Le Liban entre espoir et appréhension

La procession funéraire de Hassan Nasrallah et Hashem Safieddine commence à Beyrouth, au Liban, le 23 février 2025. (Photo AP)
La procession funéraire de Hassan Nasrallah et Hashem Safieddine commence à Beyrouth, au Liban, le 23 février 2025. (Photo AP)
Short Url
Publié le Mardi 25 février 2025

Le Liban entre espoir et appréhension

Le Liban entre espoir et appréhension
  • Ce sentiment d'espoir est évident chez les gens lorsqu'ils parlent de leur nouveau président et de sa promesse de faire revivre l'éthique d'un Liban neutre
  • La nomination d'un nouveau chef de gouvernement est une autre raison du regain d'espoir dans le pays

La capitale libanaise, Beyrouth, remplit aujourd'hui les visiteurs d'espoir, mais aussi d'appréhension. L'espoir est ancré dans un sentiment de renouveau, à la suite de l'élection, en janvier, d'un président libre de toute ingérence de la Syrie, de l'Iran ou du Hezbollah et de leur soi-disant axe de résistance, qui, depuis des décennies, tient le pays en otage sous prétexte d'affronter Israël et l'agenda occidental pour le Moyen-Orient arabe.

Ce sentiment d'espoir est évident chez les gens lorsqu'ils parlent de leur nouveau président, Joseph Aoun – un autre général, mais sans lien de parenté avec son prédécesseur pro-Hezbollah, Michel Aoun – et de sa promesse de faire revivre l'éthique d'un Liban neutre, un État désireux de servir tout son peuple sous la bannière «armée, peuple, État». La bannière privilégiée par le Hezbollah, «armée, peuple, résistance», avait auparavant dominé les récits politiques et populaires du pays pendant plus de deux décennies.

La nomination d'un nouveau chef de gouvernement est une autre raison du regain d'espoir dans le pays. Le Premier ministre Nawaf Salam, ancien juge à la Cour internationale de justice, a constitué un cabinet qui rompt avec la pratique de l'élite politique précédente consistant à remplir le gouvernement de copains corrompus.

Le gouvernement de Salam pourrait être difficile à accepter pour de nombreux membres du parlement national, ainsi que pour leurs partisans et leurs clients dans toutes les communautés du pays. Il a notamment suscité une inquiétude accrue au sein de la communauté chiite, qui constitue depuis des décennies l'épine dorsale du soutien populaire aux opérations militaires et politiques du Hezbollah.

Le sentiment d'appréhension est évident dès l'accueil que l'on reçoit à Beyrouth, car on n'est jamais certain de pouvoir quitter l'aéroport en toute sécurité. Des foules affiliées au Hezbollah ont souvent organisé des manifestations, brûlé des véhicules de l'ONU, jeté des ordures et érigé des barricades à l'aéroport international Rafic Hariri parce que, selon elles, le gouvernement libanais refuse d'autoriser les compagnies aériennes iraniennes à y atterrir.

Le sentiment d'appréhension augmente lorsque l'on voit des drapeaux du Hezbollah dans les rues du pays, à côté de bannières commémorant la mort de nombreux commandants et dirigeants du groupe, tout en revendiquant la victoire et la volonté de poursuivre la lutte. L'appréhension vient du fait que tout le monde – même les plus fervents partisans du Hezbollah – sait que les choses ont changé, que la guerre a été perdue et que l'on ne sait toujours pas qui paiera la facture de la reconstruction des villages du sud qui ont été détruits lors du dernier conflit entre le groupe et Israël.

Certains partisans du Hezbollah ont même reproché injustement au gouvernement de ne pas s'être empressé de reconstruire et de fournir une assistance dans le sud, alors qu'ils savent pertinemment que les gouvernements successifs soutenus par le Hezbollah ont mis l'État en faillite et ont fait fuir l'aide étrangère vitale, ainsi que le soutien offert par les communautés arabes et internationales. Cela s'est produit en raison de la corruption et du rejet de tout effort visant à mettre en œuvre des réformes économiques qui auraient apporté la transparence nécessaire pour rassurer les donateurs internationaux et leur donner la confiance nécessaire pour fournir un financement à ce pays sinistré et à ses systèmes financier et économique paralysés.

