Dans un article que j'ai écrit pour Arab News à la mi-janvier, j'ai souligné que l'Iran ne resterait pas à l'écart du processus de normalisation entre la Turquie et la Syrie, malgré le fait que les responsables iraniens n'aient pas été invités à la réunion organisée par la Russie entre les ministres de la Défense et les chefs des services de renseignement syriens et turcs à Moscou à la fin du mois de décembre.
Quelques jours après cette réunion, la nouvelle des prochaines visites du président iranien, Ebrahim Raisi, en Turquie et en Syrie a occupé l'ordre du jour, bien qu'elles n'aient pas été réalisées à ce jour. Le 17 janvier, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a entamé une visite officielle en Turquie afin de préparer le terrain pour la première visite du président iranien dans ce pays depuis son entrée en fonction il y a environ deux ans. Au sein de toutes ces démarches diplomatiques, les tremblements de terre dévastateurs qui ont frappé la Turquie et la Syrie ont empêché pendant plusieurs semaines l'examen de toutes les questions relatives à la politique étrangère.
La nouvelle des visites prévues de Raisi était cruciale, car elle confirmait que Téhéran, plutôt que d'être mis à l'écart, voulait faire partie du processus de normalisation, non seulement dans la rhétorique, mais aussi dans la pratique. Après des années d'inimitié, les relations entre la Turquie et la Syrie sont sur le point d'entrer dans une nouvelle phase et la Russie est le fer de lance de ce processus de normalisation. Les efforts déployés par l'Iran pour se tailler un nouveau rôle dans la dernière phase de la crise syrienne ont porté leurs fruits.
Ce mercredi, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a annoncé que les vice-ministres des Affaires étrangères de la Russie, de la Turquie, de la Syrie et de l'Iran se réuniraient à Moscou la semaine prochaine, avant les entretiens prévus entre les ministres des Affaires étrangères respectifs. Les ministres des Affaires étrangères syrien et turc devraient se réunir prochainement à la suite de la réunion de haut niveau organisée en décembre entre les ministres de la Défense et les chefs des services de renseignement. Cependant, le processus a apparemment rencontré un obstacle.
Cavusoglu a fait cette annonce lors d'une conférence conjointe avec son homologue iranien, qui effectuait une visite de solidarité en Turquie après les tremblements de terre dévastateurs. Cavusoglu a révélé que son homologue iranien souhaitait participer aux pourparlers entre la Turquie, la Syrie et la Russie, ce qu'Ankara a accepté avec plaisir. La possibilité d'une réunion ministérielle entre Cavusoglu et son homologue syrien, Faisal Mekdad, dans une réunion quadripartite dépendra de l'issue et du succès de la réunion de Moscou.
«Les efforts déployés par l'Iran pour se tailler un nouveau rôle dans la dernière phase de la crise syrienne ont porté leurs fruits.»
Sinem Cengiz
Le ministre turc des Affaires étrangères a également fait une référence importante au processus de paix d'Astana, lancé par la Turquie, la Russie et l'Iran en 2017. Il a déclaré qu'Astana était la «seule version survivante» pour la Syrie, étant donné que plusieurs autres tentatives — principalement menées par l'Occident — n'avaient pas permis de réaliser des progrès.
Aujourd'hui, l'arrivée de la Syrie à la table des négociations change la donne. Damas passe du statut de sujet à celui d'acteur ayant un siège à la table. À cet égard, la réunion quadripartite sera l'occasion d'une discussion de haut niveau rare mais importante.
Le rôle et l'influence que l'Iran pourrait avoir lors de la réunion des hauts diplomates d'Ankara et de Damas est une question importante. Téhéran et Moscou soutiennent fermement un rapprochement entre Damas et Ankara. Au cours du conflit syrien, la Russie et l'Iran ont mené des objectifs différents mais complémentaires — plutôt que conflictuels — qui ont aidé le régime de Damas à survivre sur plusieurs fronts tout en renforçant leurs propres sphères d'influence en Syrie et au-delà.
Par ailleurs, la Turquie n'a pas les mêmes objectifs en Syrie que la Russie et l'Iran. Contrairement aux deux pays, la Turquie a été sévèrement touchée par le conflit syrien en termes de flux de réfugiés et d'attaques terroristes. Elle a ainsi été touchée sur le plan économique et sociologique. En rejoignant l'initiative d'Astana, l'un des principaux objectifs de la Turquie était de garantir ses intérêts nationaux et de minimiser les coûts du conflit syrien.
Au début, sa position dans le processus de paix d'Astana était que la chute du régime syrien et le transfert du pouvoir, par la force si nécessaire, étaient inévitables. Progressivement, la priorité de la Turquie est passée de l'éviction de Bachar al-Assad à la prévention des aspirations kurdes à un État indépendant. Les relations de la Turquie avec la Russie et l'Iran, la détérioration de ses relations avec les États-Unis et l'évolution des rapports de force sur le champ de bataille ont joué un rôle important dans ce changement de priorités.
Toutes les parties soutiennent l'intégrité territoriale de la Syrie, car la division du pays ne serait bénéfique pour aucune d'entre elles et pourrait même entraîner des pertes importantes.
Aujourd'hui, après plus d'une décennie d'implication dans le conflit, il est peu probable que les trois pays — la Turquie, la Russie et l'Iran — quittent la Syrie, car ils y voient un avenir pour eux-mêmes et sont plus intéressés à mettre à l’écart leurs différences qu'à s'affronter à ce sujet. Cependant, tous les trois pays sont aujourd'hui confrontés à de graves problèmes dans leur pays. La Turquie traverse une crise politique et économique permanente, alors qu'une élection cruciale doit avoir lieu dans quelques semaines. L'Iran a été confronté à un soulèvement populaire contre son établissement politique, ce qui pourrait avoir un effet déstabilisateur sur ses objectifs de politique étrangère. Quant à la Russie, elle se débat avec les conséquences de la guerre en Ukraine, dont le premier anniversaire est déjà passé.
Cependant, malgré tous ces obstacles, la Syrie est un élément déterminant de la politique étrangère de ces pays dans la région. Il est très intéressant, en termes d'époque et de contexte, que ces trois pays soient sérieusement mis à l'épreuve sur différents fronts, tant intérieurs qu'extérieurs, mais qu'ils veuillent toujours accélérer le processus concernant la Syrie.
Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. Twitter: @SinemCngz
L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com