Le Pen prête à diviser la France pour se retrouver au pouvoir

La décision du tribunal de Paris de la semaine dernière a conduit à la condamnation de Mme Le Pen et de 24 de ses associés appartenant au parti du Rassemblement national à plusieurs amendes, peines de prison et interdictions de faire campagne, une décision qui a fait l'effet d'une bombe dans la vie politique française. (AFP)
La décision du tribunal de Paris de la semaine dernière a conduit à la condamnation de Mme Le Pen et de 24 de ses associés appartenant au parti du Rassemblement national à plusieurs amendes, peines de prison et interdictions de faire campagne, une décision qui a fait l'effet d'une bombe dans la vie politique française. (AFP)
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Publié le Vendredi 11 avril 2025

Le Pen prête à diviser la France pour se retrouver au pouvoir

Le Pen prête à diviser la France pour se retrouver au pouvoir
  •  La présidente du parti et ses alliés ont attaqué la décision du tribunal de Paris
  •  C'est la règle du jeu de l'extrême droite populiste, partout dans le monde occidental démocratique, que de se dire victime d'une chasse aux sorcières politique

 

Comment punir une personnalité politique corrompue tout en évitant de ternir la démocratie? Et comment empêcher un parti politique opportuniste d'instiller le doute dans la justice d'un pays, à la manière des États-Unis?

C'est le test auquel est confrontée la France dans le cadre de l'affaire Marine Le Pen, une politicienne populiste reconnue coupable d'avoir détourné des fonds européens pour payer le personnel politique de son parti, en prétendant faussement qu'ils travaillaient en tant qu'assistants de ses députés au Parlement européen.

La décision du tribunal de Paris de la semaine dernière a conduit à la condamnation de Mme Le Pen et de 24 de ses associés appartenant au parti du Rassemblement national à plusieurs amendes, peines de prison et interdictions de faire campagne, une décision qui a fait l'effet d'une bombe dans la vie politique française.

Il était normal que la présidente du parti et ses alliés attaquent cette décision. C'est la règle du jeu de l'extrême droite populiste, partout dans le monde occidental démocratique, que de se dire victime d'une chasse aux sorcières politique. Certains estiment que la peine prononcée à l'encontre de Mme Le Pen – il lui a été interdit de se présenter à des fonctions publiques pendant cinq ans, ce qui signifie qu'elle devra se tenir à l'écart de l'élection présidentielle française de 2027, qu'elle avait de bonnes chances de remporter – était sévère, tandis que d'autres pensent qu'elle était appropriée.

Ce clivage n'a jamais été aussi visible – et ne manquera probablement pas de donner du fil à retordre à la France en tant que pays – que dans les slogans de la manifestation de dimanche organisée en soutien à Mme Le Pen. Il était normal que Mme Le Pen, bien que condamnée par un tribunal, évoque des décennies de lutte contre l'injustice et déclare qu'elle entend continuer à se battre comme son père, Jean-Marie, l'a fait avant elle.

Il est dans les habitudes des populistes d'extrême droite, partout dans le monde occidental, de se prétendre victimes d'une chasse aux sorcières politique.

-Mohamed Chebaro

Mais le symbolisme ne pouvait être écarté lorsque des milliers de ses partisans se sont rassemblés dans le centre de Paris, près du dôme doré des Invalides et du tombeau de Napoléon. Ils ont tenté de revendiquer son martyre à travers ce qui a été présenté comme une protestation, mais on ne peut ignorer qu'il s'agissait principalement d'une campagne électorale et d'un rassemblement de campagne.

Le choix des Invalides comme lieu de la manifestation laisse présager une révolution en marche, ou du moins l'état d'esprit révolutionnaire des partisans du Rassemblement national. Louis XIV avait ordonné la construction des Invalides en reconnaissance des sacrifices consentis par les soldats qui avaient participé à ses guerres. L'emplacement reflète certaines périodes fondamentales de l'histoire de France. C'est de là qu'une foule a pris d'assaut la prison de la Bastille, en utilisant des armes à feu et des canons qu'elle avait pillés à l'hôtel des Invalides, pendant la Révolution française.

