Malgré les efforts effrénés du représentant spécial du secrétaire général des nations unies pour la Libye, le diplomate sénégalais Abdoulaye Bathily, la situation politique de ce pays maghrébin s'enlise de plus en plus.
Le processus de dialogue national, supervisé par l'Union africaine, l'Égypte, le Maroc et l'Allemagne, n'a pas eu d'issue significative. Les élections législatives et présidentielle, prévues initialement avant le 31 décembre 2021, ont achoppé.
Depuis 2014, le pays est en proie à une double guerre, civile et régionale. De fait, une répartition du vaste territoire libyen est patente. Deux gouvernements parallèles se disputent la légalité et la reconnaissance internationale.
Bien que les élections de 2014 aient permis d'évincer les partis issus de l'islam politique qui avaient contrôlé la première assemblée libyenne élue après la fin du régime de Kadhafi, la Tripolitaine reste toujours entre les mains des islamistes soutenus par plusieurs milices tribales locales. Le conseil d'État, présidé par une figure islamiste connue (Khaled al-Michri), même s’il n’est qu'une instance consultative, continue à freiner le processus de normalisation électorale.
Depuis 2015, la Libye a expérimenté trois formules de gouvernance transitoire: le gouvernement d'union nationale, présidé par Fayez el-Sarraj, le conseil présidentiel à caractère collégial dont relève un gouvernement d'union nationale dirigé par Abdel Hamid Dbeibah et, récemment, le gouvernement transitoire de Fathi Bachagha, désigné par le Parlement de Tobrouk.
Aucune de ces trois formules n'ont eu le moindre succès, faute d’un consensus politique interne, condition nécessaire entre les forces régionales engagées dans le bourbier libyen.
La stratégie préconisée par les Nations unies et les organismes régionaux consiste à accélérer la dynamique électorale dans le but de résoudre définitivement l’épineux problème de la légalité politique et institutionnelle qui serait la source principale de cette situation conflictuelle en voie d'enkystement.
Cette approche pèche en raison de son simplisme réducteur: le schéma électoral en lui-même ne sera guère efficace que dans la mesure où il sera la consécration d'un accord politique interne et régional.
Les pourparlers interlibyens se concentrent aujourd’hui sur les règles constitutionnelles censées servir de référence formelle aux élections futures. Ces règles ne pourraient être réduites à des critères généraux d'éligibilité. En effet, en Libye, les enjeux d'ingénierie politique sont complexes et profonds.
L'un d’eux a trait à la conception de l'État national, eu égard à la diversité géographique et humaine qui caractérise le large espace libyen. Si tous les protagonistes sont unanimes sur la préservation de l'unité de l'État libyen dans ses frontières fixées par les Nations unies en 1951, le système politique et constitutionnel de base pour la nation libyenne rénovée reste un sujet de discorde.
Des voix se sont élevées après la chute de Kadhafi. Elles prônaient le retour à l'ancienne formule fédérale mise en œuvre à l'époque royale, qui avait pris en considération les disparités objectives entre les trois régions unifiées pour former l'État libyen moderne (la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fazzan).
Le contexte libyen actuel plaide en faveur de cette solution fédérale comme gage d'unité dans la diversité. Ce pays géant, à la croisée des espaces sahélien, maghrébin et moyen-oriental, ne pourrait être soumis à un régime de pouvoir centralisé ferme.
Le long règne de Kadhafi était le fruit d'un système de gouvernance complexe qui réunissait une anarchie tribale à une «cleptocratie distributive» généralisée tout en se gardant de créer une base institutionnelle solide pour un État fragile et greffé sur une structure sociale vulnérable, comme le souligne dans ses travaux le sociologue tunisien feu Moncef Ouannes.
La condition préliminaire de tout arrangement politique interne est le démantèlement des milices politico-militaires qui sont, le plus souvent, au service des États étrangers.
Dans un pays qui possède un socle politique faible comme la Libye, l'armée nationale est une nécessité élémentaire en tant qu’institution centrale forte qui monopolise la violence légitime.
C'est pourquoi toute solution future qui ne prendrait pas en considération le rôle primordial de l'armée dans la refonte institutionnelle de l'État ne pourrait être couronnée de succès.
Le mal libyen n'est donc nullement réductible à un problème électoral formel. Il s’agit plutôt d’un enjeu de refondation structurelle et globale de l'entité nationale libyenne.
Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique. Twitter: @seyidbah
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