La confrontation verbale entre Volodymyr Zelensky et les responsables américains à la Maison Blanche vendredi dernier a marqué un moment particulièrement intense dans l’histoire de la diplomatie. Le président Donald Trump et le vice-président J.D. Vance ont dénoncé le président ukrainien, qui, à son tour, a répliqué avec fermeté. Bien que cette confrontation publique ait probablement été inattendue, elle semble être un indicateur clair de la direction que prendra la politique étrangère de la nouvelle administration à l'avenir.
Zelensky semblait visiblement choqué par cette transparence sévère, malgré les nombreux signes indiquant que les États-Unis ne sont plus prêts à poursuivre leur soutien à l'Ukraine. Dans l'atmosphère transactionnelle qui règne à la Maison Blanche, ce soutien n'a pas été fructueux. Trump avait clairement signifié qu'il ne continuerait à aider l'Ukraine qu'en échange d'une contrepartie substantielle.
Mardi, Trump a axé son discours de 100 minutes, le plus long jamais prononcé par un président depuis des décennies devant le Congrès, sur l'approche qu'il adopterait en matière de politique intérieure et étrangère. Ses opposants politiques et d'autres observateurs se sont efforcés de vérifier la véracité de ses propos, mais quel que soit leur fondement factuel, ce discours a révélé plusieurs aspects de sa probable approche pour les quatre années à venir.
Comme dans d’autres régions du monde, le Golfe a observé la situation à Washington avec un sentiment de choc, de crainte et d’appréhension, mais avec l'espoir que cette administration sera plus décisive et transparente que la précédente. Les politiques semblent reposer sur un équilibre entre mercantilisme, transactionnalisme, réalisme et trumpisme.
En effet, il s’avère que cette administration donne la priorité à ses propres intérêts et le dise publiquement, au lieu de prétendre défendre de nobles principes. Prenez comme exemple la guerre à Gaza. L’administration Biden a prétendu respecter le droit humanitaire international, mais elle a néanmoins continué à fournir à Israël les moyens mortels de perpétrer le génocide et la destruction totale de Gaza. Les pourparlers ont échoué, ce qui a servi de prétexte à Israël pour relancer une offensive encore plus intense. Dans cette région, où les théories du complot sont fréquentes, certains ont estimé que l’échec des pourparlers était délibéré, d’autant plus que l’équipe de Trump avait réussi à conclure un accord en seulement quelques jours.
Depuis son investiture le 20 janvier, le président Trump a tenu ses promesses, y compris celles qui sont impopulaires. Il a supprimé des ministères entiers, procédé à des réductions drastiques ou associé certaines agences. Des milliers d’immigrants illégaux ont également été arrêtés et expulsés sans préavis.
Il est vrai que Trump a renversé certaines politiques américaines de longue date, mais dans certains cas, ce changement a porté davantage sur la forme et l'ampleur que sur la nature même de ces politiques. Citons par exemple la politique industrielle, l’aide étrangère, l’assistance en matière de sécurité et la politique au Moyen-Orient.
Prenant la parole au Congrès mardi, Trump a défendu sa politique des tarifs douaniers, affirmant que tant les alliés que les ennemis imposent des droits de douane sur les exportations américaines. "C'est pourquoi nous plaidons pour des tarifs réciproques, qui entreront en vigueur le 2 avril", a-t-il déclaré. Il a envisagé d’imposer les mêmes droits de douane sur les importations en provenance de pays étrangers que ceux qu’ils appliquent aux exportations américaines. "Si vous ne fabriquez pas votre produit en Amérique… sous l’administration Trump, vous devrez payer des droits de douane, et dans certains cas, des droits assez élevés", a-t-il ajouté. Il a pointé du doigt l'UE, la Chine, le Brésil, l'Inde, le Mexique, la Corée du Sud et le Canada, qui, selon lui, « ont utilisé des droits de douane contre nous pendant des décennies, et maintenant c’est notre tour… C’est réciproque, dans les deux sens. Quelle que soit la taxe qu’ils nous imposent, nous les taxerons à notre tour. »
Alors que l’administration Trump fait connaître sa politique de droits de douane élevés, l’administration précédente, sans grande fanfare, a continué d’imposer les droits de douane prohibitifs imposés par la première administration Trump. Les exportations d’aluminium et d’acier du Conseil de coopération du Golfe vers les États-Unis figuraient parmi celles fortement taxées. L’administration Biden a adopté une politique industrielle sous forme de droits de douane et de subventions qui allait à l’encontre de l’opposition de longue date des États-Unis à de telles interventions sur le marché, choisissant essentiellement des gagnants et des perdants. L'administration l’a justifiée par des raisons de sécurité nationale.
