Maryland, affichent eux aussi une importante diversité démographique. Dans l’ensemble, selon le recensement de 2020, plus de 42 % de la population américaine appartient à une minorité, les Hispaniques et les Asiatiques représentant à eux seuls 60 % de ce groupe.
Le ciblage d’étudiants et d’universitaires exprimant des opinions divergentes a été vivement dénoncé par plusieurs États, notamment ceux qui accueillent une forte population étudiante. Stephen Lynch, représentant du Massachusetts, a récemment dénoncé ces pratiques : "Enlever de force une étudiante étrangère, présente légalement sur le territoire et inscrite dans l’une de nos universités, pour l’envoyer dans un centre de détention de l’ICE à 1 700 kilomètres sans aucune audience, relève d’une conduite digne de la Gestapo, d’un autre âge". Il a ajouté que son district comptait environ 80 000 étudiants internationaux, "précisément parce que nous jouissons d’une réputation de carrefour du savoir et de la tolérance intellectuelle, religieuse et culturelle. Il est de notre devoir de préserver cette identité".
Les données démographiques actuelles et la profonde tradition d’accueil des immigrés et des visiteurs étrangers qui a façonné l’histoire des États-Unis, compliquent la mise en œuvre des politiques anti-immigration de l’administration Trump. Il en va de même pour l’attachement historique du pays à la liberté d’expression, à moins que Washington ne recalibre sa politique pour se concentrer sur les résidents illégaux qui ont commis des crimes graves et qui n'ont pas de famille proche aux États-Unis ou d'autres liens solides avec le pays. Réprimer les discours pacifiques affaiblit les autres objectifs légitimes du gouvernement, tout comme le fait de saper les garanties fondamentales d’une procédure équitable. Parmi ces principes, l’habeas corpus, ancré dans la tradition juridique anglo-saxonne depuis le XIIᵉ siècle, antérieur même à la Magna Carta, demeure un pilier des démocraties depuis des siècles.
Une grande partie de la population américaine, peut-être même la majorité, semble d’ailleurs rejetter la rhétorique de l’extrême droite qui applaudit ces dérives. Ces excès ne font qu’alimenter l’antiaméricanisme croissant à travers le monde, y compris parmi les alliés et partenaires des États-Unis.
Le Dr Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation, et un chroniqueur régulier d’Arab News.
Twitter: @abuhamad1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com