La coopération russo-iranienne a connu un développement qualitatif important depuis le déclenchement de la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Selon une déclaration ministérielle faite par Ben Wallace, ministre britannique de la Défense, devant la Chambre des communes le 20 décembre, l'Iran recevra de la Russie des moyens militaires avancés en échange de la fourniture de drones à Moscou. Les questions à fort enjeu qui préoccupent les observateurs sont les suivantes: Que peut obtenir l'Iran de la Russie en échange du fait qu'il défie les grandes puissances mondiales et s'aventure dans une coopération stratégique avec Moscou? Et quels avantages pourrait-il obtenir en échange de son renoncement à l'accord nucléaire et aux gains économiques qui devraient en résulter, notamment à la lumière de la crise sans précédent à laquelle le régime est confronté depuis septembre, lorsque des manifestations populaires ont éclaté dans tout le pays à la suite de l'assassinat de Mahsa Amini par la police des mœurs du régime?
Pour commencer, il convient de mentionner que l'Iran, comme d'autres pays, s'est auparavant plié, volontairement ou non, aux pressions et menaces occidentales en ne fournissant aucune forme d'assistance, notamment militaire, au président russe, Vladimir Poutine, dans sa guerre contre l'Ukraine. Cependant, la position de Téhéran a changé ces derniers mois et le pays est devenu le seul à ignorer les avertissements de l'Occident. Ce changement de politique s'explique bien sûr par plusieurs facteurs. Il s'agit notamment de la crise économique étouffante en Iran, de l'impasse dans laquelle se trouvent les négociations à propos de la relance de l'accord nucléaire, des sanctions américaines et de la recherche par plusieurs puissances mondiales d'un ordre mondial plus équitable.
L'une des principales motivations de l'Iran pour intensifier sa coopération avec la Russie est son affrontement idéologique avec les États-Unis et l'Occident, ainsi que son mépris à l'égard de l'hégémonie unilatérale de Washington sur l'ordre mondial. Cela est considéré comme une raison non seulement pour la coopération russo-iranienne croissante, mais aussi pour que l'Iran se positionne comme une partie essentielle dans cette confrontation.
En peu de temps, des signes de coopération croissante entre les deux pays sont apparus, notamment dans les domaines économique et militaire. Sur le plan militaire, l'Iran a fourni à Moscou des drones qui ont dévasté l'infrastructure de l'Ukraine. Des officiers du tristement célèbre Corps des gardiens de la révolution islamique d'Iran ont servi de conseillers militaires aux forces russes en Ukraine, permettant ainsi à l'Iran de prendre pied en Europe. On pense que la Russie veut obtenir davantage de missiles et d'équipements militaires afin de répondre à ses besoins, ce qui garantit que le cycle de la guerre se poursuivra.
Sur le plan économique, les pressions occidentales, ainsi que la dégradation rapide de la légitimité des régimes russe et iranien sur le plan intérieur, ont accéléré les efforts des deux pays afin d’ouvrir de nouveaux canaux de coopération économique. Il s'agit notamment de l'utilisation des monnaies locales dans les transactions économiques, de l'échange d'expertise sur le contournement des sanctions et de la coopération dans le domaine de l'énergie, dont la Russie a besoin depuis que ses ventes à l'Europe ont été interrompues et qu'un plafond européen a été fixé pour le prix du pétrole russe.
L'Iran, en revanche, a pratiquement brisé l'embargo imposé sur ses ventes d'armes, et la voie est désormais libre pour que les deux pays concluent de nouveaux contrats d'armement. Il ne fait aucun doute que la coopération russo-iranienne se traduira par un échange mutuel d'expertise, et peut-être par des collaborations conjointes pour développer des drones et d'autres équipements militaires. En outre, la Russie a soutenu le projet spatial iranien, Moscou ayant aidé l'Iran en août à lancer un satellite, apparemment à des fins d'espionnage et de renseignement.
