La notion de «pivot vers l’Asie» a été popularisée pour la première fois par les décideurs politiques américains sous l’administration Obama. Cependant, cette notion met également en évidence l’attention croissante que l’Union européenne (UE) accorde à la région économique dont la croissance est la plus rapide à l’échelle mondiale et qui est souvent négligée.
La dernière preuve de cet intérêt de l’entité basée à Bruxelles à l’égard de l’Asie-Pacifique devrait se tenir ce week-end, lorsque le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, coprésidera le Forum ministériel pour la coopération dans l’Indopacifique de l’UE à Stockholm. En vue de renforcer le partenariat entre l’UE et la région Asie-Pacifique, une soixantaine de ministres des Affaires étrangères, ainsi que des représentants d’organisations régionales et d’autres partenaires participeront à la réunion.
La région Asie-Pacifique, qui s’étend de la côte Est de l’Afrique aux nations insulaires de l’océan Pacifique, abrite les trois cinquièmes de la population mondiale. Elle représente 60% du produit intérieur brut (PIB) mondial, deux tiers de la croissance mondiale, 40% des importations totales de l’UE et, avec l’UE, génère 70% du commerce mondial.
Le prochain sommet définira un cadre de coopération politique et économique entre les deux régions sur la base du respect mutuel et de l’égalité. Les discussions porteront sur les défis communs en matière de sécurité, de commerce, de chaînes mondiales de valeur, de numérisation, de transition verte et de sécurité énergétique.
L’objectif sous-jacent de l’engagement de l’Europe auprès de l’Asie-Pacifique est de créer un avantage concurrentiel par rapport aux autres puissances mondiales, notamment les États-Unis. Alors que les États d’Europe, y compris le Royaume-Uni, ont renforcé leur engagement auprès de leurs partenaires d’Asie-Pacifique ces dernières années, c’est l’Europe des vingt-sept qui est à l’avant-garde.
«L’objectif sous-jacent de l’engagement de l’Europe auprès de l’Asie-Pacifique est de créer un avantage concurrentiel par rapport aux autres puissances mondiales.»
Andrew Hammond
L’année dernière, l’UE a adopté une nouvelle stratégie pour l’Asie-Pacifique afin de renforcer son orientation stratégique, sa présence et ses actions dans cette région qui revêt une importance stratégique primordiale. L’objectif est de renforcer la stabilité, la sécurité, la prospérité et le développement durable de la région à la lumière des tensions et des défis croissants dans le but de défendre la démocratie, les droits de l’homme, l’État de droit et le respect du droit international.
L’approche et l’engagement de l’UE visent à favoriser un ordre international fondé sur des règles, des conditions de concurrence justes, ainsi qu’un environnement ouvert et équitable pour le commerce et l’investissement, la réciprocité, le renforcement de la résilience, la lutte contre le changement climatique et le soutien à la connectivité avec l’Europe. L’une des raisons pour lesquelles l’UE tient à tisser des liens plus profonds avec l’Asie-Pacifique est qu’elle est à l'avant-garde de la numérisation et de la technologie.
L’UE a fait part de son intention de créer un bureau régional du Digital for Development Hub pour la région Asie-Pacifique qui favorisera la coopération numérique pour soutenir une transformation numérique durable et inclusive.
Il s’agit notamment de garantir un niveau élevé de protection des données personnelles, comme en témoigne la déclaration entre l’UE et neuf pays d’Asie-Pacifique (Australie, Comores, Inde, Japon, île Maurice, Nouvelle-Zélande, République de Corée, Singapour et Sri Lanka) sur la vie privée et la protection des données personnelles afin de renforcer la confiance dans l’économie numérique et de poursuivre la coopération sur les flux de données fiables. L’UE a également soutenu l’ouverture de négociations pour des partenariats numériques entre l’UE et le Japon, Singapour et la Corée du Sud, sur la base de valeurs partagées et d’une approche commune d’une transformation numérique centrée sur l’humain.
En dehors de l’économie, des voies d’approvisionnement maritimes libres et ouvertes dans le plein respect du droit international s’avèrent essentielles. L’Europe travaille de plus en plus étroitement avec ses partenaires d’Asie-Pacifique dans les domaines de la sécurité et de la défense, notamment en matière de cyberactivités malveillantes, de terrorisme et de crime organisé.
«L’une des raisons pour lesquelles l’UE tient à tisser des liens plus profonds avec l’Asie-Pacifique est qu’elle est à l'avant-garde de la numérisation et de la technologie.»
Andrew Hammond
De plus, l’UE a annoncé l’année dernière l’extension du concept de présence maritime coordonnée au nord-ouest de l’océan Indien. Cela permettra à l’UE de soutenir la stabilité et la sécurité dans la région Asie-Pacifique, d’optimiser les déploiements navals, de promouvoir la cohérence de l’action européenne et de faciliter l’échange d’informations et la coopération avec les partenaires de la région Asie-Pacifique, notamment en menant des exercices maritimes conjoints et des escales. En outre, l’UE met l’accent sur sa détermination à consolider son engagement en matière de sécurité et de défense avec ses partenaires de la région, en renforçant par exemple ses dialogues et ses relations bilatérales.
Outre le prochain sommet, les intentions européennes vis-à-vis de l’Asie-Pacifique se manifestent dans le nombre croissant de conférences annuelles de l’UE avec des géants des marchés émergents comme l’Inde, ou encore de grands pays industrialisés comme le Japon. Cela permet également déjà à l’UE de progresser dans cette immense région.
L’Inde en est un exemple. Avec l’UE-27 en tant que bloc, ce sont les deux plus grandes démocraties du monde et elles souhaitent tisser des liens plus solides. Le bloc européen est déjà le plus grand partenaire de l’Inde en matière de commerce et d’investissement. C’est pour cette raison que le nouvel accord commercial bilatéral en cours de discussion est une potentielle avancée importante pour les deux parties.
Pourtant, aussi vitales que soient les relations de l’Europe avec les marchés émergents, les pays industrialisés le sont également. Avec le Japon, à titre d’exemple, l’UE bénéficie d’un programme d’action de plus en plus étoffé. Ces deux puissances ont renforcé leur leadership en matière de commerce international et d’ordre économique fondé sur des règles.
Ce programme économique fondamental a reçu un coup de pouce en 2019, lorsque l’accord de libre-échange entre l’UE et le Japon est entré en vigueur, couvrant près d’un tiers du PIB mondial et concernant près de 650 millions de personnes. L’accord a mis des années à voir le jour, avec la suppression de presque tous les droits sur les importations.
Ces exemples montrent pourquoi l’Europe accorde une telle importante à la région Asie-Pacifique. Cette région immense est une priorité croissante pour l’UE alors qu’elle tente de devancer d’autres pays, en particulier les États-Unis, qui cherchent également à tirer un avantage économique et politique dans les années 2020 et au-delà.
Andrew Hammond est un associé à la London School of Economics.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com