Quand le Premier ministre désigne un ministre chargé des opportunités du Brexit, cela en dit long sur l’état des affaires au Royaume-Uni. Cela s’est produit en février, près de six ans après le résultat historique du référendum du 23 juin 2016, qui a vu le peuple britannique voter pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Un ministre à part entière est maintenant chargé de fouiller dans tout le spectre du gouvernement pour trouver une aiguille dans la botte de foin de Whitehall.
Cette notion entière suppose que le fait d’être séparé de l’UE offre à la Grande-Bretagne une foule d’opportunités non identifiées, des pots d’or cachés sous les planchers des ministères. Cela rejoint l’opinion des brexiteurs selon laquelle Bruxelles aurait, sans mandat démocratique, inondé les États membres de règles et de décrets obscurs. Des mythes sur l’UE subsistent dans l’esprit de beaucoup, encouragés par des personnalités comme le Premier ministre, Boris Johnson, qui a commercialisé le mythe selon lequel l’UE dictait «la forme que doivent avoir nos bananes».
La courbure de nos bananes n’est pas la raison pour laquelle la Grande-Bretagne a quitté l’UE, mais l’image du bureaucrate de Bruxelles qui s’immisce dans les affaires des autres reste forte. Détruire leurs petites règles absurdes est de la viande rouge pour les brexiteurs, même s’il n’y a pas beaucoup de viande sur cet os.
La réalité est que les opportunités dorées de l’après-Brexit ne sont pas encore apparues.
La nostalgie est suprême au Brexitland, elle renvoie à un passé glorieux imaginé. Cela semblait désespéré lorsque le gouvernement a annoncé qu’il autoriserait les détaillants à vendre à nouveau en mesures impériales – livres et onces. C’est la Grande-Bretagne qui régresse, non celle qui progresse.
La réalité est que les opportunités dorées de l’après-Brexit ne sont pas encore apparues. Aucune transformation du mode de vie britannique n’a émergé du retrait de l’UE.
Le débat pour savoir si le Brexit en valait la peine se poursuit. Même les anti-UE admettent que le pays n’en a pas encore ressenti les bénéfices, mais ils soutiennent qu’il est difficile de distinguer entre l’impact du Brexit, et ceux de la Covid-19 et de la guerre russe en Ukraine.
Sauf que ce n’est pas tout à fait le cas. Le fait de quitter l’UE a clairement affecté l’économie britannique. La livre a chuté de 10% immédiatement à la suite du référendum. Le Brexit a eu un effet inflationniste. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté en conséquence. Les investissements des entreprises ont également diminué. Le Bureau britannique pour la responsabilité budgétaire a indiqué en mars que le Brexit «réduira la productivité à long terme de 4%».
Le Brexit était censé libérer le pays, l’encourageant à se mondialiser et à avoir davantage de commerce. Mais le gouverneur de la Banque d’Angleterre affirme, tout comme son prédécesseur, qu’il a eu un effet néfaste sur le commerce. Oui, le Royaume-Uni a signé un nombre d’accords commerciaux, notamment avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais cela compense difficilement le fait de ne plus faire partie du marché unique européen.
L’Irlande du Nord reste la question la plus épineuse à l’horizon du Brexit.
Bien que le Royaume-Uni puisse toujours faire du commerce avec l’UE, ce sont les vérifications et les contrôles supplémentaires aux frontières qui ont ralenti les choses. Les files de camions au port de Douvres sont impressionnantes. Les compagnies aériennes se plaignent que le Brexit a entraîné une pénurie de personnel en raison du manque de travailleurs européens, ce qui maintiendra les retards et le chaos des voyages pendant des années. L’année prochaine, l’Organisation de coopération et de développement économiques prévoit que le Royaume-Uni aura la croissance la plus faible du G20, à l’exception de la Russie, qui est évidemment lourdement sanctionnée.
