La quiche du couronnement en dit beaucoup sur la vie en Grande-Bretagne sous le roi Charles

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Publié le Dimanche 07 mai 2023

La quiche du couronnement en dit beaucoup sur la vie en Grande-Bretagne sous le roi Charles

La quiche du couronnement en dit beaucoup sur la vie en Grande-Bretagne sous le roi Charles
  • Le choix d’une «quiche du sacre» par le nouveau monarque pour son couronnement réaffirme symboliquement ce que la politique a défait par rapport à la place de la Grande-Bretagne en Europe
  • Pourquoi ne pas choisir une autre recette simple et bon marché, mais plus haute en couleurs, audacieuse, à l'image de la Grande-Bretagne de demain, multiculturelle, tolérante et pleine de promesses?

Alors que la Grande-Bretagne se prépare au couronnement du roi Charles, le faste et la cérémonie qui remontent à plus de mille ans ne seraient rien sans un plat que l’ensemble de la population peut préparer pour célébrer cette occasion. Il y a environ sept décennies, un plat de poulet au curry avait été créé pour marquer l'accession de la reine Elizabeth au trône. Cette fois-ci, les nouveaux roi et reine ont choisi une «quiche du sacre», une tarte salée. Ce plat, composé d'une pâte légère garnie d'œufs battus mélangés à des épinards, des haricots, du fromage et de l'estragon avant la cuisson, a été choisi comme plat des grands déjeuners qui doivent avoir lieu le long week-end prochain à travers le Royaume-Uni.

Après avoir vécu plusieurs décennies au Royaume-Uni et en Europe, où j’ai été fier de découvrir toutes sortes de plats méconnus et/ou exotiques d'Écosse et de Scandinavie, et jusqu'en Europe du Sud, le poulet du couronnement était pour moi une garniture de sandwich rapide que j'appréciais. 

J'avais l'habitude de le préparer chez moi avec des restes de poulet, ou de l'acheter dans des cafés lorsque j’étais au travail. J'ai souvent essayé la quiche en France comme plat léger et rapide, servi avec une salade ou des pommes de terre bouillies. Mais franchement, froide ou chaude, je la trouvais lourde, comportant trop d’œufs, et trop fade.

Maintenant que le nouveau roi a choisi la quiche pour figurer sur les menus des Britanniques en fête, je me demande si cela pourrait être le reflet d'une nation qui doute d'elle-même et reste dans une zone de confort au lieu de repousser les limites de la créativité pour montrer ses ambitions. Pourquoi ne pas choisir une autre recette simple et d’un prix abordable, mais plus haute en couleurs, audacieuse et repoussant les limites, à l'image de la Grande-Bretagne de demain, multiculturelle, tolérante et pleine de promesses?

Mais peut-être que la quiche n'est que l'image que le nouveau monarque de la «Grande-Bretagne mondiale» de l’après Brexit veut transmettre au monde, en particulier à ses voisins européens. C'est une option basique, anodine pour le palais, nourrissante et bon marché, pour plaire à tout le monde à un moment où la Grande-Bretagne, à elle seule, a coupé ses propres ailes, boudé l'UE, et décidé de «reprendre le contrôle», peut-être pour avoir le temps de protéger ses côtes des potentiels envahisseurs migrants. Cela s'ajoute, bien sûr, au discours ambitieux mais creux visant à «reconstruire en mieux» et à faire de Londres une version de «Singapour-sur-la-Tamise», qui reste le fruit de l'imagination de l'extrême droite des eurosceptiques du parti conservateur au pouvoir.

Le choix du roi et de la reine d'un plat pour marquer une occasion royale jamais vue en Grande-Bretagne depuis soixante dix ans devrait résister à l'épreuve du temps et montrer qu'il est adapté à cette occasion. La quiche fait apparemment partie de la cuisine anglaise depuis le XIVe siècle, mais elle ne peut pas être considérée comme faisant partie du paysage culinaire actuel des plats préférés des Britanniques, selon un sondage YouGov réalisé en 2019.

Au contraire, le choix du nouveau monarque pour ce plat réaffirme symboliquement ce que la politique a défait par rapport à la place de la Grande-Bretagne en Europe.

                                                 Mohamed Chebaro 

 

Au contraire, le choix du nouveau monarque pour ce plat – originaire d'Allemagne et maintenant connu comme faisant partie de la cuisine française classique – réaffirme symboliquement ce que la politique a défait par rapport à la place de la Grande-Bretagne en Europe. C'est aussi peut-être un message pour rappeler à tous que les origines de la famille royale sont fortement enracinées en Europe continentale, malgré ce que pourrait affirmer ceux qui sont favorables au Brexit. L'origine et le destin des îles britanniques ont toujours été ancrés en Europe, notamment en ce qui concerne le choix des aliments, des ingrédients, des saveurs et des techniques culinaires.

Le choix culinaire du roi Charles pour marquer son couronnement pourrait aussi viser à réaffirmer la nature multiculturelle de la Grande-Bretagne d'aujourd'hui, à laquelle il a toujours cru. C'est peut-être la raison pour laquelle il a choisi un plat européen, comparativement aux saveurs du sous-continent indien qui avaient été utilisées pour le couronnement de sa mère en 1953. Ce n'est un secret pour personne que le roi Charles est un internationaliste, mais aussi un fervent européen. Il aurait pu être contre le projet du Brexit si la couronne avait son mot à dire dans la direction politique du pays.

Par dessus tout, je pense que le choix de la quiche pourrait aussi raconter une histoire sur le sort de la Grande-Bretagne dans un monde de l’après Brexit, avec une vision britannique de la vie comportant davantage d’humilité. Le pays et son économie, en dehors de la famille économique et politique de l'UE, ont souffert dans le monde de l’après pandémie. L'accord de divorce avec l'UE a été un choc pour l'économie britannique, du même ordre de grandeur que la pandémie et la crise énergétique ressenties à la suite de la guerre en Ukraine.

Sur le long terme, le produit intérieur brut de la Grande-Bretagne sera inférieur de 4% à par rapport à ce qu’il aurait été si le pays avait choisi de rester dans l'UE, selon l'Office for Budget Responsibility. Cette seule décision a créé des répercussions que le pays commence à peine à ressentir. Elle a assombri les perspectives économiques comme les perspectives d'investissement, et a eu un impact négatif sur la confiance de la société.

Concrètement, l'impact du Brexit a été ressenti à travers le ralentissement de l'activité économique et l'absence de reprise aux niveaux d'avant la pandémie dans certains secteurs, en raison de coûts d'exploitation plus élevés, d'effectifs plus restreints de personnel qualifié et de pénuries généralisées. Cela a conduit l'économie britannique à générer un rendement inférieur, à un niveau qui la place sur un pied d'égalité avec la Russie, au bas de la liste des économies du G20.

Dans un pays en proie à une crise du coût de la vie, à une perte de confiance et à des rayons de supermarchés vides, les références écologiques et environnementales du nouveau roi ont dû jouer un rôle dans la fabrication de son plat de couronnement sans viande. Les gens pourront se procurer les ingrédients à moindre coût et facilement, les aidant à se préparer à une célébration du couronnement qui réunira les voisins et les communautés dans l'espoir que le règne du roi Charles pourrait ouvrir la voie dans les années à venir à de meilleures perspectives économiques et sociales pour une Grande-Bretagne en dehors de l'UE.

 

Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur avec plus de 25 ans d'expérience couvrant la guerre, le terrorisme, la défense, l'actualité et la diplomatie.

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com