La dynamique remarquable de la politique étrangère saoudienne

la diplomatie saoudienne est à l'offensive et vise à installer son leadership au Moyen-Orient (Photo, SPA).
la diplomatie saoudienne est à l'offensive et vise à installer son leadership au Moyen-Orient (Photo, SPA).
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Publié le Jeudi 18 mai 2023

La dynamique remarquable de la politique étrangère saoudienne

La dynamique remarquable de la politique étrangère saoudienne
  • Le Royaume prend son destin en main et ouvre le dialogue avec les États de la région
  • Au Soudan, en pleine tragédie, la diplomatie saoudienne s'est immédiatement portée en puissance régionale médiatrice entre les deux chefs de guerre qui s'affrontent

Le fait est là et il mérite attention : la diplomatie saoudienne est à l'offensive et vise à installer son leadership au Moyen-Orient. Avec un certain succès, même si les enjeux sont lourds et les obstacles bien réels. Qu'on en juge !

La pierre d'angle de cette nouvelle architecture diplomatique saoudienne, c'est la reprise de relations normales avec l'Iran. Riyad y travaillait en sous-main avec Téhéran depuis un certain temps, en fait depuis que le désengagement américain dans la région était devenu manifeste. L'interposition chinoise a sans doute accéléré le processus et facilité l'affichage d'un arrangement par les deux parties. À Téhéran, peut-être hypocritement, on se disait prêt depuis longtemps. En tout cas, pour l'Arabie saoudite, c'est un virage à 180° qui change complètement la donne diplomatique dans la région. Le Royaume n'est plus l'obligé des États-Unis. Il prend son destin en main et ouvre le dialogue avec les États de la région.

Depuis lors, il y a eu plusieurs faits qui confirment cette nouvelle stratégie. D'abord au Yémen, la voie vers des arrangements et peut-être vers la paix, est ouverte. Ensuite au Soudan, en pleine tragédie, la diplomatie saoudienne s'est immédiatement portée en puissance régionale médiatrice entre les deux chefs de guerre qui s'affrontent, le général Al-Burhan, chef de l'armée, et le général Dagalo, dit «Hemetti», qui dirige la milice des Forces de soutien rapide (FSR).

L'intervention saoudienne est attendue, comme celle des États-Unis, alors que ce conflit est crucial, qu'il sème d'ores et déjà le chaos dans ce malheureux pays et qu'il risque de déstabiliser la Corne de l'Afrique, du Tchad à l'Érythrée, et de l'Égypte au Sud-Soudan, sans compter les menaces liées à la présence de la milice russe Wagner au Darfour.

Plusieurs faits confirment cette nouvelle stratégie. D'abord au Yémen, la voie vers des arrangements et peut-être vers la paix, est ouverte.

Mais c'est évidemment la reprise des relations avec la Syrie qui fait la plus forte impression. En un temps record, la diplomatie saoudienne a bouclé la négociation de cette opération majeure conduisant non seulement à l'échange d'ambassadeurs et à la réouverture des relations consulaires entre les deux pays, mais aussi à l'invitation de Bachar al-Assad par le roi d'Arabie saoudite au sommet de la Ligue arabe qui se tiendra à Djeddah le 19 mai prochain. C'était en fait une course de vitesse avec la Turquie qui, dans le même moment et pour ce qui concerne cette dernière en pleines élections présidentielle et législative, avait ouvert à Moscou une prise de contact avec le président syrien en présence des partenaires russe et iranien.

L'initiative saoudienne et les retrouvailles arabes de Djeddah constituent des événements au moins aussi importants que les arrangements irano-saoudiens, dont ils sont d'ailleurs la conséquence immédiate. Pour la Syrie, c'est évidemment une opportunité décisive : Damas sort de son isolement et retrouve des marges de manœuvre. Mais pour l'Arabie saoudite, c'est une démarche fondatrice de son leadership régional. Pour les deux pays, c'est gagnant-gagnant.

Il va de soi que cette initiative soulève une série de questions. D'abord, y aura-t-il un prix à payer par la Syrie ? La réponse est probablement positive: si l'Arabie saoudite réintègre la Syrie dans le concert moyen-oriental et dans le tour de table de la Ligue arabe, elle en attend au moins que celle-ci procède à un rééquilibrage de sa diplomatie et fasse au royaume saoudien la place qui lui revient. L'Arabie saoudite sera désormais au cœur de toutes les questions qui concerneront l'avenir de la Syrie. Autre exemple immédiat : la sortie de crise au Liban ne pourra pas se faire sans l'accord de l'Arabie saoudite.

L'initiative saoudienne et les retrouvailles arabes de Djeddah constituent des événements au moins aussi importants que les arrangements irano-saoudiens, dont ils sont d'ailleurs la conséquence immédiate.

Autre question : y aura-t-il une conditionnalité institutionnelle et politique demandée à la Syrie par ses partenaires de la Ligue arabe ? Il y a un signe en ce sens: c'est la feuille de route élaborée à Amman dans laquelle sont évoqués, entre autres sujets, l'organisation d'élections libres syriennes contrôlées par l'Organisation des nations unies (ONU), le droit au retour des exilés dans leur lieu d'origine et les garanties à donner aux victimes de cette longue et très cruelle guerre civile. Mais ce qu'il faut attendre en pratique de ce document reste à démontrer.

Autre question : qui paiera pour la reconstruction syrienne ? Ce sera sûrement un des grands enjeux de la période qui s'ouvre. Il est clair que l'Arabie saoudite est le seul pays de la région à avoir les moyens d'y pourvoir et qu'elle ne voudra sans doute pas se laisser déborder par la Chine. Elle pourra d'ailleurs jouer du prix du pétrole et du gaz du Golfe à cette fin. En tout cas, elle ne fera sûrement rien pour rien.

Dernière question (pour le moment): qu'en pensent les Occidentaux ? Le secrétaire d'État américain a fait une curieuse déclaration, disant à propos de la reprise des relations diplomatiques avec la Syrie que «Bachar al-Assad ne méritait pas cela», ce qui est sûrement vrai, mais ne pèse guère dans ce genre de décision. Les États-Unis ne changeront donc rien. Quant aux Européens, comme d'habitude lorsqu'il y a une décision difficile à prendre, ils sont hésitants et partagés. On peut toutefois penser que, pour le moment, ils vont attendre pour voir comment tourne l'initiative saoudienne. Wait and see.

Mais selon moi, ce que nous allons voir, c'est que le leadership saoudien va continuer de s'affirmer et que, passées les élections en Turquie, le puzzle moyen-oriental va continuer de se réorganiser autour des trois pôles qui se font face et se concurrencent: l'Arabie saoudite, la Turquie, et l'Iran.

Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.