La transition en Libye est laborieuse, à dessein

Des Libyens manifestent à Tripoli contre la situation politique et les conditions de vie désastreuses. (AFP)
Des Libyens manifestent à Tripoli contre la situation politique et les conditions de vie désastreuses. (AFP)
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Publié le Mardi 14 février 2023

La transition en Libye est laborieuse, à dessein

La transition en Libye est laborieuse, à dessein
  • Les malheurs se succèdent sans fin et les aspirations manquées d’antan ont dégénéré en une impuissance permanente, laissant peu d’espoir quant à la mise en place d’un État stable et pleinement fonctionnel
  • L’ouverture soudaine à la réconciliation a toutes les caractéristiques d’un stratagème visant à marginaliser l’ONU, qui semble déterminée à relancer la voie électorale présentée comme la seule solution crédible

Cette semaine marque le 12e anniversaire du déclenchement de la première guerre civile libyenne, mais il n’y aura ni fanfare ni grands discours pour commémorer ce qui a été le début de la fin du régime de Mouammar Kadhafi.
L’occasion sera simplement marquée par des commentaires décourageants et des discours éclairés cherchant à démystifier la trajectoire déroutante du pays après l’année 2011 et sa transition bloquée.
Contrairement à une communauté mondiale impatiente devenue indifférente, qui semble satisfaite du chaos à l’intérieur des frontières du pays d’Afrique du Nord, la situation va de mal en pis pour les Libyens ordinaires.
Les divisions sont aussi variées que nombreuses, sur les plans politique, sociétal, sectaire et même géographique. Elles sont alimentées par des réclamations réelles et imaginaires. Alors que les tensions fluctuent dans un pays empli d’armes légères et de personnes lésées, le risque d’une nouvelle guerre ouverte reste élevé, une situation facilement exploitable par une ingérence malveillante au-delà des frontières libyennes.
Dans le même temps, l’absence d’État de droit signifie que même lorsqu’il existe des preuves irréfutables de violations flagrantes des droits de l’homme, les auteurs ne sont jamais punis, ce qui fait que les victimes ne prennent jamais la peine d’exiger que justice soit rendue.
Les malheurs se succèdent sans fin et les aspirations manquées d’antan ont dégénéré en une impuissance permanente, laissant peu d’espoir quant à l’idée qu’un État stable et pleinement fonctionnel puisse naître des cendres et des débris du printemps arabe.
Une triste réalité s’est installée sur ce territoire figé pendant près du quart des quarante-deux ans de règne de M. Kadhafi. Cette réalité a peu de chances de changer, compte tenu des ambitions et des excès d’une élite politique bien trop préoccupée à s’emparer du pouvoir et à le conserver, plutôt qu’à l’exercer pour servir d’autres intérêts que les siens.
Douze ans plus tard, il est clair que la Libye ne va nulle part. Son sort demeure une énigme.
Avant le cessez-le-feu, il y a un peu plus de deux ans, il était facile de simplement désigner la violence épisodique comme le principal obstacle à la démocratisation de la Libye. Cependant, la fin de la guerre ouverte n’a pas convaincu une élite politique, divisée entre l’ouest et l’est du pays, de rechercher la réunification, le désarmement des acteurs non étatiques, la restauration des institutions étatiques, des élections démocratiques et, à terme, la stabilité.
Au contraire, les parties en conflit vont jusqu’à tenir des discussions avec des objectifs ambitieux et déclarés comme l’intégration des nombreux groupes armés libyens en une seule force policière et militaire, dans le but de redonner à l’État son monopole sur l’usage de la force.

 

Douze ans après la destitution de Mouammar Kadhafi, il est clair que la Libye ne va nulle part. Son sort demeure une énigme.

