Ce mois-ci, à la veille de la conférence des donateurs de cette année au profit de l’Office onusienne pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (Unrwa), l’organisme international a lancé un avertissement. «L’agence a atteint les limites de sa capacité à gérer le sous-financement chronique des dix dernières années grâce à une combinaison de contrôle des coûts, de mesures d’austérité et d’accumulation de dettes», a-t-elle alerté.
Selon le commissaire général de l’Unrwa, Philippe Lazzarini, cette crise financière empêchera le programme des Nations unies, d’ici au mois de septembre, d’assurer la fourniture des services de base et l’aide humanitaire vitale, dans les domaines de l’éducation, de la santé, des services sociaux, de la microfinance, de l’amélioration des infrastructures et des camps, ainsi que de la protection.
Le bon sens veut que, lorsque la sonnette d’alarme est tirée aussi explicitement par la personne qui dirige l’une des organisations humanitaires et de développement les plus complexes de la planète, les pays donateurs se précipitent pour combler le déficit dans le budget. L’agence fournit non seulement des services essentiels à 5,7 millions de réfugiés enregistrés, dont une aide alimentaire d’urgence à 1,5 million de réfugiés palestiniens dans les territoires occupés et en Syrie, mais c’est aussi une source majeure de stabilité régionale.
Hélas les promesses n’ont pas été à la hauteur de celles qui étaient requises, mettant en danger les écoles, les cliniques, les petites entreprises et les dizaines de milliers d’emplois détenus par les réfugiés palestiniens. Surtout, ce n’était pas le reflet de l’Unrwa, mais une démonstration de la faiblesse de la communauté internationale et de son incapacité non seulement à respecter l’engagement de ses membres en faveur du bien-être et du développement des réfugiés, mais aussi à comprendre que, sans le dévouement de cette organisation plutôt unique, il existe une réelle menace pour la stabilité fragile en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et surtout à Gaza.
Les pays qui n’aident pas l’Unrwa à atteindre ses objectifs budgétaires devraient se poser un certain nombre de questions.
Yossi Mekelberg
Aucune aide étrangère n’est qu’un simple acte de charité : il s’agit également d’un instrument de softpower. Et même si le fait de soutenir des générations de millions de Palestiniens qui ont été victimes de guerres et de conflits constitue une cause noble par excellence, les pays qui n’aident pas l’Unrwa à atteindre ses objectifs budgétaires devraient se poser un certain nombre de questions – par exemple sur les implications pour les Palestiniens, Israël, la région au sens large et, par conséquent, pour eux-mêmes, dans l’hypothèse où les activités de l’organisation en viendraient à cesser ou à être considérablement réduites. Par ailleurs, que se passerait-il si 1,2 million de personnes qui vivent sous le blocus israélien à Gaza souffraient de la famine ?
Le pragmatisme, la coexistence et la paix triompheront-ils si les écoles de l’Unrwa sont fermées, ou cela poussera-t-il les jeunes dans les bras des forces les plus extrémistes, qui prônent la résistance armée et la violence ? Dans quelle mesure cela affectera-t-il la stabilité de l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie ou celle de la Jordanie, ce qui pourrait également être préjudiciable pour le reste de la région ? Enfin, l’Europe va-t-elle accueillir à bras ouverts des centaines de milliers de Palestiniens – et peut-être des millions – qui deviendront une fois de plus, si tout implose, des réfugiés ?
Je suis désolé de ne pas apporter à ces questions, qui sont rhétoriques, de réponses détaillées : ces dernières sont beaucoup trop évidentes, et donc alarmantes. Dans ce cas, le budget de l’Unrwa d’1,4 milliard de dollars (1 dollar = 0,92 euro) n’est qu’un prix dérisoire pour la communauté internationale compte tenu des services de grande qualité que cet organisme des Nations unies fournit depuis près de trois quarts de siècle.
