Les élections turques se sont tenues en pleine période de désescalade et de normalisation dans la région. Dans ce contexte, le résultat des élections en Turquie était particulièrement important pour les États du Golfe souhaitant un partenaire fiable en cette ère post-électorale.
Ces derniers ont maintenu une position neutre sans faire de déclarations sur des chaînes officielles ou non officielles au cours des élections en Turquie, adoptant principalement une approche «attentiste». L’enjeu était pourtant de première importance, Ankara étant un acteur majeur de la région et au vu des investissements ambitieux effectués dans le pays conformément à des visions concordantes.
Cependant, le résultat des élections était très critique pour eux puisque la Turquie est un acteur majeur dans la région où ils ont fait des investissements et ont mené des projets d’envergure conformément à leurs visions nationales ambitieuses.
Les dirigeants des États du Golfe font partie des premiers à avoir félicité Recep Tayyip Erdogan pour sa réélection. Ils ont immédiatement exprimé leur ferme engagement à maintenir et même améliorer les relations avec Ankara au cours du prochain mandat du président turc.
Maintenant que M. Erdogan a été réélu pour un nouveau mandat de cinq ans, quelle pourrait être la prochaine étape à atteindre pour les relations entre la Turquie et le Golfe ? Compte tenu du climat actuel de réconciliation dans la région, Ankara continuera de donner la priorité à ses relations avec les États du Golfe, qui sont des acteurs importants sur les marchés du commerce et de la défense de la Turquie. À cet égard, Ankara tentera d’approfondir ses liens économiques, politiques et sécuritaires avec les différents États du Golfe. Ce faisant, il est probable que les relations entre la Turquie et le Golfe continuent d’être aussi familières qu’au cours des deux dernières décennies. Aujourd’hui, de nombreux dirigeants développent des rapports de proximité pour établir des relations avec des dirigeants étrangers comme un «raccourci» pour atteindre des objectifs de politique étrangère. M. Erdogan est certainement l’un de ces dirigeants qui recourent au pouvoir de la diplomatie directe, souvent considérée comme un moyen pratique de résoudre les crises et d’élargir la coopération bilatérale. Par conséquent, au cours des cinq prochaines années du mandat de M. Erdogan, nous assisterons probablement à la poursuite de la coopération entre les dirigeants dans une série de domaines.
Dans cette nouvelle ère, en tant qu’acteur extérieur, la Turquie devrait établir une stratégie unifiée et globale envers le Conseil de coopération du Golfe, tout en continuant à coopérer bilatéralement avec les différents États du CCG sur des dossiers distincts. Les relations Turquie-CCG nécessitent toujours un partenariat stratégique solide et institutionnalisé. Une politique étrangère personnalisée peut apporter des avantages, mais atteindre un niveau institutionnel transformerait la relation en un engagement soutenu qui pourrait donner un nouvel élan aux relations.
En outre, les relations bilatérales de la Turquie avec chaque État du CCG ont leur propre dynamique. Par exemple, le cas des relations turco-saoudiennes est intéressant. Les relations entre Ankara et Riyad étaient relativement cordiales au cours des années 2000, avant de connaître un déclin considérable au cours des années 2010. Avec le début des années 2020, les deux pays ont de nouveau œuvré pour rétablir une tendance positive. Les récents efforts de réconciliation indiquent que la dynamique positive enclenchée devrait se poursuivre.
«Compte tenu du climat actuel de réconciliation dans la région, Ankara continuera de donner la priorité à ses relations avec les États du Golfe».
- Sinem Cengiz
Grâce aux dirigeants actuels des deux pays, Ankara et Riyad devraient continuer à poursuivre des programmes de politique étrangère ambitieux. Il existe trois domaines-clés, à savoir l’économie, la défense et le volet régional/international, où les relations turco-saoudiennes devraient se développer au cours des cinq prochaines années. Les deux pays ont signé plusieurs accords en mars avec cet objectif en tête. En outre, il pourrait y avoir une coopération plus étroite sur d’autres questions régionales d’intérêt commun. Par exemple, Ankara et Riyad ont intérêt à résoudre la crise soudanaise en cours et pourraient collaborer pour parvenir à un règlement du conflit entre les factions belligérantes.
Notons que le Qatar, dont les relations avec Ankara se sont rapidement améliorées au cours de la dernière décennie, a été le premier État du Golfe à féliciter M. Erdogan pour son succès électoral. Pendant les cinq prochaines années, davantage d’investissements devraient être faits par le Qatar en Turquie parallèlement à un rôle croissant de l’industrie de la défense turque au Qatar. Bien que les relations turco-qataries aient trouvé une base solide en raison de facteurs régionaux et mondiaux, le rôle des dirigeants dans le renforcement de ces relations ne devrait pas être sous-estimé.
Une coopération plus étroite sur les questions régionales d’intérêt mutuel caractériserait sans doute les relations turco-qataries. Par exemple, la Syrie et la question du rapatriement des réfugiés syriens en Turquie feront partie de ces questions. Dans son discours de victoire, M. Erdogan affirme que la Turquie rapatrierait au moins un million de Syriens dans le nord de la Syrie, libéré des groupes terroristes, avec un projet de logement soutenu par le Qatar. Outre la Syrie, la Libye et le Soudan constituent des dossiers régionaux sur lesquels la Turquie et le Qatar continueront probablement à coopérer.
Il y a certainement des domaines dans lesquels d’autres États du CCG, comme les Émirats arabes unis, coopéreraient avec la Turquie sous le mandat de M. Erdogan. Cette semaine, la Turquie et les Émirats arabes unis ont ratifié l’accord de libre-échange, signé en mars, pour porter le commerce entre les deux pays à 40 milliards de dollars (1 dollar = 0,93 euro) au cours des cinq prochaines années. Reste à savoir si d’autres États du CCG suivront le même chemin.
En attendant, il est également essentiel de prendre en compte la dimension internationale, en particulier le résultat des élections présidentielles américaines de 2024 qui pourraient influencer de manière significative les relations de la Turquie avec les États du Golfe. En gardant cela à l’esprit, il convient de mettre en lumière les désaccords politiques qui opposent toujours la Turquie à certains États du CCG. Il faudrait que les parties s’engagent à reconnaître leurs différences pour éviter de futures impasses.
M. Erdogan devrait se rendre prochainement dans le Golfe et en Égypte, ce qui reflète l’importance des États du Golfe dans le cadre de la politique étrangère turque au cours du prochain mandat. À la lumière du récent rapprochement avec les États du Golfe, nous espérons qu’une nouvelle approche turque de la région sera mise en place. Une telle stratégie permettrait d’aller au-delà du lien économique et sécuritaire pour inclure une dimension socio-culturelle capable d’apporter des avantages à long terme à toutes les parties.
Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient.
Twitter: @SinemCngz
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com