Hafed al-Ghwell

Malgré l’impossibilité flagrante de poursuivre de tels objectifs, ces pourparlers ouverts sont toujours très appréciés et font l'objet d'éloges enthousiastes, comme un signe qu’il y a encore un certain élan dans la transition de la Libye.
Malheureusement, tout cela est trompeur – et même malveillant, dans une certaine mesure. Les discussions sur l’intégration des forces armées, à titre d’exemple, trouvent un écho favorable auprès des acteurs extérieurs qui ont un intérêt direct dans les efforts de désarmement, de démobilisation et de réintégration du pays.
Pourtant, pour l’élite politique libyenne, cette incitation récente au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration n’est qu’une autre tentative de remplacer les gouvernements parallèles en conflit par une autre autorité intérimaire, en attendant les élections, censées inclure des responsables des deux côtés. Bien sûr, toute décision de désarmer ou de désavantager d’une manière ou d’une autre l’une ou l’autre des parties ne fera qu’accroître le risque de reprise du conflit et renforcer les divisions en Libye, ce qui signifie que cette discussion, comme beaucoup d’autres avant elle, est déjà vouée à l’échec.
Il en va de même pour une annonce le mois dernier concernant des pourparlers négociés entre les deux gouvernements parallèles en vue d’établir un accord sur une base constitutionnelle pour les élections. Cela n’a rien de nouveau pour les Libyens et ne représente nullement un stratagème intelligent jamais tenté auparavant. Il ne s’agit que de la dernière proposition destinée à évaluer la réaction du public et/ou de l’étranger avant de se mobiliser soit pour la soutenir, soit pour s’y opposer.
De plus, cette ouverture soudaine à la réconciliation a toutes les caractéristiques d’un stratagème visant à marginaliser l’Organisation des nations unies (ONU), qui semble déterminée à relancer la voie électorale présentée comme la seule solution crédible pour les élites qui ont tout intérêt à maintenir le statu quo.
Cette évolution souligne à quel point l’avenir de la Libye est désormais miné par un groupe de personnes à la recherche de leurs propres intérêts, isolées d’un État en ruine et redevables aux influences, à l’obstructionnisme ou à la malveillance, entre autres.
Sur le papier, les tentatives de réconciliation présentent de nouvelles possibilités, redynamisant une fois de plus le discours sur une éventuelle fin de la déliquescence de la Libye et le début d’autre chose que le statu quo.
Cependant, lorsque ces tentatives coïncident avec une forte augmentation de la corruption avec des entités obscures dans le secteur pétrolier libyen, elles doivent être traitées comme des distractions destinées à dissimuler le vol de précieuses ressources de l’État par les élites des deux côtés, dans le cadre de leur accord tacite pour monopoliser le pouvoir.
Ces élites sont si sûres d’elles qu’elles détournent sans difficulté quelque six milliards de dollars (1 dollar = 0,93 euro) sans que cela suscite de réaction ou d'alarme de la part de la Libye ou de l’étranger, d’autant plus qu’une partie de ces fonds est allée au groupe Wagner, soutenu par le Kremlin, dont les combattants sont stationnés autour d’importantes installations pétrolières et des principales bases militaires en Libye.
En bref, malgré toutes leurs gesticulations, le gouvernement d’union nationale dirigé par Abdelhamid Dbeibah à l’ouest et la coalition orientale – comprenant l’armée nationale libyenne de Khalifa Haftar qui tire sa légitimité de la Chambre des représentants et le gouvernement de stabilité nationale de Fathi Bachagha – ont une chose en commun. Leur tactique commune est de prendre des engagements exaspérants pour lesquels rien ne se matérialise, à part de nouveaux retards dans les élections anticipées et l’ancrage de politiciens dont la seule préoccupation est de conserver le pouvoir à tout prix.
La seule prévision réaliste pour la Libye est que ce pays d’Afrique du Nord reste tiraillé entre l’est et l’ouest, une partition informelle qui tend à devenir permanente.
Heureusement, il existe encore une occasion pour de véritables progrès, même si cela constitue aussi un risque pour les détracteurs qui se sentent menacés. Si ces derniers continuent à dominer le discours et les événements dans les rares couloirs du pouvoir qui subsistent en Libye, alors le pays puisera dans le sang ce qu’il n’a pas su régler à l’encre.

 

 

Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale. Twitter: @HafedAlGhwell

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com