Il est souvent difficile de trouver un consensus au sein des grands groupes diplomatiques et le Groupe des vingt (G20) ne fait pas exception à la règle. Cependant, les membres de ce groupe – soit les vingt plus grandes économies du monde – dirigent ensemble l’économie mondiale, même s’ils manquent généralement d’harmonie. Véritable création du XXIe siècle, le G20 a gagné en importance après la crise financière de 2008.
La montée en puissance du groupe constitue un ajout puissant au rôle des institutions de Bretton Woods de l’après-Seconde Guerre mondiale, qui reflètent moins l’équilibre des pouvoirs dans le monde d’aujourd’hui. Grâce à l’invitation par l’Inde des Émirats arabes unis (EAU), d’Oman et de l’Égypte à assister au sommet de ce week-end, aux côtés de l’Arabie saoudite et de la Turquie, le Moyen-Orient se retrouve au premier plan des considérations du Sud global, après des années de désengagement américain de la région.
Quinze jours après une réunion sans précédent des Brics (les Brics sont un groupe de cinq pays qui se réunissent depuis 2011 en sommets annuels: Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), au cours de laquelle les EAU, l’Arabie saoudite et l’Iran ont pu adhérer au club des grandes économies en développement, le G20 a renforcé ce week-end la tendance selon laquelle les économies à croissance rapide du monde en développement cherchent à restructurer le système international sur la base de leur désenchantement à l’égard de l’ordre mondial d’après-guerre.
La pandémie de Covid-19 a entraîné d’importantes inégalités économiques et mis en lumière la nature déséquilibrée d’un système international qui fait de plus en plus fi des intérêts du monde en développement. Le poids croissant de ces nations leur permet de promouvoir davantage leur vision du monde, en particulier leurs propres conditions pour commercer au sein de l’économie mondiale. Il n’est donc pas surprenant que l’Inde profite de son passage au G20 pour renforcer ces arguments.
Depuis 2004, lorsque le Canada a dépassé l’Arabie saoudite en tant que premier exportateur de pétrole vers les États-Unis, la région du Moyen-Orient s’est progressivement éloignée du centre d’intérêt des décideurs politiques américains. Bien que les États-Unis demeurent un partenaire commercial majeur de l’Arabie saoudite, les échanges commerciaux de cette dernière avec la Chine représentent presque le double.
L’augmentation des exportations de pétrole et de gaz des EAU vers la Chine fait également de Pékin son principal partenaire commercial. Des échanges commerciaux importants et en pleine croissance avec l’Inde, l’Égypte, le Pakistan et la Turquie, entre autres, mettent en évidence l’importance croissante du commerce Sud-Sud et, par conséquent, les efforts des Brics et de l’Inde pour intégrer de nouveaux acteurs.
Bien que l’Arabie saoudite, les EAU, Oman et l’Égypte aient des niveaux de développement différents, ils sont unis par leur importance stratégique et par leur potentiel de croissance. Malgré leur position de producteurs d’énergie, ils joueront aussi un rôle dans l’avenir de l’énergie.
Oman et l’Arabie saoudite joueront un rôle dans la production d’hydrogène et l’Égypte sera un producteur important du «carburant de transition» qu’est le gaz au cours du changement énergétique mondial qui aura inévitablement lieu. Occupant ensemble le canal de Suez et les détroits d’Ormuz et de Bab al-Mandab, ces pays font partie intégrante des chaînes d’approvisionnement mondiales et ils sont prêts pour un projet semblable au corridor de transport international Nord-Sud qui relie l’Inde, l’Iran et la Russie.
«Parallèlement au partenariat stratégique existant avec l’Arabie saoudite, l’Inde a cherché à élargir ses liens avec le Royaume au-delà du pétrole, en se concentrant sur la croissance de l’économie numérique et de l’innovation.»
Zaid M. Belbagi
Il n’est donc pas surprenant que le transport soit au cœur des efforts de sensibilisation de l’Inde auprès des pays d’Asie occidentale pour le sommet du G20. Outre l'accent mis par New Delhi, dans le cadre de sa politique étrangère, sur les futurs centres du commerce mondial sous les auspices du G20, l'Inde a déjà tissé des liens au Moyen-Orient.
Le tout premier accord de partenariat économique global entre les EAU et l’Inde a été signé en février de l’année dernière. Un accord commercial dirhams-roupies est également entré en vigueur pour encourager l’augmentation du commerce bilatéral entre les EAU et l’Inde, avec un objectif de 100 milliards de dollars (1 dollar = 0,93 euro) de commerce non pétrolier d’ici à 2030.
Parallèlement au partenariat stratégique existant avec l’Arabie saoudite, l’Inde a cherché à élargir ses liens avec le Royaume au-delà du pétrole, en se concentrant sur la croissance de l’économie numérique et de l’innovation.
Un accord sur les infrastructures ferroviaires et portuaires qui permettrait de mieux relier le Moyen-Orient à l’Inde, bien qu’approuvé par les États-Unis dans le cadre de son «Partenariat pour la coopération», est tout à fait révélateur de l’influence croissante de l’Inde. Les projets d’un accord multinational de grande envergure sur les ports et les chemins de fer vont directement à l’encontre du réseau d’infrastructures mondial de l’initiative chinoise «Belt and Road» («la Ceinture et la Route»), qui cible également le Moyen-Orient.
Bien que l’absence persistante du président russe, Vladimir Poutine, au G20, soit significative, il est «l’architecte de son propre exil diplomatique», comme l’a déclaré le Premier ministre britannique, Rishi Sunak.
La décision du président chinois, Xi Jinping, de ne pas assister au sommet du G20 à New Delhi, revêt une importance plus grande pour les participants arabes. Bien que perçue par certains comme une défiance à l’égard du bloc occidental à l’heure où la Chine cherche à renforcer le groupe des Brics, elle est plus probablement due au ressentiment de la Chine face à l’essor économique de l’Inde.
Le rôle croissant de l’Inde dans le monde arabe risque également d’inquiéter la Chine, qui a travaillé assidûment pour se présenter comme une alternative aux États du Moyen-Orient cherchant à renégocier leurs relations avec les États-Unis.
Bien que le rôle de l’Inde ait été jusqu’à présent économique, les récents exercices militaires menés avec l’Arabie saoudite, les EAU, Oman et l’Égypte, ainsi que les initiatives diplomatiques accrues, pourraient être considérés comme un défi pour la Chine, qui a récemment cherché à rapprocher l’Iran et l’Arabie saoudite dans le cadre d’un coup diplomatique majeur.
À l’avenir, les nations arabes doivent s’assurer qu’un vide apparent en matière de grandes puissances ne les oblige pas à chevaucher la fracture géopolitique mondiale croissante.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG.
Twitter: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com