La décision de la Cour pénale internationale (CPI) d'émettre des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant a mis en lumière les contradictions flagrantes dans la position de plusieurs pays occidentaux.
Pour la première fois, la Cour cible des responsables d'un pays allié de l'Occident. Un tournant qui révèle des positionnements diplomatiques surprenants: alors que certains États, États-Unis et Hongrie en tête, rejettent catégoriquement la décision, d'autres multiplient les déclarations ambiguës. Certains vont jusqu'à remettre en question leur soutien passé au mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine.
La réaction américaine s'est révélée particulièrement virulente. Joe Biden a immédiatement qualifié ces mandats de "scandaleux", martelant qu'aucune comparaison n'était possible entre Israël et le Hamas. "Nous soutiendrons toujours Israël face aux menaces contre sa sécurité," ajouta-t-il.
Lindsey Graham a durci le ton dans un entretien explosif sur Fox News la semaine dernière. Le sénateur républicain a directement menacé les alliés traditionnels des États-Unis de représailles économiques : "Tout pays qui collabore avec la CPI pour faire exécuter les mandats contre Bibi (Nétanyahou) et Gallant s'exposera à des sanctions". Et d'ajouter avec une menace à peine voilée envers les partenaires historiques de Washington: "Je m'adresse au Canada, à la Grande-Bretagne, à l'Allemagne et à la France: toute coopération avec la CPI entraînera des sanctions... Nous n'hésiterons pas à écraser votre économie, car nous pourrions être les prochains visés."
Pour la première fois, la Cour cible des responsables d'un pays allié de l'Occident.
Dr. Abdel Aziz Aluwaisheg
Dans d'autres interventions, le sénateur Graham a dévoilé le fond de sa pensée. La CPI, selon lui, n'a pas vocation à "s'en prendre à nous", une allusion à peine masquée aux inquiétudes de voir la Cour se pencher sur l'implication de responsables américains dans les événements de Gaza. Washington, qui exerce depuis longtemps des pressions diplomatiques pour dissuader toute coopération avec la CPI en cas de poursuites contre son personnel, étend désormais ce bouclier protecteur aux officiels israéliens.
Si une minorité de parlementaires américains a privilégié la modération, le sénateur républicain Tom Cotton s'est distingué par sa virulence, qualifiant la CPI de "tribunal kangourou" et son procureur Karim Khan de "fanatique". Plus surprenant encore, il a brandi la menace d'une intervention militaire contre la Cour, La Haye et les Pays-Bas - pourtant allié historique - en cas d'arrestation des responsables israéliens, s'appuyant sur la loi d'invasion de La Haye de 2002.
Si une telle action armée contre un allié relève de l'absurde, la Cour pourrait néanmoins subir des pressions financières bien réelles si le Congrès américain décidait de sanctionner ses activités aux États-Unis, compromettant ainsi son fonctionnement.
Face à cette crispation américaine autour d'Israël et de la CPI, l'attitude de certains défenseurs historiques du droit international interpelle.
La France, notamment, a adopté une position ambiguë. Comme l'a souligné Le Monde, cette "patrie des droits de l'Homme" et État fondateur de la CPI a porté "un coup dur" à l'institution à travers une "déclaration cryptique" qui en fragilise l'autorité.
Paris a d'abord évoqué la "complexité juridique" des mandats, avant d'avancer l'argument de l'immunité de Nétanyahou, Israël n'étant pas signataire du Statut de Rome.
L'attitude de certains défenseurs historiques du droit international interpelle.
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Le Quai d'Orsay a même réaffirmé sa volonté de "continuer à travailler en étroite collaboration" avec le Premier ministre israélien. Parmi les pays du G7, seule la France a choisi cette ligne de l'immunité, tandis que les États-Unis ont opté pour un rejet pur et simple, les autres membres restant dans un silence embarrassé.
La France s'est ensuite trouvée piégée par sa propre argumentation, ayant toujours soutenu les précédents mandats de la CPI, y compris contre des ressortissants d'États non-membres. Une position juridiquement intenable: si le non-engagement dans le Statut de Rome suffisait à garantir l'immunité, il suffirait aux auteurs présumés de crimes de guerre de ne pas adhérer à la Cour ou de retirer leurs signatures de son traité pour la rendre inopérante.
Sur le plan juridique, les mandats d'arrêt s'appuient sur des fondements solides: les actes incriminés correspondent précisément aux définitions des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité telles qu'établies par les Conventions de Genève et le Statut de Rome. La décision n'a été prise qu'après six mois d'examen minutieux par la Cour.
La légitimité de l'institution s'incarne notamment dans la stature de ses magistrats, parmi lesquels figure Theodor Meron, une personnalité respectée du droit international. Ce juriste américain de 94 ans, dont le parcours est remarquable - né en Pologne en 1930, réfugié en Palestine en 1945, puis haut fonctionnaire israélien - a marqué de son empreinte la justice pénale internationale en siégeant aux tribunaux pour l'ex-Yougoslavie, le Rwanda, et au Mécanisme résiduel.
Josep Borrell, qui quittait récemment ses fonctions de chef de la diplomatie européenne, a résumé l'enjeu avec force: "Le respect de la CPI est la seule voie vers une justice mondiale". Son message d'adieu à ses successeurs était sans ambiguïté: "Utilisez notre influence". Avant d'ajouter, non sans une pointe d'amertume : "Nous avons des moyens de pression, mais nous ne voulons pas les utiliser."
Dr. Abdel Aziz Aluwaisheg est secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation. Les opinions exprimées ici sont personnelles et ne représentent pas nécessairement celles du CCG.
X : @abuhamad1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com