Ce n’était sûrement pas ce qu’escomptait le Kremlin à l’aube de l’«opération militaire spéciale» déclenchée le 24 février dernier. Tout portait à croire que cette opération devait être une promenade de santé et qu’elle finirait par faire chuter le gouvernement ukrainien en place à Kiev. Cela a été le contraire.
En effet, la guerre en Ukraine dure depuis près de neuf mois et on ne voit toujours pas la sortie du tunnel. Mais le retrait russe de la ville de Kherson, seule capitale provinciale occupée depuis le mois de mars, rebat les cartes d’un conflit qui a dramatiquement changé de nature. Ce n’est pas une opération militaire limitée que mène la Russie en Ukraine. C’est bel et bien une guerre qui n’en finit pas, entraînant avec elle une multitude de complications sur plusieurs fronts, bien au-delà du terrain des opérations.
Face à la machine de guerre russe, supérieure en nombre de troupes et en matériel, l’Occident, mené par les États-Unis, est entré en lice. L’aide militaire américaine aux forces armées ukrainiennes est massive et d’un niveau technologique supérieur. De quoi faire la différence sur le terrain et mettre les Russes en échec pendant plus de huit mois. Le retrait forcé des troupes russes de la ville de Kherson met en évidence les énormes difficultés auxquelles font face les Russes.
Certains experts militaires estiment que le retrait russe de Kherson constitue un tournant dans la mesure où la machine militaire russe est enrayée et qu’elle se trouve dans l’incapacité de mener à bien cette guerre et de la remporter.
Parallèlement, on commence à entendre en Europe des voix qui demandent que la voie de la négociation soit ouverte. Auparavant, le Kremlin avait avancé l’idée de s’asseoir à la table des négociations, facilitée par un cessez-le-feu, mais elle a été réfutée par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.
Certains experts militaires estiment que le retrait russe de Kherson constitue un tournant dans la mesure où la machine militaire russe est enrayée et qu’elle se trouve dans l’incapacité de mener à bien cette guerre et de la remporter. Même avec la mobilisation de centaines de milliers d’hommes, la guerre ne se jouerait plus sur le nombre des soldats engagés, mais sur le niveau technologique des armes employées.
La Russie n’a toujours pas acquis la suprématie des airs. Son artillerie, bien supérieure en nombre, n’est pas de taille à concurrencer l’artillerie de haute précision occidentale fournie aux Ukrainiens. Cette dernière fait des ravages dans les rangs russes ainsi qu’au niveau de leur logistique. Le moral des troupes ukrainiennes est haut, celui des Russes au plus bas. Les pertes ukrainiennes sont énormes à tous les niveaux, mais les pertes de la prétendue «deuxième armée au monde» ne se comptent plus, sur le plan humain et matériel.
Le chapitre de Kherson est-il un tournant dans la guerre? Certains observateurs le croient. Ils pensent que ce pourrait être le point de départ de la diplomatie, car les deux parties en ont grand besoin. Pour leur part, les Ukrainiens, qui refusent de négocier avant le départ complet des forces russes des territoires occupés, savent que, à la fin, c’est l’Occident, et surtout les États-Unis, qui aura le dernier mot. Le président Joe Biden, qui s’est bien sorti des élections de mi-mandat, se trouve en position de force, vis-à-vis de ses adversaires comme de ses alliés.
La Russie a raté sa guerre.
Quant au président russe, Vladimir Poutine, il a grand besoin de se ressaisir lui aussi, peut-être même davantage que son rival ukrainien. C’est un chef d’État diminué après l’échec de son pari ukrainien. Son armée a montré ses limites dans cette campagne ratée. Il voit ainsi son prestige mis à mal auprès de ses pairs sur la scène internationale. Bien qu’il soit parvenu à occuper partiellement les quatre régions ukrainiennes annexées en octobre dernier, il ne s’est pas aventuré à délimiter les frontières de ces régions dont il avait dit qu’elles faisaient partie de la mère patrie.
Avec les pertes colossales qu’elle a subies pendant huit mois de guerre, l’armée russe est en grande difficulté. Au fond, M. Poutine et M. Zelensky ont grand besoin de se mettre à la table de négociations. Le conflit déclenché par le chef du Kremlin n’a pas atteint ses objectifs. Or, comme le disait il y a quelques mois le président français, il faudrait éviter d’humilier la Russie; il en va de l’avenir de la paix en Europe. M. Macron partait du principe que M. Poutine serait sans doute mis en échec. Mais il faudra laisser place à la diplomatie et essayer d’installer une paix durable afin d’éviter à l’Europe une autre guerre dans cinq ou dix ans.
La Russie a raté sa guerre. L’Ukraine sortira de cette épreuve comme une nation forte et indépendante qui a payé un très lourd tribut, avec la mort de dizaines de milliers de ses citoyens, pour s’assurer une nouvelle naissance ainsi qu’une identité nationale inviolable et définitive. Elle aura sa place au sein de l’Europe et de l’Otan et pourra se dresser fièrement face à son voisin bien encombrant.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
Twitter: @AliNahar
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