WASHINGTON: Avec une querelle diplomatique qui, selon les observateurs régionaux, risque d’atteindre prochainement un seuil critique, les tensions entre l’Iran et l’Azerbaïdjan sont particulièrement vives.
Bien que les deux pays entretiennent en temps normal des relations cordiales, leurs visions politiques et leurs approches stratégiques divergent.
Les autorités azerbaïdjanaises, frustrées depuis longtemps par le soutien qu’apporte l’Iran à son voisin et rival, l’Arménie, ont lancé une campagne de répression contre la contrebande transfrontalière iranienne, qui constituait une bouée de sauvetage pour la résistance séparatiste arménienne dans la région du Haut-Karabakh.
En 2020, après un cessez-le-feu négocié par la Russie, les forces arméniennes ont renoncé à une grande partie du Haut-Karabakh au profit de l’Azerbaïdjan. Il s’agissait d’une victoire significative pour Bakou après une guerre qui a duré quarante-quatre jours.
Dans le Haut-Karabakh, des séparatistes arméniens protégés par des Casques bleus russes contrôlent toujours la ville de Khankendi, également connue sous le nom de «Stepanakert», ainsi qu’une poignée de villages environnants.
L’intégralité de la frontière commune entre l’Iran avec ce qui était autrefois le Haut-Karabakh occupé par les Arméniens est désormais sous le contrôle des autorités azerbaïdjanaises.
Cependant, des camions iraniens continueraient d’entrer dans le Haut-Karabakh sans payer les frais de douane requis au gouvernement azerbaïdjanais.
«Ce n’est pas la première fois que des camions iraniens se rendent illégalement dans la région du Karabakh», a déclaré cette semaine le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev.
«Cela s’est produit à plusieurs reprises pendant la période d’occupation. Une soixantaine de camions iraniens sont entrés sans autorisation dans la région azerbaïdjanaise du Karabakh entre le 11 août et le 11 septembre de cette année, après que l’Azerbaïdjan a appelé l’Iran à mettre fin à cette pratique.»
«Nous avons alors décidé de contrôler la route qui traverse le territoire azerbaïdjanais pour mettre fin au passage des camions envoyés par l’Iran au Karabakh.»
Les tensions ont été attisées par des activités militaires conjointes organisées par l’armée azerbaïdjanaise avec la Turquie et le Pakistan à 500 kilomètres de la frontière du pays avec l’Iran.
M. Aliyev a également inauguré une nouvelle base militaire dans la ville de Jabrayil (juste à la frontière avec l’Iran, dans le Haut-Karabakh) en veillant à se faire photographier à côté de drones de combat de fabrication israélienne IAI Harop . Ces derniers ont causé d’importants dégâts pendant la guerre de 2020 lorsque l’Azerbaïdjan les a utilisés.
L’Iran affirme que l’Azerbaïdjan a autorisé Israël à établir une base à la frontière iranienne.
«L’Iran ne tolérera pas la présence du régime sioniste près de ses frontières», a déclaré Saïd Khatibzadeh, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères.
Par la suite, l’Iran a procédé à des exercices militaires le long de sa frontière avec l’Azerbaïdjan pendant plusieurs jours.
Selon l’agence de presse iranienne Tasnim, le gouvernement azerbaïdjanais a ordonné la fermeture d’une mosquée qui était liée au Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, à Bakou.
«La mosquée et le bureau de représentation de Seyyed Ali Akbar Ojaghnéjad, envoyé du Guide suprême, Ali Khamenei, à Bakou, ont été scellés et fermés sur ordre des autorités de la république d'Azerbaïdjan», a annoncé l’agence.
L’Azerbaïdjan a répondu en affirmant que cette décision était nécessaire en raison de «l’augmentation des cas de Covid-19 dans plusieurs sites de Bakou», ajoutant que le fonctionnement de la mosquée était «temporairement suspendu».
L’ambassade d’Iran à Bakou soutient qu’elle n’a pas été prévenue de cette décision.
Dans un entretien accordé à Arab News, Farid Shafiyev, président du Centre d’analyse des relations internationales, à Bakou, indique: «Seul l’Iran sera affecté par ces déclarations. Téhéran devrait d’abord considérer le Caucase comme une région de coopération potentielle.»
«Les déclarations de Téhéran sur les forces de pays tiers ou étrangères en Azerbaïdjan concernent principalement Israël et la Turquie, mais l’Iran doit comprendre que nous ne nous en cachons pas.»
«L’Azerbaïdjan coopère avec Israël et la Turquie sur le plan économique et militaire. Il entretient également des liens économiques solides avec les deux pays. Cette coopération sert, avant tout, à garantir la sécurité de l’Azerbaïdjan. Elle n’est pas tournée contre l’Iran.»
