Près de cinq cents jours après le début de la guerre en Ukraine, la question essentielle dans l’esprit des décideurs politiques internationaux est de savoir quelle incidence l’extraordinaire mutinerie du groupe Wagner le week-end dernier aura sur le conflit.
Le soulèvement, qui a mis en lumière les divisions internes croissantes au sein de la Russie, ne contribuera en rien à renforcer l’effort de guerre déjà chancelant du pays. Mais son incidence plus large, notamment sur l’emprise du président, Vladimir Poutine, sur le pouvoir, ne sera pleinement connue que dans plusieurs jours, voire semaines. Et ce malgré certaines évaluations instantanées, notamment de l’ancien Premier ministre russe, Mikhail Kasyanov, qui affirme que c’est le «début de la fin» de la présidence de M. Poutine.
Plusieurs autres commentateurs, dont l’ancien chef des services de renseignement britannique MI6, Richard Dearlove, avaient précédemment prédit que Vladimir Poutine ne pourrait rester au pouvoir que pendant quelques mois, plutôt que des années, et que la Russie pourrait être divisée en plusieurs États. Cependant, la longévité politique du président a été remarquable au cours du dernier quart de siècle et, s’il est clairement très affaibli, il n’a toujours pas été éliminé.
Ce qui aide M. Poutine, c’est le soutien qu’il reçoit de pays étrangers, notamment des alliés fidèles tels que la Chine et d’autres nations amies comme la Turquie. Pékin a déclaré dimanche soutenir la Russie dans sa «protection de la stabilité nationale». Le même jour, le ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, a rencontré le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Andrey Rudenko.
La mutinerie de Wagner survient au moment où l’initiative de la guerre s’est largement déplacée vers l’Ukraine, alors qu’elle appliquait sa contre-offensive très attendue. Kiev espère pouvoir réaliser des gains encore plus importants que prévu auparavant si le désarroi s’installe au sein des forces pro-Moscou.
Si Vladimir Poutine reste au pouvoir, ce qui semble très probable dans un avenir prévisible, et que l’effort de guerre russe se poursuit, le conflit suivra probablement une trajectoire de guerre d’usure, bien qu’avec des rebondissements importants. Cela semble particulièrement probable tant que les deux parties restent prêtes à dépenser des ressources massives.
Certaines sources de renseignement occidentales estiment que plus de deux cent mille soldats russes sont déjà morts sur le champ de bataille, ce qui était l’un des principaux reproches du chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine. Dans le même temps, l’Occident a mobilisé d’énormes sommes en termes de soutien militaire pour l’Ukraine.
Historiquement, les guerres ont tendance à se terminer lorsqu’une partie impose sa volonté à l’autre sur le champ de bataille, puis autour de la table des négociations; ou lorsque les deux parties adoptent un compromis qu’elles jugent préférable au combat. Bien que l’une de ces issues puisse émerger – par exemple, si la contre-offensive ukrainienne réalise des gains massifs et spectaculaires et/ou si le gouvernement Poutine implose – elles restent hautement improbables à l'heure où nous écrivons ces lignes, malgré les récents événements.
«Historiquement, les guerres ont tendance à se terminer lorsqu’une partie impose sa volonté à l’autre sur le champ de bataille, puis autour de la table des négociations.» - Andrew Hammond
Bien qu’une guerre d’usure continue puisse impliquer une certaine stabilité dans le conflit, les événements de ces derniers jours montrent que ce n’est pas le cas et les risques restent en réalité exceptionnellement élevés. C'est la raison pour laquelle l'issue du conflit reste si imprévisible – un facteur qui n’est pas aidé par les effets d’intimidation de la Russie concernant son utilisation potentielle d’armes nucléaires et son mépris pour les sites de production d'électricité d'origine nucléaire.
Aussi pessimiste que puisse paraître ce scénario central d’une guerre d’usure continue, dont le bilan humain – sans parler des millions de réfugiés – serait le plus élevé de tous, il existe au moins deux autres issues plausibles. Tout d’abord, il existe une marge de manœuvre en faveur de pourparlers de paix, en particulier si une guerre d’usure se poursuit pendant plusieurs mois, avec de lourdes pertes subies par les deux parties.
Bien que ni Moscou ni Kiev ne témoignent actuellement d’une volonté claire de négocier, cela pourrait changer. Du côté de l’Ukraine, à titre d’exemple, si la contre-offensive ne produit que peu de résultats, la pression pourrait augmenter de manière significative en Occident pour envisager un accord de paix. Il y aurait évidemment beaucoup d’opposition à cela, mais un compromis pourrait être trouvé.
Par exemple, les principaux dirigeants occidentaux pourraient rappeler à l’Ukraine que, pendant la guerre froide, l’alliance dirigée par les États-Unis n’a pas reconnu le contrôle soviétique des trois États baltes. En fin de compte, ces pays sont devenus libres et démocratiques après la fin de la guerre froide. Le parallèle avec les parties de l’Ukraine actuellement occupées par les forces pro-Moscou pourrait être renforcé par une généreuse aide occidentale à la construction, ainsi que des garanties de sécurité pour Kiev.
Pour M. Poutine, un accord de paix pourrait avoir une utilité croissante alors qu’il élabore sa stratégie politique avant le scrutin présidentiel du printemps prochain. Le dirigeant russe pourrait chercher à faire valoir que, malgré les échecs manifestes de la campagne militaire de Moscou, il s’agit d’une mission accomplie grâce à la mainmise sur des parties importantes du territoire ukrainien, si celles-ci peuvent être conservées dans l’intervalle.
Un autre facteur susceptible de renforcer les perspectives de paix est l’intérêt croissant de la Chine pour le conflit. Le président, Xi Jinping, qui a déjà élaboré un vague plan de paix, est le dirigeant mondial le plus influent en Russie.
Toutefois, le pire scénario – l’escalade – est également possible en raison de la faiblesse croissante de la Russie. Le conflit pourrait même s’intensifier au-delà de l’Ukraine pour inclure des pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan).
Bien que ce scénario semble encore très improbable, il ne peut être écarté, tant la situation est incertaine. Tandis que l’Otan fait ce qu’elle peut pour soutenir l’Ukraine sans participer à une confrontation militaire directe, les erreurs de calcul sont une réelle préoccupation.
Cependant, un tel résultat n’est pas encore le scénario central. Il s’agit plutôt d’une guerre d’usure.
Andrew Hammond est un associé à la London School of Economics.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com