Que se passe-t-il sur les chaînes d’info en continu, de plus en plus critiquées sur les réseaux sociaux? Et pas seulement par les téléspectateurs! Mieux encore, ou pire: le 9 février, sur France-Inter(1), une déclaration de Rima Abdul-Malak, la ministre (française, faut-il préciser) de la Culture, avait secoué la sphère médiatique, en pointant du doigt des manquements à la déontologie, dans le traitement de l’information comme dans les débats.
Deux chaînes ont été visées tout particulièrement: CNews et C8, déjà épinglées une vingtaine de fois par l’Arcom(2) depuis 2019, et auxquelles Madame la ministre reproche, je cite, leur «manque de pluralisme». Côté téléspectateurs, il arrive souvent que l’on évoque un «deux poids, deux mesures». Mais la semonce est donc venue d’un membre du gouvernement! Une «ingérence» que seule l’Arcom peut s’autoriser. De là, les vives réactions, chez les journalistes desdites chaînes, auxquelles se sont ajoutées celles de militants souverainistes...
Les chaînes CNews et C8 appartenant au groupe Bolloré (Canal +), le rédacteur en chef de Valeurs actuelles s’est emporté contre la ministre qu’il a accusée d’inventer «de faux monstres pour mieux taire les dangers qui nous guettent». Et quels sont donc ces dangers? Eh bien, ceux déjà pointés par Éric Zemmour, du temps où il faisait les belles heures de CNews avant de partir en croisade contre le «Grand Remplacement»!
Donc, pour citer ledit rédacteur en chef: «Le crime de Bolloré? Être de droite. Circonstance aggravante: il est même catholique». Suivez mon regard… Sauf que Mme Abdul Malak, d’origine libanaise, est tout aussi chrétienne, du moins de «culture chrétienne», que M. Bolloré (elle milita un temps au Comité catholique contre la faim et pour le développement).
Les clichés ont la peau dure, on le sait. Et elle a beau être chrétienne de culture, la ministre de la Culture n’échappe pas à la «différenciation». C’est Philippe Corcuff, son ancien professeur à Sciences Po de Lyon, qui en témoigne: «Rima est arrivé à Lyon à l’âge de 10 ans, meurtrie par les drames de la guerre au Liban (…). Elle a connu en France le racisme et le poids de l’assignation identitaire à l’arabité»(3). À suivre les invectives sur les réseaux sociaux, c’est à peine si l’on n’a pas rappelé à la ministre sa «tête d’Arabe», comme le fit un jour une chroniqueuse attitrée de CNews, et avec une candeur confondante, en parlant de la Franco-Tunisienne Sonia Mabrouk. J’y reviendrai…
Parmi les critiques visant la ministre de la Culture, c’est le journaliste Frantz-Olivier Giesbert qui, pesant ses mots, aura été le moins agressif. Selon lui: «Le débat soulevé par la sortie aberrante de Rima Abdul Malak dépasse le simple combat partisan, où chacun viendrait défendre son rond de table télévisuel.» Et de conclure: «Il s’agit ici de défendre un principe que je pensais universel: celui de la liberté d’expression, bafouée par la ministre de la Culture»(5). Réponse de la ministre:
«Principe universel», bafoué par la ministre? Mais qu’en est-il donc sur les chaînes d’info en continu? CNews, BFM et LCI ne sont, en fait, que des «chaînes d’info en replay», tant leurs programmes sont recyclés à longueur de journée. Leurs plateaux réunissent régulièrement des intervenants venus de la sphère ultralibérale, ou carrément d’une droite extrême assumée.
Et pour consolider l’alliage (j’allais dire «l’amalgame», mais ce mot est d’origine arabe: résidu, parmi des centaines d’autres, du «Grand remplacement» qui corrompt la langue française), on invite quelques souverainistes de bonne volonté, comme ce fondateur du mouvement Souverains demain!, qualifié par Valeurs actuelles de «réac de gauche» (sic), et présenté ailleurs comme «le profil parfait pour fournir sur les plateaux télés la caution de gauche de la zemmourisation des esprits.»(5)
Vous avez dit «Une tête d’Arabe»?
Pour revenir à l’assignation identitaire établie à l’encontre de la journaliste Sonia Mabrouk… Cela s’est passé le 20 avril 2021, toujours sur le plateau de CNews. Un documentaire montrait une mère, s’adressant au président Macron, et se plaignant du manque de diversité dans son quartier, un manque tel qu’un jour son fils lui demanda «si le prénom de Pierre existait vraiment». Grave interrogation, révélatrice d’une distorsion sociale, en effet. Commentaire d’Elizabeth Lévy (directrice de la rédaction de Causeur): «J’aurais des enfants, je n’aimerais pas qu’ils aillent à l’école dans un endroit où la majorité des mères sont voilées, sans boucheries non halal, où vous vous faites insulter si vous mangez pendant le ramadan y compris si vous avez une tête d’arabe».
La formule («tête d’Arabe») fit sursauter la journaliste Sonia Mabrouk: «Oh! Non, mais alors là!... C'est quoi, Elisabeth, une "tête d'Arabe"? Moi aussi j’en ai une, alors? Je ne comprends pas!». Réponse de la chroniqueuse, qui crut bon de prendre la journaliste comme exemple: «Oui, ça se voit que vous avez des origines, mais c'est un constat». Heurtée par ces mots, Sonia Mabrouk finit par lâcher: «Écoutez, je suis très fière de mes origines! Donc, tout va bien».
Ainsi, une «tête d’Arabe» tombe sous le coup d’une assignation à résidence identitaire! Mais peut-on dire de quelqu’un qu’il a une «tête de Breton»? Ou de «Chrétien»? Allez donc dire de quelqu’un qu’il a une «tête de Juif»! Là, vous glisseriez immanquablement dans l’antisémitisme! Et une «tête de Noir», alors? Peut-on le dire, sans penser au gâteau: «Tête de Nègre» – dont le nom, à la suite de polémiques, est désormais remplacé en France par «Meringue-chocolat»?... Pour les curieux, il faut préciser qu’en héraldique (science du blason), une «Tête de Nègre» se disait autrefois «Tête de Maure». Comme quoi, la «Tête d’Arabe» n'était déjà pas loin…
(1): TWITTER
(2): «Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique» (Ci-devant: CSA).
(3): «Rima Abdul Malak, un parcours créolisant»
(4): Valeurs actuelles
(5): Alternative Révolutionnaire Communiste - Tendance du NPA
Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).
Twitter: @SGuemriche
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