Selon M. Shafiyev, l’Iran redoute l’influence régionale croissante de l’Azerbaïdjan pour deux raisons. La première est le couloir de Zanguezour, que Bakou envisage de mettre en place à travers le sud de l’Arménie afin d’accéder à l’enclave de Nakhitchevan, à la frontière de la Turquie.
Selon M. Shafiyev, l’Iran craint que cette stratégie, établie conformément aux dispositions de l’accord de cessez-le-feu, ne laisse le pays en marge de la région.
La seconde explication réside dans la relation de longue date qu’entretient l’Azerbaïdjan avec Israël. Elle provoque la colère de l’Iran au moment où son programme nucléaire se trouve retardé par une série d’opérations secrètes dont le responsable, présume Téhéran, serait Israël.
M. Shafiyev affirme qu’il est fort peu probable que l’Azerbaïdjan cède aux tentatives d’intimidation de l’Iran.
«C’est notre droit souverain. Notre coopération avec Israël concerne avant tout la sécurité. Les armes israéliennes ont montré leur efficacité pendant la guerre patriotique [du Haut-Karabakh]», souligne-t-il.
«En tant qu’ancien diplomate, j’aimerais que les problèmes se règlent par voie diplomatique. L’Iran devrait plutôt voir dans cette région un potentiel de coopération.»
Ahmed Obali, analyste azerbaïdjanais qui réside aux États-Unis et fondateur de Gunaz TV, pense également que l’issue de la guerre du Haut-Karabakh, en 2020, est le moteur de la politique iranienne dans la région.
«L’Iran ne veut pas accepter le fait que l’Azerbaïdjan ait gagné la guerre du Karabakh et libéré la frontière entre l’Iran et l’Azerbaïdjan de l’occupation arménienne», souligne-t-il.
«L’Iran a perdu des revenus importants lorsque l’Azerbaïdjan a repris le Karabakh aux Arméniens. La zone frontalière de cette région était largement utilisée pour la contrebande et l’exportation de stupéfiants. Désormais, c’est l’Azerbaïdjan qui est en contrôle.»
«L’Iran est également opposé à la volonté de l’Azerbaïdjan de construire le couloir de Zanguezour, ce qui obligerait l’Iran à payer un tribut qu’il aurait pu percevoir.»
Il poursuit: «L’Iran a été pris en flagrant délit. Les chauffeurs de camion iraniens ont été arrêtés par les autorités azerbaïdjanaises après avoir livré des marchandises. Ces déplacements ont désormais cessé, ce qui ajoute à l’irritation de Téhéran.»
«La consolidation des liens entre la Turquie et l’Azerbaïdjan dérange l’Iran. Les autorités iraniennes sont frustrées et se montrent plus agressives en raison de la montée en puissance de l’Azerbaïdjan.»
M. Obali affirme que la victoire de Bakou dans la guerre du Haut-Karabakh a remonté le moral des millions d’Azerbaïdjanais en Iran qui s’opposent à la politique de Téhéran envers leur ethnie.
«L’Iran a été encouragé par le fait que la présence américaine soit plus réduite dans la région, avec son retrait d’Afghanistan, l’approche plus souple de l’administration américaine actuelle à l’égard de l’Iran ainsi que le rétablissement potentiel du plan d’action conjoint», explique Efgan Nifti, PDG du Caspian Policy Center, qui fait référence à l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien de 2015.
«L’Iran pense pouvoir défier ses partenaires occidentaux avec le léger retrait des puissances américaines et européennes. La reprise par Bakou du contrôle de son territoire souverain a mis fin au trafic et au commerce illicites de l’Iran.»
«De plus, l’ouverture du couloir de Zanguezour et des voies de communication régionales est-ouest fera perdre à l’Iran le contrôle du commerce et du transit.»
«L’Iran ressent également une grande frustration face aux difficultés économiques et au mécontentement populaire croissant, qui le rendent peu sûr de sa population multiethnique. Cette tension avec Bakou aide le régime à détourner l’attention du public des véritables problèmes intérieurs», ajoute M. Nifti.
Les victoires territoriales et stratégiques récentes de l’Azerbaïdjan, en plus de sa capacité à gagner le soutien d’Israël et de la Turquie, pourraient indéniablement constituer un moyen de dissuasion contre de futures ingérences iraniennes.
«L’Azerbaïdjan renforce ses relations avec la Turquie et Israël, ce que l’Iran perçoit comme une menace existentielle», conclut M. Nifti.
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Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com