Depuis le IIe siècle av. J.-C., lorsque la Route de la soie traversait les territoires nord et sud du Grand Caucase, cette région a joué un rôle fondamental en reliant la côte de la mer Noire à la Chine ainsi que le Proche-Orient et le Moyen-Orient à l’Europe. Pendant la guerre froide et en raison du rideau de fer soviétique, l’importance de la région s’est amoindrie. Cependant, depuis l’effondrement de l'Union soviétique, les considérations géopolitiques et macroéconomiques ont joué un rôle essentiel dans la formation du Caucase, ainsi que les vastes ressources économiques de la région. La région s’est rapidement transformée en un centre de concurrence géopolitique où les puissances se disputent une plus grande influence pour des raisons géopolitiques et économiques.
Compte tenu de sa proximité avec le Moyen-Orient, le Caucase revêt une importance particulière. Cet article se penchera plus particulièrement sur ses relations avec les États du Golfe. Ces deux régions ont beaucoup en commun. Toutes deux sont riches en ressources et elles sont situées dans des lieux géopolitiques importants. Par ailleurs, la religion est un dénominateur commun qui unit leurs peuples. En outre, l’importance des deux régions sur l’échiquier international s’est accrue depuis l’invasion russe de l’Ukraine, qui a perturbé l’approvisionnement énergétique et alimentaire mondial. Ce conflit a créé de nouvelles possibilités pour le Caucase et le Golfe de se développer et de prospérer en établissant des collaborations plus étroites.
Depuis le milieu des années 1990, la région du Caucase est devenue un marché important pour l’Arabie saoudite, qui y a renforcé ses liens économiques. Le Royaume a récemment augmenté le volume de ses investissements en Azerbaïdjan et de nombreuses possibilités laissent présager une augmentation du volume des échanges entre les deux pays.
En juin, le vice-ministre saoudien de l’Investissement et coprésident du Conseil commercial conjoint saoudo-azerbaïdjanais, Ahmed Ali al-Dakhil, a rencontré le ministre azerbaïdjanais des Finances, Samir Charifov. M. Al-Dakhil a évoqué l’expansion des relations économiques bilatérales, tandis que M. Charifov a invité les milieux d’affaires saoudiens à prendre activement part aux travaux de reconstruction et de construction en cours dans les régions azerbaïdjanaises du Karabakh et de l’est de Zangezour.
Les produits agricoles de Bakou ont trouvé leur place sur le marché émirati et celui qatari, étant donné que tous deux considèrent l’Azerbaïdjan comme une source importante de sécurité alimentaire, ce qui a stimulé la collaboration économique.
Entre-temps, le volume des échanges entre les Émirats arabes unis (EAU) et l’Arménie a atteint plus d’un milliard de dollars (1 dollar = 0,91 euro) et le commerce non pétrolier a augmenté de 110%. La Géorgie a également vu ses liens avec les États du Golfe s’améliorer et ses échanges commerciaux ont surtout augmenté avec les EAU. Les entreprises qataries ont cherché à investir dans le marché immobilier du pays. En 2022, la Géorgie et l’Arabie saoudite se sont entendues sur un certain nombre de questions liées à l’économie, à l’énergie et à la sécurité lors de la fin de la visite du Premier ministre géorgien à Riyad.
Il est important de ne pas oublier que certaines parties du sud de la Russie sont également considérées comme faisant partie de la région du Caucase. Les relations du Golfe avec la Russie se sont considérablement améliorées récemment, stimulées par un manque de satisfaction à l’égard du dispositif de sécurité régionale adopté par les États-Unis. Le Golfe a le sentiment que l’on continue de l’ignorer et que ses intérêts ne sont pas pris en compte lorsque Washington élabore des politiques ou des stratégies pour la région.
L’importance des deux régions sur l’échiquier international a pris de l’ampleur depuis l’invasion par la Russie de l’Ukraine.
Dr Mohammed al-Sulami
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de voir les États du Golfe se rapprocher de la Russie pour rechercher leurs intérêts nationaux et développer une trajectoire de politique étrangère indépendante, comme en témoigne leur neutralité dans la guerre russo-ukrainienne, malgré les pressions occidentales pour qu’ils soutiennent l’Ukraine. La Russie considère le Golfe comme une région importante et un potentiel couloir vers l’Asie. Par ailleurs, les relations se sont développées rapidement avec l’Arabie saoudite sous la direction du prince héritier, Mohammed ben Salmane, qui a pris des décisions audacieuses pour investir en Russie malgré la pression occidentale et pour élargir le champ de collaboration avec Moscou. En outre, les EAU et la Russie ont resserré les liens et, lors d’une rencontre entre leurs présidents respectifs au mois de juin, les deux pays ont réaffirmé leur intention d’élargir leur collaboration dans plusieurs domaines.
Compte tenu des développements susmentionnés, les relations entre le Golfe et le Caucase ont un potentiel considérable. Les étapes et initiatives suivantes doivent être prises pour profiter des possibilités existantes.
D’abord, il y a la coopération économique. Les deux régions peuvent renforcer leurs liens économiques en améliorant les routes commerciales existantes et en en créant de nouvelles pour les réseaux de transport, d’énergie et de communication.
Deuxièmement, les échanges culturels sont nécessaires. La promotion de programmes d’échanges culturels, de collaborations universitaires et de contacts interpersonnels peut contribuer à favoriser la compréhension et la bonne volonté entre les deux régions.
Le dialogue politique devrait être un troisième objectif. Des réunions et des forums réguliers impliquant des dirigeants politiques, des diplomates, des groupes de réflexion et des décideurs politiques des deux régions peuvent faciliter un dialogue constructif et promouvoir la confiance.
Une quatrième initiative pourrait résider dans la coopération en matière de sécurité. En travaillant ensemble dans la lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale et la sécurité des frontières, les deux régions peuvent conjointement faire face à ces menaces en développant des approches communes. Cela peut commencer par des exercices d’entraînement conjoints et par une collaboration dans les efforts de lutte contre le terrorisme.
Enfin, l’adhésion à des organisations multilatérales et régionales est importante. Elle favoriserait le dialogue et les collaborations sur des défis communs. Le Caucase et les États du Golfe peuvent bénéficier de leur participation à des organisations existantes, comme l’Organisation de la coopération islamique (OCI), ou créer de nouvelles organisations adaptées à leurs besoins et intérêts spécifiques.
En conclusion, le Caucase et le Golfe peuvent renforcer leur relation et la porter à un autre niveau en menant à bien ces démarches et ces initiatives qui engendreraient croissance et prospérité aux niveaux national et régional. En outre, la situation géopolitique actuelle, en particulier en ce qui concerne la guerre en Ukraine et l’isolement international de la Russie, offre un espace au Golfe et au Caucase pour établir des relations plus étroites.
Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).
Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com