La semaine dernière, un camion chargé d'armes s'est renversé dans la ville libanaise de Kahalé. Les habitants de la région se sont rassemblés autour du camion, que des hommes armés du Hezbollah ont tenté de défendre. Une confrontation s'en est suivie, au cours de laquelle un habitant chrétien et un membre du Hezbollah ont été tués.
L'incident a eu un effet boule de neige. En effet, la mort d'un Chrétien a renforcé le sentiment d'hostilité à l'égard du Hezbollah. Certains ont demandé à être armés pour pouvoir l'affronter, tandis que d'autres réclament la partition du pays. La guerre civile demeure ancrée dans la conscience collective des Libanais et personne ne souhaite qu'elle se reproduise. Cependant, la situation est tellement grave que des voix s'élèvent pour accepter ce risque, estimant qu'il n'y a pas d'autre moyen de soustraire le pays à la domination du Hezbollah.
Jusque-là, le Hezbollah disposait d'une légitimité grâce à son alliance avec le Courant patriotique libre (CPL) chrétien. Mais cette alliance a été mise à mal au début de l'année, lorsque le Hezbollah a proposé la candidature de Sleiman Frangieh à la présidence, alors que le CPL l'a totalement rejetée. Le Hezbollah discute actuellement avec le parti chrétien pour tenter de rétablir les liens. Toutefois, cela s'avère beaucoup plus difficile à la suite de l'incident survenu la semaine dernière.
Le Hezbollah est accusé d'être responsable de la situation au Liban. Bien que la corruption soit à l'origine de la crise financière du pays, il est accusé d'être le premier protecteur du régime corrompu. Des incidents comme celui de Kahalé, qui témoignent des prouesses du Hezbollah, empêchent le chef du CPL, Gebran Bassil, de justifier tout accord avec le parti.
Des incidents comme celui de Kahalé, qui témoignent des prouesses du Hezbollah, empêchent le chef du CPL, Gebran Bassil, de justifier tout accord avec le parti.
– Dr Dania Koleilat Khatib
Au lendemain de l'incident survenu à Kahalé, un convoi transportant le ministre de la Défense, membre du parti de Bassil, a été la cible de tirs d'armes à feu. Certains ont décrit cet incident comme un avertissement du Hezbollah à son ancien allié pour qu'il se conforme à ses règles. D'autres ont plutôt considéré qu'il s'agissait d'un message adressé à l'armée pour qu'elle libère le camion qu'elle avait confisqué. Cependant, l'incident n'a fait qu'accroître le sentiment de haine de la population à l'égard du Hezbollah.
Le Liban est en plein effondrement. Il n'a ni président ni gouvernement opérationnel. Le mandat du gouverneur de la banque centrale a expiré sans qu'aucun remplaçant solide ne soit en place. La Direction générale de la sécurité n'a pas de chef et le chef de l'armée prendra sa retraite au début de l'année prochaine. Cependant, le Hezbollah ne fait toujours pas preuve de flexibilité. Il n'a toujours pas annoncé qu'il était prêt à négocier avec quelqu'un d'autre que Frangieh. Sur le plan régional, il n'est toujours pas disposé à discuter d'un retrait de la Syrie.
Le Hezbollah espère obtenir un nouveau compromis global s'il parvient à un accord avec Bassil. Toutefois, l'idée que le Hezbollah parvienne à un accord avec le CPL et que tout le monde s'y rallie n'est plus réaliste. Le sentiment anti-Hezbollah se renforce et la situation n'est pas la même qu'en 2014, lorsque la fin du mandat de Michel Sleiman avait conduit à l'élection de Michel Aoun deux ans et demi plus tard. Bien que le Hezbollah appelle au dialogue, il pense toujours avoir le dessus.
Le groupe tente également de dissocier sa présence régionale de sa position interne. Il espère ainsi que sa présence sera acceptée grâce à la réconciliation saoudo-iranienne. Or, le Hezbollah est guidé par des illusions. Il espère que sa domination sera acceptée sur le plan intérieur et que sa présence sera tolérée sur le plan régional. Il joue toujours au même jeu d'attente.
Le Hezbollah se prête également à des jeux de rôles avec les Iraniens dans le cadre de sa stratégie d'évasion. Les Iraniens excellent dans ce domaine. Effectivement, Téhéran rejette toute la responsabilité sur le Hezbollah lorsqu'on l'interroge sur sa position concernant le Liban et le dossier présidentiel. La réponse des Iraniens est la suivante: nous soutenons les décisions du Hezbollah, quelles qu'elles soient. Lorsque le Hezbollah est interrogé sur sa présence en Syrie, il répond que la décision appartient au régime d'Assad. Toutefois, ces réponses ne convainquent ni les factions libanaises ni les États arabes.
Bien que le Hezbollah appelle au dialogue, il pense toujours avoir le dessus.
– Dr Dania Koleilat Khatib
Le parti veut préserver ses intérêts internes et la sécurité de ses frontières. Il veut parvenir à une stabilité locale et ne pas se laisser entraîner par des complications régionales. Toutefois, cet objectif est actuellement difficile à atteindre. Les Libanais savent que l'agenda du Hezbollah est étroitement lié à l'Iran et que la présence militaire du groupe au Liban est la première ligne de défense de Téhéran contre Israël. Cela a poussé les factions opposées au Hezbollah à décrire sa présence armée comme une occupation iranienne du Liban. Les Arabes savent que le Hezbollah a beaucoup d'influence en Syrie et qu'il peut exercer une pression sur Bachar Assad.
Le Hezbollah continue d’entraîner Quwat al-Rida et les Forces de résistance islamique en Syrie. Le parti contrôle également la circulation des personnes et des biens. Il est principalement positionné dans les zones frontalières avec le Liban, depuis le point de passage d'Arida au nord, qui relie Tartous à Tripoli, jusqu'à Al-Jayusieh, qui relie Al-Qusayr à la vallée de la Békaa. Le parti a également récemment cherché à étendre ses zones d'influence dans les gouvernorats côtiers syriens. Il est par ailleurs actif dans le commerce du pétrole iranien au Liban et en Syrie.
Par conséquent, le Hezbollah détient un pouvoir économique et militaire et peut exercer une influence sur le régime d'Assad. Cependant, il conserve le même slogan: « Nous avons été invités par l'État syrien et nous partirons lorsque l'État nous le demandera. » Le groupe n'est donc pas prêt à faire des concessions sur le plan régional ni national, mais il espère toujours être accepté sur les deux plans.
Néanmoins, la situation est difficile et le temps ne joue pas en la faveur du parti. Plusieurs points de pression pèsent sur le Hezbollah: l'explosion du port de Beyrouth en 2020, le dossier des réfugiés – qui est directement lié à sa présence en Syrie –, la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui exige le désarmement de toutes les milices, et la résolution 1701 qui interdit aux groupes armés d'opérer sur le territoire libanais, ainsi que les sanctions qui lui sont imposées. Mais le plus important reste la tension croissante à l'intérieur du Liban et les appels à la partition du pays.
En somme, le Hezbollah est confronté à des pressions internes et externes, et s'il n'est pas prêt à faire des concessions, les problèmes vont évoluer. Malheureusement, le groupe ne semble pas se rendre compte de la gravité de la situation.
Dr Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est chercheuse affiliée à la Hoover Institution, Stanford, et présidente du Research Center for Cooperation and Peace Building, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com