Le cheikh Ahmed al-Rifai, farouche critique du Hezbollah, a été retrouvé mort samedi dans le nord du Liban. Presque aussitôt, les adversaires du Hezbollah ont accusé la milice d'être l'auteur du meurtre. Les agents des services de renseignement et de sécurité intérieure de l'armée ont rapidement mené une enquête et arrêté les coupables. Le chef du groupe est un proche du cheikh assassiné, avec lequel il entretenait une animosité de longue date.
Cet incident montre à quel point la situation est tendue dans le pays. Sans l'intervention rapide de l'armée et des forces de sécurité, le meurtre d'Al-Rifai aurait dégénéré en affrontement sectaire. Cette fois, l'armée a sauvé la mise. La question est de savoir combien de temps elle pourra garder la situation sous contrôle.
La réponse, évidente, est la suivante: pas longtemps. La situation du Liban n'est pas viable. La tension est extrêmement vive et le seul élément qui empêche un effondrement total est l'armée. Son commandant s'est lancé dans une collecte de fonds pour nourrir ses soldats. L'année dernière, le Qatar a fait don de 60 millions de dollars (1 dollar = 0,94 euro) pour empêcher la désintégration des forces armées, un scénario qui conduirait certainement au chaos. Mais que se passera-t-il ensuite? Lorsque cet argent sera épuisé, qui, s’il existe, sera le prochain donateur pour payer les salaires de l'armée? Cette situation n'est pas viable. Le Liban a besoin d'un véritable État avec des institutions qui fonctionnent.
Revoyons aujourd’hui ce qui s'est passé dans le Nord. Imaginons que l'armée et les forces de sécurité aient été dysfonctionnelles et qu’elles ne soient pas mobilisées pour mener l'enquête. Que se serait-il passé? Il est certain qu'il y aurait eu un affrontement sectaire. Néanmoins, l'armée s'est empressée de dissiper les idées erronées selon lesquelles ce serait le Hezbollah qui aurait tué le cheikh et de calmer la situation.
Cependant, même après que l'enquête a conclu qu'un cousin de la victime était l'assaillant et qu'il s'agissait d'une question purement personnelle, la tension sectaire n’a pas totalement disparu. Plusieurs personnes ont posté sur Twitter une ancienne photo du coupable et de son fils, également complice du meurtre, les montrant en train de participer à un événement du Hezbollah qui commémorait la mort d'Imad Moughniyah, haut responsable et ancien cerveau de ses opérations, tentant ainsi de lier indirectement le groupe au meurtre.
Cette fois, l'armée est parvenue à éviter un affrontement généralisé, mais ce ne sera pas forcément le cas ultérieurement.
Dr Dania Koleilat Khatib
Ce meurtre soulève un autre point d'interrogation au sujet du contrôle peu rigoureux des armes dans le pays. L'armée a trouvé au domicile de l'assaillant un entrepôt d'armes. Le Hezbollah est peut-être armé, mais il n'est pas la seule entité armée du pays, et l'animosité à son égard ne cesse de croître. Les différents groupes rendent le Hezbollah responsable de la situation déplorable actuelle. Par exemple, le taux de change est passé de 1 500 livres libanaises pour un dollar à 80 000 à l'heure où nous écrivons ces lignes.
Cette fois, l'armée est parvenue à éviter un affrontement généralisé, mais ce ne sera pas forcément le cas ultérieurement. Elle est pauvre en ressources et compte sur l'ingéniosité de son commandant tout en misant sur la loyauté de ses soldats et de ses officiers. Dans le même temps, l'armée est attaquée par la classe politique. Gebran Bassil, le gendre du dernier président, frustré de voir s'évanouir ses espoirs de succéder à son beau-père, lance une campagne féroce contre l'armée, car son commandant est le candidat privilégié, au niveau national comme du point de vue de la communauté internationale. Le pays se dirige donc vers une confrontation interne.
Tous les jours, on assiste à un dérapage. Jusqu'à présent, l'armée a été capable de contenir et de localiser ces dérives, mais elle est épuisée; si ces affrontements s'étendent et qu’elle se trouve incapable de les juguler, le pays plongera dans un chaos qui pourrait conduire à une nouvelle guerre civile.
Soit le Liban se décide à mener des réformes et parvient à disposer d’un État avec des d’institutions qui fonctionnent, soit il fait face à un chaos qui entraînerait des alignements internes et pourrait déboucher sur une guerre civile, ce qui pourrait également être déstabilisant pour l'Union européenne (UE). Déjà, des personnes risquent leur vie et quittent le pays illégalement dans l'espoir de rejoindre l'Europe. Il n'est même pas dans l'intérêt d'Israël d'avoir de l'instabilité au Liban. Bien que certains experts estiment que la meilleure façon de se débarrasser du Hezbollah est de laisser le pays s’écrouler sur le parti, Israël n'a pas besoin d'un autre Gaza à sa frontière nord.
L'UE a créé un cadre pour les sanctions adressées aux acteurs politiques, mais elle ne l'a pas activé. Les États membres doivent agir rapidement et commencer à faire pression sur les différentes personnalités politiques pour les pousser à sortir de l'impasse, à élire un président et à mettre en place un gouvernement qui s'engage à réformer plutôt que de s'occuper des intérêts des différents partis politiques et des réseaux clientélistes. L'horloge tourne.
L'épisode Al-Rifai devrait être un signal d'alarme pour le Hezbollah. Sa position n'est plus soutenable. Son hégémonie sur le pays n'est plus tolérée. Il ne peut pas maintenir ses positions maximalistes. Il doit faire des compromis et comprendre que sa soupape de sécurité doit être l'État, car seul un État fort peut maintenir chacun à sa place. Un État faible permettra certainement au Hezbollah de s'étendre, mais aussi à ses opposants de l'affronter.
Certes, une guerre civile n'est dans l'intérêt de personne, mais cela ne veut pas dire qu'elle n'aura pas lieu. Les gens ne partent pas en guerre parce que c'est dans leur intérêt, ils le font parce qu'ils sont en péril. En ce moment, le Hezbollah se sent menacé par l'opposition interne croissante et le camp anti-Hezbollah par l'hégémonie du premier. C'est pourquoi les différentes parties pourraient être entraînées dans une guerre. Par conséquent, il n'y a pas de substitut aux réformes et à un État qui fournira des services à la population et assurera la loi et l'ordre.
Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.