La Stratégie de sécurité nationale 2022 a énuméré un certain nombre de programmes de subventions, certains d’une valeur de plusieurs centaines de milliards de dollars, alloués à des industries spécifiques qui, selon elle, aideraient les États-Unis à rattraper la Chine. Pendant longtemps, les États-Unis se sont opposés fermement aux subventions par principe, mais l’administration Biden a abandonné cette position, ouvrant la voie à une politique industrielle qui s'apparente à celle de Trump.
Certains pays en développement ont prôné ce revirement américain en matière de politique industrielle, puisqu’il leur permet de renforcer leurs politiques industrielles par le biais de subventions généreuses aux producteurs locaux et de droits de douane élevés sur les importations.
Cependant, ce retour au mercantilisme et aux politiques du chacun pour soi constitue une menace pour le système commercial international et risque de freiner la croissance à l’avenir. Pour le CCG et les autres régions productrices de pétrole et de gaz, c’est une mauvaise nouvelle, car ils prospèrent lorsque l’économie mondiale est saine.
En matière d’aide étrangère, la politique américaine a toujours exagéré les sommes versées aux pays pauvres. Au total, les États-Unis ont versé 68 milliards de dollars en 2023, soit environ 0,24% de leur produit intérieur brut. Ce chiffre est bien inférieur au minimum recommandé par l’ONU de 0,7% du PIB et bien inférieur à celui de la plupart des autres pays riches. Une grande partie de l’aide est destinée à la sécurité. Par exemple, l’Ukraine a reçu 25% de l’aide totale. Israël et ses voisins ont reçu 10% supplémentaires. Cette année-là, l’aide a diminué de plus de 10%.
Il est vrai que Trump a renversé certaines politiques américaines de longue date, mais dans certains cas, ce changement a porté davantage sur la forme et l'ampleur que sur la nature même de ces politiques.
Dr. Abdel Aziz Aluwaisheg
L'administration Trump a indiqué que l'aide à la sécurité serait accordée en fonction de la réciprocité. Cependant, pour les pays du CCG, cela a toujours été le cas. Ils ont payé le prix fort pour toutes les armes et l'aide reçues, donc si l'administration appliquait cette mesure de manière systématique, cela serait perçu positivement. Les changements dans l’aide à la sécurité et l’engagement incertain des États-Unis en matière de défense suscitent à la fois des inquiétudes et un certain soulagement. Le Royaume-Uni a choisi d'augmenter ses dépenses de défense, tout comme d'autres pays bénéficiaires des engagements de sécurité américains. Trump a demandé à ses partenaires de l'OTAN d'élever leurs dépenses de défense à 5 % du PIB, un seuil qui est déjà la norme dans le Golfe.
Le changement le plus marquant de la politique étrangère américaine concerne peut-être le Moyen-Orient. Trump a proposé de déplacer la population palestinienne de Gaza, de reconstruire la bande, mais sans permettre à ses habitants de revenir.
Cette proposition a été rejetée par presque tous les pays du monde car elle constituerait un crime de guerre si elle était appliquée par la force. Le secrétaire d’État Marco Rubio a demandé aux partenaires arabes de proposer une alternative. Cette proposition a été au centre des discussions du sommet arabe extraordinaire qui s'est tenu mardi au Caire, où un plan de 53 milliards de dollars pour reconstruire Gaza a été adopté. Le président égyptien Abdel Fattah el-Sisi a présidé le sommet et a déclaré lors de la séance d’ouverture qu’il est impatient de collaborer avec l’administration Trump pour mettre en œuvre le plan convenu pour Gaza, en coopération avec l’ONU et d’autres organisations internationales. En d’autres termes, l’idée jugée irréaliste de Trump a focalisé l’attention et a contribué à la mise en place immédiate d’un plan crédible.
Ce qui est le plus important, ce sont les fondements des politiques américaines, que ce soit au Moyen-Orient, sur le multilatéralisme ou sur les engagements en matière de sécurité, et non la manière de les appliquer. Le ton agressif de l’administration Trump pourrait faciliter la prise de décisions pour certains pays, notamment en ce qui concerne les partenariats de sécurité et l’achat d’armements. L'engagement de Trump à mettre fin à toutes les guerres mérite également d'être salué. La paix en Ukraine, à Gaza et en Cisjordanie est attendue depuis longtemps.
Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du CCG pour les affaires politiques et les négociations. Les opinions exprimées ici sont personnelles et ne représentent pas nécessairement celles du CCG.
X: @abuhamad1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com