Le Qatar doit rétablir la citoyenneté des membres de la tribu Al-Ghofran

Des membres de la tribu Al-Ghofran manifestent devant le siège de l’ONU à Genève pour plaider contre le Qatar. (Photo WAM)
Des membres de la tribu Al-Ghofran manifestent devant le siège de l’ONU à Genève pour plaider contre le Qatar. (Photo WAM)
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Publié le Dimanche 06 septembre 2020

Le Qatar doit rétablir la citoyenneté des membres de la tribu Al-Ghofran

Le Qatar doit rétablir la citoyenneté des membres de la tribu Al-Ghofran

Lors d’une réunion sur l’apatridie le 7 octobre à Genève, le Qatar doit s'engager à rétablir la citoyenneté de tous les membres de la communauté Al-Ghofran, déchue de sa nationalité en 2004. Étant donné que Doha a l'intention de montrer au monde qu'elle aspire aux normes mondiales — y compris en ratifiant, avec des réserves notables, la Déclaration des droits de l’homme de l'ONU — c'est sa seule option.
En octobre 2004, le ministre de l’Intérieur du Qatar a émis un décret administratif révoquant la citoyenneté d’au moins 5266 membres de la tribu Al-Ghoran, environ 5 pour cents  de la population à l’époque. Aucune exception n’a été faite pour les infirmes, les enfants ou les veuves.
Le gouvernement avait déclaré, qu'en violation des lois sur la nationalité, les Al-Ghofran possédaient une autre citoyenneté, mais il n'avait pas permis de contester juridiquement cette affirmation  arbitraire et ne faisant l'objet d'aucun examen indépendant.
D’aucuns avaient même suggéré que l’acte était politique, éliminant des électeurs censés soutenir les opposants de l’émir de l’époque, Cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani, lors des élections locales prévues, ou que c’était une rétribution pour le soutien donné par les membres de la tribu à un contre-coup d’État manqué en 1996, à la suite de la prise de pouvoir en 1995 par le Cheikh Hamad de son père. Cheikh Hamad, qui a régné après le coup d’État de 1995, a remis le pouvoir à son fils, Cheikh Tamim bin Hamad, en 2013.
À la fin de l’année 2004 et durant le premier semestre de 2005, le gouvernement a donné suite au décret et un nombre indéterminé de la communauté Al-Ghofran a fait l'objet d'une procédure d'expulsion. Tout au long de 2005, en dépit des assurances concernant l'emploi et le fait de rester au Qatar, des milliers de personnes auraient cherché refuge chez des proches dans les régions voisines d'Arabie saoudite.
Privés de leur citoyenneté, ceux qui ont été affectés par cette décision ne pouvaient plus occuper de postes dans l'État, ni posséder des propriétés ou de comptes bancaires et se sont vu refuser l'accès aux services sociaux ou à l'enseignement public. Certains ont été harcelés et détenus en vertu d'une législation défectueuse. Les promesses d'emploi et de niveau de vie ont été oubliées. Dans certains cas, le gouvernement a coupé l'approvisionnement en électricité et en eau des communautés et de certains foyers, ignorant si des personnes vulnérables pourraient avoir besoin de ces services. 
En 2006, le gouvernement a apparemment changé sa politique et restauré la citoyenneté à plusieurs membres de la communauté.
 

Les members d’Al-Ghofran qui sont rentrés se sont vu refuser l'accès à des formes spécifiques d'emploi et aux services gouvernementaux mis à la disposition des ressortissants qataris.