Les chants entendus lors de la manifestation faisaient référence à la défiance de Mme Le Pen et de ses partisans. Ils ont exprimé leur opposition au verdict «politiquement motivé», ajoutant «Marine présidente» et «ils ne nous voleront pas 2027». Cela rappelle la défiance populiste du trumpisme et visait carrément les institutions françaises dans leur ensemble. Jordan Bardella, le protégé de Mme Le Pen âgé de 29 ans, a prononcé un discours dans lequel il a accusé les juges français d'essayer de faire taire l'opposition et a affirmé que la date du verdict était un jour sombre pour la France. En fait, c'est le jour de la manifestation qui était un jour sombre pour la France, car plus poignants que les allégations étaient les t-shirts portant le slogan «Je suis Marine» ou comparant la situation de Le Pen à celle du président américain Donald Trump, qui, bien que reconnu responsable de fraude civile, a pu se présenter à l'élection. Alors, si Trump a pu se présenter, pourquoi pas Le Pen, ont-ils demandé.

De l'autre côté, la décision était claire et nécessaire, car Mme Le Pen a été reconnue coupable d'avoir utilisé des fonds du Parlement européen pour payer le personnel du parti en France – un système que la Cour a décrit comme un «contournement démocratique». Nombreux sont ceux qui, dans ce camp, pensent que les électeurs français comprennent le problème et respectent le jugement et l'indépendance de la justice. Les voix de ce camp se sont alarmées de voir Mme Le Pen bénéficier de faveurs, telles que l'accélération ou l'adaptation de son appel à son calendrier, et ont mis en garde contre des parallèles avec les États-Unis.

Dans certaines manifestations anti-Le Pen, cette attitude a conduit les partis de gauche et centristes à dire que le Rassemblement national avait adopté une forme d'autoritarisme à l'américaine en refusant de se plier au système judiciaire. Ils ont déclaré que la procédure d'appel ne devait pas être accélérée pour répondre aux caprices d'un parti politique controversé et de son leader condamné, même si le Rassemblement national compte plus de 120 représentants au Parlement. Les partisans de ce point de vue insistent sur le fait que l'État de droit doit rester suprême et ne pas devenir facultatif pour s'adapter aux arrangements politiques, tout en faisant clairement allusion au fait que la victimisation politique à la Trump n'a pas sa place en France.

Le Rassemblement national joue un jeu dangereux en essayant de faire douter les citoyens de la justice. Les populistes déforment la vérité.

-Mohamed Chebaro

Ce qui est plus dangereux, c'est le jeu auquel se livre le Rassemblement national depuis le verdict de culpabilité et la condamnation de Mme Le Pen, qui consiste à essayer de faire douter les gens de la justice. Les populistes travestissent la vérité en fonction de leurs objectifs.

Beaucoup de Français pensent que le parti a longtemps voulu lancer un «coup d'État judiciaire», puisqu'il a présenté le verdict comme une «exécution» politique devant les tribunaux. Et avec cela, il vise à convaincre les électeurs que le système juridique actuel n'est pas digne de confiance. Il s'agit de la même stratégie que celle adoptée par Trump aux États-Unis: prétendre que les tribunaux sont biaisés et sujets à des manipulations, que le système est cassé et que seules les urnes comptent.

Quelle est la prochaine étape pour la France? La république et ses processus démocratiques survivront-ils? Mme Le Pen est peut-être exclue, dans l'attente d'un appel, mais la machine de son parti continue à fonctionner. La question est la suivante: l'extrême droite convaincra-t-elle les Français que leur État n'est pas digne de confiance et que le système est aussi tordu contre leurs intérêts que celui de l'Amérique?

C'est l'enjeu de la République. L'extrême droite peut-elle convaincre suffisamment d'électeurs français que la justice n'est plus neutre et qu'elle seule peut rendre le pouvoir au peuple?

La réponse à cette question pourrait déterminer non seulement la course à la présidence de 2027, mais aussi l'avenir de la démocratie française.

Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com