Les dernières élections législatives qui se sont déroulées au Koweït ont accouché d'une assemblée parlementaire à forte composante tribale. La frange libérale du champ politique koweïtien a subi un échec cuisant, ainsi que le mouvement féministe, deux forces qui ont été au devant des luttes pour la poussée démocratique.
Cette tendance fut perceptible en Jordanie, monarchie à vieille tradition libérale, et en Irak dont le système représentatif a été dévoyé subrepticement par les particularismes tribo-sectaires.
La question qui s'impose ici est relative à l'impact des procédures électorales pluralistes sur les dynamiques tribales dans des contextes où l’Etat peine à s'implanter de manière enracinée et ferme.
Le phénomène est manifeste dans toutes les sociétés arabes où l'ancrage tribal est toujours fort, comme en Mauritanie, en Libye...
La question qui s'impose donc ici est relative à l'impact des procédures électorales pluralistes sur les dynamiques tribales dans des contextes où l’Etat peine à s'implanter de manière enracinée et ferme.
Deux écoles de pensée divergent largement par rapport à cette problématique : l'une d'elle parie sur les effets induits des mécanismes de représentation politique sur les paramètres et équilibres sociaux, tandis que l'autre école fustige les répercussions nocives d'un pluralisme institutionnel exogène, non adapté aux réalités sociales locales.
Quand l'administration militaire de l'Irak a entrepris le projet de remodelage du système politique après la chute de Saddam Hussein, elle a été orientée par le projet utopique de « démocratie tribale » transposable dans le monde arabe. Le terme de « Nation-state Building » signifiait pour les meneurs de la stratégie de démocratisation du grand Moyen-Orient la mission de transformer les structures d'identification et de représentation locales en forces politiques modernes, par le biais d'une action volontariste maîtrisée de l'extérieur. A l'origine de cette idée, l'ancien dogme colonial de politique civilisationnelle capable de transformer les structures sociales profondes par les leviers juridico-réglementaires, « la forme finit par créer le fond » comme disait Hegel.
Le modèle d'Etat-nation lui-même n'est qu'une illustration éclatante de cette profession de foi.
Il y a lieu cependant de mesurer le grand écart entre les premières expériences libérales qu'a connu le monde arabe durant les périodes de protectorat ou de mandat européen et les dynamiques actuelles.
Il devient nécessaire d'asseoir les institutions de contre-pouvoir, de régulation et de contrôle, qui procèdent d'un autre versant de la légitimité démocratique, pour bloquer les penchants suicidaires et autophages du pluralisme politique dans des contextes non libéraux.
Dans les premiers cas, les pratiques démocratiques ont été portées par les élites citadines instruites formées dans l'école coloniale en alliance objective avec l'aristocratie locale ayant hâte de s'intégrer dans la nouvelle configuration politique instituée par l'ingénierie coloniale. Bien qu'elle fût circonscrite à une frange restreinte de la société, et qu'elle ait été sous tutelle coloniale, cette première expérience libérale arabe a été vive et dynamique et a eu un impact bénéfique sur les transformations politico - sociales.
Les « révolutions » militaires qui ont supplanté les premiers gouvernements libéraux arabes ont profondément marqué les règles du jeu politique, en propulsant en avant deux genres d'acteurs : l'officier porteur de l'idéologie révolutionnaire, et le cadre issu du milieu rural et bédouin formé au rabais à la nouvelle école publique et contraint de faire les premiers pas de son chemin politique dans les structures du monopartitsme institué.
Le pacte libéral initial fut donc rompu au profit de la nouvelle alliance concoctée entre la nomenclature militaire dirigeante et les vieilles structures tribales réinventées et remodelées au gré des enjeux de pouvoir actuel.
C'est ainsi que libérées de la mainmise militaire et du système monolithique, les structures tribales rurales se sont autonomisées et sont devenues la seule grille d'identification et de mobilisation politique, bien qu'elles ne répondent plus aux logiques de classement et de composition identitaire originelles.
Les cas koweïtien et jordanien bien qu'ils soient différents de ce schéma, traduisent le même phénomène de transformation du champ politique sous les effets d'une modernisation non accomplie et une résurgence compréhensible des identités tribales bédouines et rurales.
Il devient ainsi nécessaire d'asseoir les institutions de contre-pouvoir, de régulation et de contrôle, qui procèdent d'un autre versant de la légitimité démocratique, pour bloquer les penchants suicidaires et autophages du pluralisme politique dans des contextes non libéraux.
La proximité, l'impartialité, la réflexivité, sont comme le démontre Pierre Rosanvallon des composantes essentielles de la légitimité démocratique, bien qu'elles sortent de la conception électorale de la démocratie pluraliste.
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.