Drewery Dyke

Le chef du Conseil national des droits de l’homme qatari (CNDH), lui-même membre de la tribu Al-Murra, a affirmé en août 2008 que la citoyenneté de 95 pour cent du clan avait été rétablie. Il a révélé aussi que l’affaire était devenue insignifiante et que la plupart avait été réintégrés dans la société qatarie avec tous les droits. 
Ces affirmations étaient difficiles à mesurer et la vérité semble plus compliquée : certains membres de la famille — sans doute une petite partie de la communauté — m'ont raconté qu'à leur retour au Qatar, le gouvernement avait rétabli la citoyenneté de manière sélective seulement.
Le gouvernement a été opaque sur cette question et de nombreux autres restent encore en Arabie saoudite, où leur sort semble plus clair et plus sûr, et où beaucoup semblent avoir obtenu la citoyenneté. Néanmoins, il semble que de nombreux membres d’Al-Ghofran vivent à nouveau au Qatar. Et une discrimination flagrante demeure.
Des membres de la communauté qui sont rentrés entre 2006 et 2017 se sont vu, ou continuent de se voir, refuser l'accès à des formes spécifiques d'emploi, ainsi qu’aux services sanitaires, sociaux et à d’autres services gouvernementaux mis à la disposition des ressortissants qataris.
Au milieu du différend entre l'Arabie saoudite et le Qatar, mi-2017, Abdulhadi Al-Ghofran Al-Marri, 26 ans, est rentré au Qatar avec son frère Fahad, aujourd'hui âgé de 17 ans, et d'autres membres de sa grande famille.
Pendant plus d’une semaine, les autorités qataries ont retenu la famille, y compris de jeunes enfants, à la frontière avant de leur accorder l’entrée. Ces deux frères restent sans nationalité, même s'ils sont de retour au Qatar.
Ils ne sont pas autorisés à détenir des comptes bancaires ou un permis de conduire, tandis qu’un autre frère, Mohammed, ne peut pas aller à l’université. Les deux frères ont travaillé à former des faucons pour un salaire de base. Une association caritative soutient toute la famille, y compris quatre sœurs, pour les aider à s'en sortir. Les sœurs ne peuvent pas se marier.
L'Un de leurs proches, Saleh Mohammed Al-Kohlah, 34 ans, expulsé lors de la vague de révocations de citoyenneté, est revenu en 2011 avec un passeport saoudien et a déposé une réclamation auprès de la CNDH pour restaurer sa nationalité, mais le CNDH ne semble pas avoir réagi à son cas.
Cette conduite va à l’encontre des normes internationales relatives aux droits de l’homme.
En septembre 2017, le Qatar a retiré la citoyenneté du Cheikh Talib bin Mohammed bin Lahoum bin Sherim Al-Murra, chef de la tribu qatar, ainsi que de 54 membres de sa famille. Ils sont partis pour l'Arabie saoudite. Il aurait déclaré : « Ma citoyenneté reviendra, pour moi et pour ma famille, que l'émir du Qatar le veuille ou non, pour moi et pour (la tribu) Al-Ghofran qui a également vu sa citoyenneté révoquée ». En octobre 2017, le gouvernement a révoqué la nationalité d'un poète bien connu, Mohammed Al-Marri.
En juin 2017, la crise diplomatique entre les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), combinée à l'incapacité des femmes qataries à conférer la nationalité aux enfants et aux conjoints sur un pied d'égalité avec les hommes qataris, a entraîné des menaces de l'unité familiale ainsi que d'autres difficultés.
Les enfants et les conjoints de femmes qataries qui se voient refuser l'accès à la citoyenneté qatarie et qui ont la nationalité d'autres pays du CCG craignaient d'être expulsés du Qatar ou de ne pas pouvoir rentrer dans le pays. Une femme qatarie mariée à un homme bahreïni a rapporté que sa famille ne pouvait pas rendre visite aux parents de son mari, affirmant : « Nous avons peur d'essayer d'aller à Bahreïn parce que mon mari et mes enfants pourraient se voir interdire de revenir au Qatar ».
Bien que de nouvelles politiques aient abordé cette situation en termes de familles de nationalité mixte, il semble que les enfants et les conjoints de femmes qataries continuent de se voir refuser l'accès à une gamme de droits et de privilèges en raison de l'incapacité des femmes qataries à conférer la nationalité sur un pied d'égalité avec les hommes.
Des rapports sur Al-Ghofran ont commencé à fuiter en 2005. Les organisations internationales de défense des droits  de l’homme ont publié des informations sur le sort du clan, notamment en 2017. En octobre 2018, trois ONG, dont le Rights Realization Center, ont soulevé la question. La même année, les membres de la tribu Al-Ghofran ont, de nouveau,  soulevé leur cas devant des responsables de l'ONU. En 2019, Human Rights Watch a fait campagne sur la question.
Nous ne partirons pas. En septembre 2019, neuf ONG se sont prononcées sur le bilan du Qatar en matière de droits de l'homme, se déclarant « préoccupées par le fait que certains groupes tels que les Bidoune et d'autres restent apatrides et que, en vertu de la loi sur la nationalité, des individus peuvent être déchus de leur citoyenneté ».
Le Qatar peut - et doit - mieux faire.

• Drewery Dyke est un chercheur spécialisé dans la sensibilisation internationale relative aux droits de l’homme dans les pays du CCG.
L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.