Est-il trop tard pour éloigner le spectre de la guerre civile au Soudan?

Des soldats de l'armée soudanaise partisans d'Abdel Fattah al-Burhane occupent une position à Port-Soudan, le 20 avril 2023. (Photo, AFP)
Des soldats de l'armée soudanaise partisans d'Abdel Fattah al-Burhane occupent une position à Port-Soudan, le 20 avril 2023. (Photo, AFP)
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Publié le Mercredi 26 avril 2023

Est-il trop tard pour éloigner le spectre de la guerre civile au Soudan?

Est-il trop tard pour éloigner le spectre de la guerre civile au Soudan?
  • L’évacuation de ressortissants étrangers montre que les diplomates considèrent qu'il s'agit d'un conflit à long terme et non d'une brève flambée de violence qui pourrait être résolue
  • Les citoyens soudanais souhaitent incontestablement un retour à la gouvernance civile, et ils ne soutiennent aucun des deux chefs militaires

Le monde est une fois de plus témoin de l'embrasement d'un nouvel État arabe et africain. Le conflit soudanais est d'une simplicité prosaïque: deux hommes sont prêts à réduire leur pays en cendres pour satisfaire leur désir ardent d'être président, comme si le droit de gouverner pouvait être revendiqué par la force plutôt que par la volonté du peuple.

Mohamed Hamdan Dagalo, autrement appelé «Hemedti», aurait commencé sa carrière comme voleur de chameaux avant de se distinguer au sein de la milice Janjawid au Darfour, se livrant à des campagnes de génocide ainsi qu'à des viols, des pillages et des vols de bétail systématiques. Le conflit du Darfour, qui n'est toujours pas résolu, a fait quelque trois cent mille morts et 2,5 millions de déplacés.

J'ai rencontré Hemedti au cours de mes voyages en tant que journaliste avec l'entourage du détestable dictateur Omar el-Béchir alors président. Je me souviens d'un personnage de petite taille, peu loquace et peu impressionnant, se trouvant exactement dans l'ombre d’El-Béchir. Après avoir poignardé son mentor dans le dos, les forces de Hemedti ont été responsables en 2019 d'un effroyable massacre, dans les rues de Khartoum, de plusieurs centaines de manifestants civils torturés, violés, assassinés et jetés dans le Nil – ce qui préfigure la sauvagerie de ces derniers jours.

Le général Abdel Fattah al-Burhane est un militaire de carrière qui a commandé l'armée régionale au Darfour avant d'accéder aux plus hauts rangs de l'armée. Lorsque Hemedti et Burhane se sont alliés contre le pouvoir civil dans leur coup d'État de 2021, la nation tout entière s'est soulevée contre eux et elle a largement fait échouer leurs ambitions. Désormais, Burhane et Hemedti se font la guerre. Après plusieurs jours de combats, les deux camps se targuent de contrôler partiellement des infrastructures essentielles telles que le palais présidentiel et l'aéroport de Khartoum.

Hemedti, l'éternel intrus dont la tribu n'est pas originaire du Soudan, et ses Forces de soutien rapide (FSR) semblent avoir pris plaisir à ravager les quartiers prospères du centre de la capitale cosmopolite du Soudan. Au cours des dernières années, des progrès économiques modestes ont été enregistrés, avec une inflation maîtrisée, des réductions du déficit commercial et des progrès vers l'annulation de la dette. Mais la succession des interventions militaires a sapé ces efforts. Les derniers événements risquent de torpiller complètement l'économie, en brûlant les districts qui constituent les moteurs traditionnels de l'économie nationale.

L'armée de Burhane contrôle le ciel et dispose d'un armement plus lourd, mais les forces aguerries de Hemedti ont l'expérience récente des conflits sans merci, nombre d'entre elles ayant été mercenaires en Libye et au Yémen. Combien de cessez-le-feu ratés et dérisoires devrons-nous subir pour démontrer qu'aucune des deux parties ne se soucie de la population qu'elle aspire à gouverner?

Les rues étant jonchées de cadavres en décomposition, les citoyens prennent des décisions terrifiantes: se terrer ou fuir. L'accès à la nourriture et à l'eau devient de plus en plus difficile. La population déplacée du Soudan est déjà la deuxième plus importante d'Afrique, avec plus de 1 million de civils déplacés de force. Avant même les derniers combats, les Nations unies prévoyaient que 16 millions de Soudanais auraient besoin d'une aide humanitaire en 2023.

