Les circonstances tragiques d'un tremblement de terre qui a fait des dizaines de milliers de morts et de blessés, et jeté le malheur dans une vaste région à la frontière turco-syrienne, devraient attirer l'attention, entre autres, sur le sort de la Syrie. En d'autres temps, la France se serait précipitée à Alep pour secourir les populations syriennes en détresse. Aujourd'hui, il n'y a pas, il n'y a plus, de relations entre les deux pays depuis plus de dix ans. Devant le drame actuel, le Quai d'Orsay, rompant la règle, a fait un geste symbolique. C'est bien. Mais n'est-ce pas le temps de s'interroger sur une éventuelle reprise des relations diplomatiques entre Paris et Damas?
Quand a été prise à Paris la décision de fermer l'ambassade de France à Damas, la violence avec laquelle le pouvoir syrien réprimait les mouvements du Printemps arabe avait provoqué une très grande émotion en France et en Europe. Le 17 novembre 2011, l'ambassadeur français était rappelé à Paris, l'ambassade ainsi que les consulats d'Alep et de Lattaquié étaient fermés, et bientôt l'ambassadeur de Syrie à Paris était expulsé. Il semble que la décision française ait été aussi motivée par des menaces qui pesaient alors sur la sécurité de nos personnels diplomatiques.
Par tradition, les ambassadeurs sont accrédités auprès des États, non pas auprès leurs dirigeants. Ces derniers changent, les États restent, les ambassadeurs aussi. Si, par extraordinaire, survient la fermeture d'une ambassade, c'est toujours pour des raisons de circonstance, mais les effets en sont presque toujours négatifs. C'est une situation qui ne peut être que limitée dans le temps. Il est évidemment difficile de se remettre dans le climat de l'époque entre Paris et Damas, mais on ne devrait pas laisser perdurer plus longtemps une rupture qui dure déjà depuis une douzaine d'années.
Il est évidemment difficile de se remettre dans le climat de l'époque entre Paris et Damas, mais on ne devrait pas laisser perdurer plus longtemps une rupture qui dure déjà depuis une douzaine d'années
Le fait est là: la guerre civile est terminée. Certes, elle a laissé beaucoup de traces – plus de cinq millions de Syriens sont réfugiés à l'extérieur, principalement en Turquie, mais aussi en Europe et au Liban. Le pouvoir établi à Damas ne maîtrise que les deux tiers du territoire national; les milices islamiques sous influence turque tiennent la région d'Idlib; les Kurdes contrôlent le nord-est du pays. En définitive, à ce jour, l'armée syrienne ne contrôle qu'une partie réduite des frontières nationales qui, pour une bonne part, restent sous le contrôle d'acteurs étrangers.
Mais il n'empêche, le système institutionnel construit autour de Bachar al-Assad a tenu bon. C'est le moment d'en prendre acte. C'est ce qu'a déjà fait la Ligue arabe et ce que font progressivement les principaux pays du Moyen-Orient.
La Turquie elle-même, pourtant hostile de longue date, cherche à renouer avec son voisin syrien. Plusieurs pays européens vont dans le même sens.
Il y a évidemment des procédures à respecter. Généralement cela commence par des contacts au niveau des services secrets. Chacun veut y trouver son compte, chaque pays veut satisfaire son égo. Il y a des problèmes préalables à régler. Les autorités syriennes voudront y voir la marque d'une reconnaissance, la France voudra garder son quant-à-soi. Certes, il ne sera pas nécessaire de sortir les tambours de la renommée, mais c'est l'intérêt mutuel de Paris et de Damas de reprendre leurs relations diplomatiques. C'est une condition nécessaire pour parfaire le retour de la France au Moyen-Orient.
À l'Élysée, il semble qu'on y réfléchisse. Au Quai d'Orsay, on paraît sensiblement plus réservé. Pour ce qui me concerne, je me souviens qu'il y a vingt-cinq ans, avec le président Chirac, nous avons construit une relation franco-syrienne très féconde avec Hafez al-Assad, le père de l'actuel président. Aujourd'hui, il y a beaucoup à faire pour reconstruire une présence française en Syrie. Il est temps de s'y mettre.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.