En mai 2020, j’ai écrit à Amanda Milling, alors présidente du Parti conservateur britannique, au Premier ministre, Boris Johnson, et aux dirigeants du parti dans les deux chambres du Parlement au sujet de l’islamophobie au sein du Parti conservateur.
Après que la Commission pour l’égalité et les droits de l’homme (EHRC) a décidé de ne pas enquêter sur les allégations d’islamophobie, j’ai cherché à soulever l’importance pour le parti de chercher une solution globale à la prévalence sous-jacente du racisme en son sein.
Évidemment, le Premier ministre n’a pas répondu, ce qui reflète une attitude désinvolte à l’égard du racisme contre les musulmans au sein du parti, qui a refait surface la semaine dernière. Le 23 janvier, Nousrat Ghani, ancienne vice-ministre des Transports, a déclaré que son limogeage en 2020 était dû à sa «musulmanité» et que sa religion «mettait ses collègues mal à l’aise». M. Johnson a affirmé qu’il lancerait une enquête sur les allégations de Mme Ghani.
En tant que membre de la direction du Forum musulman conservateur et partisan de longue date du parti, je souhaitais faire savoir à la direction que le nombre important d’allégations d’islamophobie au sein du parti méritait une enquête approfondie et des mesures disciplinaires pour les personnes impliquées.
Après de nombreuses tentatives de persuasion et plusieurs rappels insistants, Mme Milling m’a répondu, m’assurant que le parti «reste ouvert aux personnes de toutes origines et rejette les abus ou les discriminations fondées sur la race ou la religion d’une personne». J’ai été encouragé d’apprendre qu’une enquête indépendante menée par l’ancien commissaire de l’EHRC, Swaran Singh, examinerait toutes les formes de préjugés et de discriminations et contribuerait à résoudre ce problème.
Le Premier ministre, qui s’est déjà retrouvé dans une situation délicate par le passé en raison de ses commentaires sur les musulmans, a gardé le silence.
Le rapport de M. Singh, publié l’année dernière, révèle que «l’islamophobie a été mise en évidence au niveau des associations locales et des individus», mais il se concentre ensuite sur les questions de procédure concernant l’enregistrement des plaintes. Toutefois, il ne s’est guère attaqué au discours islamophobe très médiatisé de ministres actuels comme Zac Goldsmith et M. Johnson, ce qui, à bien des égards, illustre la futilité de l’exercice.
Aucun député musulman conservateur n’a participé à la rédaction de ce rapport de 44 000 mots et, pour beaucoup, il était vicié dès le départ. Ses recommandations concernant la mise en place d’un code de conduite et d’une formation ne correspondaient pas à ce qui était nécessaire. Il a abouti à la réintégration discrète de conseillers municipaux conservateurs suspendus après avoir publié des commentaires ignobles sur les musulmans, ainsi qu’au rejet par le gouvernement d’une définition pratique de l’islamophobie telle qu’adoptée par les principaux partis d’opposition.
Les allégations sur le limogeage de Mme Ghani mettent en évidence le mépris flagrant du parti pour ce type de racisme. En 2020, elle a informé personnellement le Premier ministre de commentaires qui auraient été formulés par le whip en chef Mark Spencer. Fidèle à lui-même, il a répondu qu’«il ne pouvait pas s’impliquer» et a suggéré qu’elle «utilisait la procédure de plainte interne du Parti conservateur».
M. Johnson a également refusé de considérer que la question concernait le gouvernement, mais a plutôt proposé de la traiter comme une plainte déposée contre un conseiller municipal. Après la médiatisation de l’affaire, un autre député conservateur, Michael Fabricant, a soutenu que les accusations de Mme Ghani étaient «une excuse boiteuse», car «elle ne semble pas être une musulmane». Ses commentaires ont suscité de nombreuses critiques de la part de l’opposition, mais pas de l’intérieur du parti. Cet épisode a une fois de plus mis en évidence que le Parti conservateur évite intentionnellement de faire face à de telles allégations.
«Un parti censé être fondé sur des principes méritocratiques n’a pas réussi à préserver l’intégrité de ses membres musulmans»
Zaid M. Belbagi
Le 10 Downing Street a passé la semaine à tenter de désamorcer le conflit, affirmant que le fait que le Premier ministre ait initialement rencontré Mme Ghani était un coup d’État en soi. Le ministre de la Justice et vice-Premier ministre, Dominic Raab, a de nouveau appelé Mme Ghani à déposer une plainte officielle auprès du parti. Mme Ghani a répété, à juste titre, que cela ne serait pas approprié. Cela montre clairement qu’un parti censé être fondé sur des principes méritocratiques n’a pas réussi à préserver l’intégrité de ses membres musulmans et, en fait, à défendre les principes qu’il est censé représenter.
Certains sièges importants dans les grandes villes n’ont été remportés que de justesse par les conservateurs lors des dernières élections. Il s’agit de circonscriptions où l’électorat musulman est très influent. Ce qui est plus inquiétant pour le parti, c’est que selon les enquêtes d’opinion, plus de 80% des musulmans britanniques ont voté pour le Parti travailliste en 2019, en grande partie à cause de la vague d’islamophobie à laquelle les conservateurs sont associés. Si le parti continue à nourrir de tels sentiments, il devra en payer le prix dans les urnes.
Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Twitter: @Moulay_Zaid
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com