L'accord de libre-échange qui régit les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne (UE) après le Brexit est entré en vigueur il y a deux ans. On assiste actuellement à une évolution majeure dans la politique britannique. Le débat ne porte plus sur le refus ou l'appel au Brexit. L'accent est plutôt mis sur la meilleure façon de concrétiser ce retrait de l’UE.
Ce changement est largement imputable à la montée en puissance du Parti travailliste de l'opposition britannique et de son chef, Keir Starmer. Ce dernier donne une nouvelle tournure au débat sur le Brexit. Après la victoire de la campagne «Vote Leave» (l'un des deux principaux groupes de campagne politique pro-Brexit, NDLR) lors du référendum de 2016 et du triomphe de Boris Johnson aux élections générales de décembre 2019, M. Starmer s'est assuré qu’aucun des gouvernements qu'il dirigerait à l'issue des prochaines élections ne chercherait pas à réintégrer l'UE.
Cette prise de position s'explique par la tourmente qui secoue le pays alors que les conservateurs ne parviennent pas à établir une stratégie précise pour gérer le pays après le Brexit. La situation contraint le gouvernement de M. Starmer à s'attaquer à cette problématique avec la plus grande énergie. On prévoit que le Royaume-Uni sera confronté en 2023 à la pire récession qu'ait connue une grande économie, mais aussi à un sentiment plus généralisé de déclin politique. C’est ce qu’on a observé ces dernières années sous la direction de David Cameron, Theresa May, Boris Johnson, Liz Truss et, désormais, Rishi Sunak.
Le Parti travailliste s'oppose au retour à l'Union européenne et peu de députés conservateurs s’expriment en faveur d'une intégration à l'UE en raison des purges réalisées sous le mandat de Johnson. Ainsi, le Parti travailliste se concentre davantage sur la manière de tirer parti du Brexit pour le bien du pays, notamment en raison du désordre que les conservateurs sèment dans le pays.
En effet, M. Starmer s'est engagé, dans un discours prononcé l'été dernier, à «exploiter les possibilités offertes au Royaume-Uni pour remédier à la décision malheureuse de Johnson de se retirer de l'Union européenne». Il a par ailleurs promis de «mettre définitivement un terme aux divisions qui déchirent le Royaume-Uni dans le cadre du Brexit». Pour lui, il est essentiel de faire aboutir le Brexit dans la mesure où la nation «sera incapable de progresser, de développer le pays, d’apporter des changements ou de reconquérir la confiance des citoyens qui ne croient plus en la politique si elle ne surmonte pas les différends du passé».
Sunak a peu de chances de parvenir à un compromis étant donné que les opinions politiques sont équilibrées au sein du Parti conservateur.
Andrew Hammond
Cette évolution de la position du Parti travailliste intervient dans un contexte où le retour du Royaume-Uni dans l'UE connaît une popularité croissante au cours de l'année écoulée. Un sondage récent indique que 57% des personnes interrogées sont favorables au retour du pays dans l'Union européenne, contre 43% qui s'y opposent. Le chiffre de 57% est le pourcentage le plus élevé obtenu avant le référendum sur le Brexit, en 2016.
Si l'humeur générale évolue dans ce sens, c'est en partie en raison des préjudices économiques occasionnés par la ratification par le Parlement britannique, la veille du Nouvel An 2020, du «hard Brexit», connu sous le nom d'«accord de commerce et de coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni». Le Centre pour la réforme européenne, un groupe de réflexion, vient de confirmer ce qui suit: le produit intérieur brut (PIB) du Royaume-Uni est aujourd'hui inférieur de 5,5% à ce qu'il aurait été si le pays était resté dans l'UE. Ce déclin est imputable à l'accord conclu par M. Johnson, affirme le groupe.
Une évidence se vérifie: l'accord de Johnson a imposé au commerce des obstacles structurels qui restent sans solution. Cette situation a été évoquée par des groupes commerciaux britanniques tels que la Chambre de commerce britannique. Cette dernière a proposé que le Royaume-Uni signe des accords supplémentaires avec l'UE portant notamment sur la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux importations, les services vétérinaires et les services professionnels. Ils estiment que ces mesures permettraient de remédier aux imperfections de l'accord actuel.
Dans ce contexte, on constate que les partisans d'une relation économique plus étroite avec l'UE sont de plus en plus nombreux dans la classe politique et au sein du gouvernement de Sunak lui-même. Ainsi, le ministre des Finances, Jeremy Hunt, avoue que le «hard Brexit» de Johnson a dressé des barrières préjudiciables au commerce.
Pour éliminer ces obstacles, Jeremy Hunt se heurte à deux difficultés de taille: sa position politique est fragile auprès du Parti conservateur dans sa version post-Johnson, avec l’important soutien apporté au «hard Brexit» par le parti et l'ensemble des membres. Le second défi à relever par M. Hunt concerne les nombreux points de friction qui persistent au niveau des liens post-Brexit et qui découlent de l'accord 2020 de M. Johnson. Les conservateurs peinent à résoudre ces problèmes qui les opposent à l'UE, notamment en raison du manque de confiance entre les deux parties.
En tête de liste figure le protocole commercial sur l'Irlande du Nord. Il s'agit d'une problématique complexe dans laquelle l'administration Biden soutient largement l'UE. Cette affaire est tellement délicate que, si elle n’est pas résolue, le président Joe Biden envisage d'annuler sa visite prévue au Royaume-Uni et en République d'Irlande à l'approche du 25e anniversaire de l'accord du Vendredi saint.
On ne peut exclure la possibilité de réaliser une percée en 2023. Toutefois, M. Sunak a peu de chances de parvenir à un compromis dans la mesure où les opinions politiques sont équilibrées au sein du Parti conservateur. Cette question risque de perdurer puisque le projet de loi sur le protocole pour l'Irlande du Nord, prévu par le gouvernement, menace d'annuler les engagements de ce dernier dans le cadre de l'accord de 2020.
Les enjeux sont donc immenses, et inédits. Ils menacent le Royaume-Uni, mais aussi l'Union européenne. Il faut espérer qu'un nouveau partenariat plus constructif, qui apparaît bien plus probable sous un nouveau gouvernement britannique, sera avantageux pour les deux parties, qui traversent une période marquée par d'importantes turbulences géopolitiques au niveau mondial.
Andrew Hammond est un collaborateur de LSE Ideas à la London School of Economics.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com