Ceux qui critiquent l’Unrwa le font pour diverses raisons qui sont loin d’être convaincantes, la plupart d’entre elles sont malhonnêtes. Pour certains, l’organisation sert de bouc émissaire pour couvrir leurs propres échecs,comme leur incapacité à mettre fin au plus long conflit de l’après-Seconde Guerre mondiale ou leur inaptitude totale à faire face au sort des réfugiés palestiniens, qu’il s’agisse de fournir une aide humanitaire ou de garantir qu’ils jouissent des droits de l’homme et de citoyenneté.
Le budget de l’Unrwa d’1,4 milliard de dollars (1 dollar = 0,92 euro) n’est qu’un prix dérisoire pour la communauté internationale.
Yossi Mekelberg
Une grande partie des accusations du gouvernement israélien contre l’organisation ne résistent à aucun examen factuel. Affirmer que l’Unrwa perpétue le conflit est absurde, tant sur le plan moral que pratique. L’organisation existe parce qu’il n’y a pas d’accord de paix et parce qu’il y a une occupation israélienne. Je n’ai entendu personne suggérer un fournisseur alternatif, et certainement pas Israël, qui a joué un rôle crucial dans la création du problème des réfugiés au départ et l’a prolongé sans fin en vue.
À Gaza et en Cisjordanie, assurer le bien-être des personnes occupées relève de la responsabilité de la puissance occupante et non de la communauté internationale, bien que le gouvernement israélien ne risque pas d’exprimer sa gratitude envers l’Unrwa de sitôt. De plus, personne n’est plus préoccupé que les forces de sécurité israéliennes par l’effondrement possible de l’Unrwa, qui laisserait place à la colère et au chaos.
De plus, l’un des arguments les plus pervers parmi ceux qui remettent en question le droit d’existence de l’Unrwa est que la plupart des personnes enregistrées auprès de l’agence ne sont pas les réfugiés d’origine. Si cet argument devient une norme internationale, cette dernière acceptera que tout acte répréhensible commis contre d’autres personnes – même des atrocités délibérées – s’efface avec le temps, il n’y aurait alors aucune obligation envers les générations qui viennent après les victimes d’origine. Ce serait un dangereux précédent qui saperait l’essence même de la charte des Nations unies.
D’autres accusations portées contre les manuels scolaires dans les écoles palestiniennes qui encouragent le discours de haine contre Israël et les juifs s’avèrent anecdotiques. Et, de toute façon, les livres ne sont pas sélectionnés par l’Unrwa, mais par les pays hôtes ou l’AP. Certes, de temps en temps, un employé palestinien promeut un langage antisémite ou fait de la contrebande d’armes au nom d’un groupe militant. Ces cas, très rares, sont pris très au sérieux et traités dans le cadre du processus disciplinaire de l’organisation. Si l’on suit la logique qui consiste à dissoudre une organisation en raison des transgressions opérées par des individus, alors les Forces de défense israéliennes, par exemple, seraient également dissoutes. En effet, ses soldats volent ponctuellement des armes et des munitions et les revendent à des groupes criminels, à des groupes armés palestiniens ou à des institutions israéliennes au sein desquelles des individus, sinon ces institutions elles-mêmes, utilisent des discours de haine méprisables contre les Arabes et leurs rivaux idéologiques.
Loin des incitations injustifiées contre l’Unrwa, l’Assemblée générale des nations unies, qui a chargé l’organisme d’une tâche presque impossible à réaliser en lui demandant de fournir des services de qualité – chose qu’il a accomplie dans la plupart des cas avec tant de succès –, devrait le soutenir politiquement sans réserve contre ceux qui s’en servent comme un bouc émissaire afin de dissimuler leurs propres échecs. Elle devrait par ailleurs lui accorder un mandat à plus long terme et lui fournir un budget adéquat pendant trois à cinq ans au moins, ce qui lui garantirait stabilité, maintien et assurance jusqu’à un accord de paix entre Israéliens et Palestiniens.
Le mois de septembre approche à grands pas, et si l’Unrwa s’effondre, le tremblement de terre qui s’ensuivra causera d’énormes dommages non seulement aux réfugiés palestiniens, mais aussi à leurs pays d’accueil, à la région et à la crédibilité du système des Nations unies.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com