Pour éviter que le Soudan ne sombre lui aussi dans l'anarchie, les États arabes doivent agir avec fermeté pour mettre fin au carnage.

Baria Alamuddin

En l'espace de quelques années, les FSR de Hemedti sont passées de quatre mille à cent mille hommes. La facilité avec laquelle il a été autorisé à constituer une force personnelle de cette taille est une leçon pour d'autres États où des forces paramilitaires hyperpuissantes menacent de dépasser l'armée et de constituer un État à l'intérieur d'un État. Je pense en particulier au Liban et à l'Irak, où des personnalités militaires m'ont déjà averti que les armées régulières pourraient finalement être contraintes d'affronter des groupes tels que le Hezbollah et Al-Hachd al-Chaabi. La lâche incapacité à maîtriser ces mastodontes paramilitaires lorsqu'ils étaient plus petits et moins bien armés condamne des nations entières à s'enliser dans un conflit.

Le conflit au Soudan s'internationalise rapidement. Le groupe mercenaire russe Wagner entretient depuis longtemps des relations avec les FSR de Hemedti. Ils se sont entendus pour piller d'importantes quantités des réserves d'or du Soudan. Selon les autorités américaines, Wagner s'est empressé d'offrir des armes à Hemedti, qui aurait également reçu du carburant et des munitions du chef de guerre libyen Khalifa Haftar. Les troupes égyptiennes au Soudan ont été enlevées par les FSR avant d'être libérées, sachant que le président, Abdel Fattah el-Sissi, avait soutenu Abdel Fattah al-Burhane dans le passé. Hemedti a cherché à s'appuyer sur des liens passés avec divers dirigeants arabes, mais nombre d'entre eux semblent préférer un scénario dans lequel l'armée régulière l'emporte rapidement et rétablit l'ordre.

Compte tenu de la férocité des combats et de la dispersion massive des communautés au Darfour, ce conflit risque de s'étendre à des États déjà instables tels que le Tchad et la Libye. Toute la région africaine du Sahel est une mosaïque de conflits – notamment avec la Somalie, l'Éthiopie, la République centrafricaine, la région du lac Tchad, le Burkina Faso et le Mali.

Pour éviter que le Soudan ne sombre lui aussi dans l'anarchie, les États arabes doivent agir avec fermeté pour mettre un terme au carnage. Il ne faut pas que se reproduise un scénario comme celui de la Syrie, où les États arabes sont mis à l'écart tandis qu'une multitude de puissances de second ordre aggravent considérablement la crise. La communauté internationale ne doit pas se contenter d'évacuer ses ressortissants par avion. Ces mesures sont le signe que les diplomates considèrent qu'il s'agit d'un conflit à long terme et non d'une brève flambée de violence qui pourrait être résolue.

Si les deux parties sont décidées à se battre jusqu'à la mort, la solution la moins mauvaise est peut-être de faire basculer le combat de manière à permettre à l'armée nationale de rétablir rapidement l'ordre. Par ailleurs, les citoyens soudanais souhaitent incontestablement un retour à la gouvernance civile, et ne soutiennent absolument pas les chefs militaires des deux camps. La révolution populaire soudanaise de 2019 doit être menée jusqu'au bout. Elle doit garantir un système de gouvernement civil basé sur des élections libres et n'accorder à quiconque portant un treillis militaire aucun rôle autre que celui de défendre la Constitution.

Le Soudan, qui possède de l'or, du pétrole et d'autres ressources naturelles, ne devrait pas être une nation appauvrie et dysfonctionnelle. Les riches terres agricoles du sud du Soudan font de ce pays un canal essentiel pour l'approvisionnement alimentaire du Moyen-Orient. Mais les dirigeants successifs ont dilapidé les richesses du pays à travers la corruption systématique et des guerres destructrices.

Une nation et une région plus résilientes doivent émerger de cette catastrophe. Les voisins africains et arabes, ainsi que la communauté internationale, doivent faire tout leur possible pour mettre fin au carnage.

Le Soudan se trouve à la croisée des chemins entre le monde arabe et le monde africain. La stabilité du Soudan et la gouvernance populaire sont cruciales pour la prospérité de ces deux régions.

 

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com