Les sentiments d'appréhension triomphent aussi parfois lorsqu'on constate que l'armée libanaise tarde à mettre en œuvre l'accord de cessez-le-feu conclu entre le Hezbollah et Israël en achevant son déploiement au sud du fleuve Litani. Son mandat ne semble pas clair. Se contentera-t-elle de retirer les armes et les infrastructures du Hezbollah des zones situées au sud du Litani, ou est-elle censée superviser le désarmement de la milice qui s'est transformée en un État dans l'État au cours des trois dernières décennies, avec l'aide du régime déchu d'Assad en Syrie, ainsi que du gouvernement iranien et de son tristement célèbre Corps des gardiens de la révolution islamique?

Une fois de plus, on ressent de l'appréhension en voyant les Libanais retourner dans leurs villages, leurs fermes et leurs entreprises pour les trouver complètement détruits par une guerre que beaucoup de gens dans le pays croyaient tout à fait évitable. Plus de deux mois de combats intenses avant l'entrée en vigueur du cessez-le-feu le 27 novembre ont laissé des villages proches de la frontière avec Israël complètement détruits. En outre, le conflit a fait payer un lourd tribut à la banlieue sud de Beyrouth et à certaines parties de l'est du Liban proches de Baalbeck, un autre bastion du Hezbollah qui a été rasé.

Entre-temps, les nouveaux dirigeants du pays poursuivent leurs pourparlers avec les États-Unis et la France afin d'exercer une pression diplomatique sur Israël pour qu'il se retire totalement du Liban, dénonçant la présence continue des troupes israéliennes dans cinq lieux stratégiques comme une «occupation». Les Nations unies ont condamné l'incapacité des forces israéliennes à se retirer complètement, estimant qu'il s'agissait d'une violation d'une résolution du Conseil de sécurité. On peut craindre que le maintien de la présence israélienne ne déclenche de nouvelles confrontations entre soldats et villageois, ces derniers retournant dans leurs maisons et commerces détruits, fournissant ainsi un prétexte au Hezbollah pour reconstruire, reconstituer et renouveler sa base de soutien et, en fin de compte, s'engager dans une nouvelle guerre.

On peut craindre que le maintien de la présence israélienne ne déclenche de nouvelles confrontations entre soldats et villageois.

                                             Mohamed Chebaro

Le Liban continue d'osciller entre deux extrêmes. D'un côté, une grande partie de la population nourrit de grands espoirs pour l'avenir et pense qu'avec la chute du régime Assad en Syrie, la force du Hezbollah est massivement réduite. Cela donne aux nouveaux dirigeants libanais une occasion en or de reprendre le contrôle de l'État et de ses rouages pour mettre en œuvre des réformes et reconstruire le pays pour le bien de tous ses habitants.

D'un autre côté, il y a la crainte persistante que les sentiments de frustration et le sentiment d'avoir été vaincus ne motivent certains partisans du Hezbollah à retourner leurs armes contre le gouvernement, la nouvelle présidence et leur propre peuple. Cela créerait une plus grande insécurité intérieure, perturbant les efforts de reconstruction de la nation libérée des chaînes de l'influence et de l'ingérence étrangères et rendant finalement le contrôle de ce pays détourné à son propre peuple.

Les visiteurs du Liban en déduisent rapidement que la trêve avec Israël reste fragile. Cette fragilité fait le jeu des autorités israéliennes, qui sont déterminées à ne pas laisser se reproduire les attaques contre les colonies proches de la frontière avec le Liban, qui ont contraint les occupants à abandonner leurs maisons pendant plus de 16 mois. Elle fait également le jeu du Hezbollah qui, bien qu'amoindri, ne veut toujours pas accepter la défaite, déposer les armes, s'incliner et laisser le Liban être gouverné par ses institutions légitimes.

Il est temps de saisir la chance de construire un Liban libre et équitable pour tous. Un Liban qui n'oscille pas en permanence entre l'espoir et l'appréhension.

Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com