Cette coopération devrait également avoir de profonds résultats à l'avenir, en particulier au Moyen-Orient. L'empressement de la Russie à offrir à l'Iran des technologies de pointe dans le cadre de sa revanche contre les États-Unis et l'Occident ébranlera l'équilibre régional des forces à de multiples niveaux, d'autant plus qu'il pourrait s'étendre à l'assistance nucléaire russe à l'Iran, ou du moins à la protection russe contre la responsabilité de Téhéran par la communauté internationale en cas de dépassement du seuil nucléaire. Cela catapulterait évidemment de façon immédiate toute la région dans une course aux armements nucléaires, avec des conséquences graves et extrêmement indésirables.
«La diplomatie et l'engagement sans pression maximale ne forceront pas l'Iran à trouver un “terrain d'entente” ou à faire des concessions.»
Dr. Mohammed al-Sulami
La coopération russo-iranienne a également contrecarré les initiatives régionales visant à apaiser les tensions et à encourager l'Iran à accepter les progrès réalisés ces derniers mois pour régler les différends régionaux. En témoignent l'enlisement du dialogue avec les puissances régionales, la trêve gâchée au Yémen et l'impasse en Syrie.
En outre, le comportement hostile de l'Iran a été renforcé par cette alliance étroite avec la Russie, Téhéran reprenant ses menaces à l'encontre des navires, ainsi que de la navigation maritime dans la région. L'Iran a également utilisé la coopération avec la Russie comme un levier pour influencer les négociations nucléaires, et pour faire exclure de l'ordre du jour son programme de missiles balistiques et son comportement régional malveillant. L'Iran n'a montré aucune volonté de mettre fin à son rôle perturbateur dans la région.
De plus, le désir de vengeance de Poutine contre l'Occident pourrait l'inciter à fournir à l'Iran des armes et des systèmes de défense avancés, et à conclure d'autres contrats d'armement – motivés par la nécessité d'injecter davantage de ressources dans l'économie russe – tels que le système de missiles balistiques S-400 et les avions de chasse avancés Sukhoi. Cela nuira également gravement à l'équilibre militaire dans toute la région et freinera la stratégie de dissuasion de l'Iran adoptée par les États-Unis et leurs alliés régionaux.
En résumé, on peut dire que la coopération avec la Russie a nourri l'inclination de l'Iran à la défiance. En conséquence, Téhéran a repoussé les tentatives de relance de l'accord nucléaire et a sapé la voie de la diplomatie sur laquelle l'administration Biden a longtemps parié. L'Iran a de même profité des variables actuelles sur la scène mondiale afin de renforcer ses points d'appui. On ne s'attend certainement pas à ce que le comportement régional de l'Iran devienne moins volatil et dangereux lorsqu'il sera renforcé par le soutien politique et diplomatique de la Russie, ainsi que par son appui militaire, en reconnaissance de sa position de soutien envers Moscou. Une coopération accrue pourrait entrainer l'ensemble du Moyen-Orient dans un nouveau chaos, et torpiller tout règlement lié au comportement régional de l'Iran et à son programme de missiles. Cela se produit à un moment où la guerre en Ukraine ne donne aux États-Unis et à l'ensemble de l'Occident aucune marge de manœuvre pour imposer de nouvelles mesures de dissuasion à l'Iran.
Enfin, il convient de souligner que le Moyen-Orient ne restera pas inactif face à un déséquilibre stratégique du pouvoir en faveur de l'Iran. Téhéran ne devrait pas poursuivre des politiques régionales motivées par une idéologie hostile. La Russie, quant à elle, devrait reconsidérer toute politique menaçant l'équilibre régional, car cela diminuerait l'influence de Moscou dans la région et porterait atteinte à ses relations avec plusieurs puissances régionales.
L'Occident doit aussi comprendre le message que l'Arabie saoudite et d'autres pays de la région ont essayé de transmettre: La diplomatie et l'engagement sans pression maximale ne forceront pas l'Iran à trouver un «terrain d'entente» ou à faire des concessions afin que des différences idéologiques et historiques profondément ancrées puissent être réglées pacifiquement.
Le Dr Mohammed al-Sulami est président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).
Twitter: @mohalsulami
Les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com