Il existe aussi d’autres prix à payer. Même les ministres craignent une fuite des cerveaux du pays. Si la querelle avec l’UE se poursuit, la Grande-Bretagne pourrait être exclue du programme phare de recherche et d’innovation Horizon, doté de 95 milliards d’euros. L’état de l’union est également en train de se fissurer, de nombreux Écossais souhaitant un nouveau référendum sur l’indépendance, arguant qu’une Écosse indépendante pourrait alors rejoindre l’UE.
L’Irlande du Nord reste la question la plus épineuse à l’horizon du Brexit. Le gouvernement britannique fait avancer une loi visant à déchirer les accords commerciaux de la province. L’accord «prêt à cuire» dont Johnson s’est vanté et qu’il a signé n’a manifestement pas cuit cette partie de l’accord à sa satisfaction. L’UE rejette sans surprise toute tentative de modifier unilatéralement l’accord et a menacé de riposter. Il est difficile de comprendre pourquoi Londres pense qu’il est acceptable d’agir ainsi. Les ministres affirment que l’accord n’est pas mis en œuvre comme ils l’avaient envisagé et qu’il met en péril l’accord du Vendredi saint.
Le projet de loi a franchi la première étape à la Chambre des communes. Il pourrait devenir loi d’ici la fin de l’année et, dans le pire des cas, déclencher toute une série de mesures de rétorsion de la part de l’UE. Mais surtout, quel sera l’impact sur la position du Royaume-Uni dans le monde en tant que champion de l’ordre fondé sur des règles?
L’immigration a été la question déterminante du vote. L’immigration en provenance de l’UE a diminué, mais pas celle en provenance des États non membres de l’UE. La décision désespérée du Royaume-Uni d’envoyer des demandeurs d’asile au Rwanda montre que le gouvernement est à court d’idées et est prêt à tout pour démontrer son caractère anti-immigration.
Trop nombreux sont ceux qui, dans le système britannique, esquivent le débat musclé qui s’impose.
Pour l’instant, aucune force politique dominante au Royaume-Uni ne pousse ou ne fait même allusion à une inversion du processus du Brexit. Lundi, le chef du principal parti d’opposition, le travailliste Keir Starmer, a catégoriquement exclu l’idée de réintégrer l’UE, alors que près d’un tiers des partisans du parti ont voté pour la sortie. Un ministre fantôme s’est même fait tancer pour avoir suggéré qu’à un moment donné, le Royaume-Uni devrait réintégrer le marché unique et l’union douanière.
Pourtant, dans quelques coins favorables au Brexit, des doutes apparaissent lentement. Un commentateur brexiteur de premier plan a écrit dans le journal The Times le mois dernier: «Nier les inconvénients du Brexit au niveau du commerce avec l’UE revient à nier la réalité.» C’est une évaluation plus honnête que celle que l’on peut attendre d’un homme politique.
Trop nombreux sont ceux qui, dans le système britannique, esquivent le débat musclé qui s’impose. Trop nombreux sont ceux qui se contentent d’orchestrer le prochain round de leur jeu de reproches. Ce sont soit Bruxelles, soit des avocats «gauchistes», soit des tribunaux étrangers et, aujourd’hui, même des fonctionnaires, qui ont apparemment empêché un Brexit réel et idéalisé. Le chaos entourant le gouvernement actuel, qui a été frappé par une nouvelle vague de résignations cette semaine, est une distraction permanente.
Un véritable débat doit absolument avoir lieu. Le Brexit a créé une division amère et profonde en Grande-Bretagne, notamment en Angleterre. La nature toxique du débat est telle qu’aucun camp ne veut admettre que l’autre a raison ou qu’il pourrait lui-même avoir tort. Il faut lever les entraves au débat. Cela ne signifie pas qu’il faut réintégrer l’UE, mais une réévaluation complète de la relation entre le Royaume-Uni et l’UE serait nécessaire pour rétablir un partenariat constructif qui convienne mieux à toutes les parties. Le plus tôt sera le mieux, pour tout le monde.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres. Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com