Alors que le monde brûle, les chefs religieux appellent à la «rencontre civilisationnelle»

Le pape François et le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed al-Tayeb, se rencontrent à la mosquée du palais de Sakhir, à Bahreïn, le 4 novembre 2022 (Photo, Reuters).
Le pape François et le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed al-Tayeb, se rencontrent à la mosquée du palais de Sakhir, à Bahreïn, le 4 novembre 2022 (Photo, Reuters).
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Publié le Mercredi 09 novembre 2022

Alors que le monde brûle, les chefs religieux appellent à la «rencontre civilisationnelle»

Alors que le monde brûle, les chefs religieux appellent à la «rencontre civilisationnelle»
  • Au Liban, l’effondrement économique et le chaos politique mettent en péril l’équilibre délicat dans la coexistence entre les sectes et les ethnies
  • Daech a récemment profité des troubles en Iran pour organiser sa première attaque dans le pays depuis plusieurs années

Le commentaire choquant et raciste selon lequel «l’Europe est un jardin... la majeure partie du reste du monde est une jungle et la jungle pourrait envahir le jardin» a été formulé le mois dernier par le chef de la politique étrangère de l’Union européenne (UE), Josep Borrell.
Lors du Forum de Bahreïn pour le dialogue de la semaine dernière, le grand imam d’Al-Azhar, le cheikh Ahmed al-Tayeb, a critiqué de telles déclarations «irresponsables» qui témoignent d’«une ignorance flagrante des civilisations de l’Orient et de leur Histoire», sans pour autant citer le nom de M. Borrell. Assis à ses côtés, le pape François s’est joint à lui, avertissant que «dans le jardin de l’humanité, au lieu de cultiver notre environnement, nous jouons plutôt avec le feu, les missiles et les bombes».
Bien qu’on vive une époque où les guerres, l’intolérance, la destruction de l’environnement et les tensions religieuses se multiplient, les dirigeants mondiaux n’ont jamais été aussi apathiques et désengagés. Cet événement à Bahreïn propose de réinitialiser l’horloge du monde, en garantissant une représentation de haut niveau de toutes les grandes religions.
Le «Forum de Bahreïn pour le dialogue: Orient et Occident pour la coexistence humaine» a vu le jour grâce au soutien de grandes organisations religieuses comme le Conseil des sages musulmans, le Conseil suprême des affaires islamiques, Al-Azhar, l’Église catholique et le Centre mondial du roi Hamad pour la coexistence pacifique. Au cours de l’événement, l’imam Al-Tayeb a lancé un appel révolutionnaire au dialogue entre sunnites et chiites.
Le roi Hamad insiste sur la nécessité d’œuvrer pour «le bien et le progrès de l’humanité, afin que chaque être humain puisse jouir d’une vie digne et gratifiante dans un monde plus stable et plus sûr».
Bahreïn est un microcosme pour cette vision de coexistence tolérante. L’imam Al-Tayeb a souligné que l’Histoire du pays se base sur le fait de chérir «la diversité et l’acceptation de l’autre, quelles que soient les différences de race, de croyance, de pensée ou de culture. Ils ont transformé les meilleurs aspects de ces civilisations en une source d’énergie créatrice qui favorise la stabilité sociétale et un développement social constructif.» Le pape François a évoqué avec émotion la manière dont les îles de Bahreïn ont servi de modèle de coexistence pacifique pour l’humanité, nous rappelant «que nous formons en réalité une seule et même famille: pas des îles, mais un grand archipel».
Cette ère est des plus périlleuses pour la coexistence religieuse. En Inde, le parti nationaliste hindou au pouvoir, le Bharatiya Janata, a déclenché une campagne d’hostilité et de discrimination contre les musulmans et les minorités, sans parler des campagnes génocidaires contre les Ouïghours et les Rohingyas.
L’inexorable montée en puissance de l’extrême droite domine le monde occidental et le déstabilise. Ces derniers jours, des partis d’extrême droite ont pris le pouvoir en Israël et Benjamin Netanyahou s’entoure de néonazis et de fascistes ultrasionistes. Une situation de bien mauvais augure pour la cause palestinienne, ainsi que pour les perspectives de coexistence entre les juifs, les musulmans et les chrétiens de la région.
Lors des élections de mi-mandat aux États-Unis, un parti républicain renaissant présente certains de ses candidats les plus radicaux pour occuper des fonctions politiques. L’attaque au marteau menée contre le mari de la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, est un signe de la montée globale des discours de haine, de l’antisémitisme, de l’islamophobie et des complots.
Dans mon propre pays, le Liban, l’effondrement économique et le chaos politique mettent en péril l’équilibre délicat dans la coexistence entre les sectes et les ethnies. Le Hezbollah et Gebran Bassil, dans leurs efforts de diviser pour régner, ne font que jouer impitoyablement la carte sectaire, sachant qu’une fois que le génie de la violence interconfessionnelle sera sorti de la bouteille, il n’y aura plus moyen de le remettre en place. L’Irak se trouve dans une situation tout aussi dangereuse, pour des raisons similaires et Téhéran ne fait que compliquer les choses, ayant permis à ses mandataires sectaires de revenir au pouvoir.
Daech a récemment profité des troubles en Iran pour organiser sa première attaque dans le pays depuis plusieurs années, massacrant des fidèles dans un important sanctuaire de Chiraz. L’organisation terroriste a connu une grande expansion à travers l’Afrique, mettant le feu à des dizaines d’églises et massacrant des milliers de chrétiens et de musulmans.
Tout cela montre que les efforts visant à favoriser la coexistence religieuse ne sont pas simplement une façade, mais qu’ils constituent plutôt un élément essentiel pour garantir la coexistence continue de l’humanité. Pendant une longue période de notre Histoire collective, les humains ont été génétiquement programmés pour considérer ceux qui sont différents – sur les plans physique et culturel –, comme des ennemis. C’est flagrant en Europe, où la peur des immigrés noirs, musulmans ou pauvres est depuis longtemps une force politique dominante. Certains seraient même très heureux de voir les bateaux de réfugiés fuyant les conflits et les persécutions couler dans la mer Méditerranée ou la Manche.
Le commentaire de Josep Borrell selon lequel le «jardin» européen était menacé par des envahisseurs venus des «jungles» du monde illustre ces craintes, tout en ne reconnaissant pas qu’une telle dynamique intolérante puisse bouleverser la vision de cette oasis européenne de progrès, de coexistence et de stabilité que l’UE cherche à propager.
L’imam d’Al-Azhar a appelé au remplacement de la théorie du «choc des civilisations» par le concept de «rencontre civilisationnelle», soulignant l’accent mis par le Coran sur la nécessité de la rencontre et de l’engagement entre «les peuples et tribus». Il a mis en garde contre les dangers d’«attiser les feux des sentiments nationalistes et idéologiques. La cruauté de notre monde contre l’humanité s’est encore aggravée avec la réduction des droits les plus fondamentaux de l’homme à une sécurité minimale.»
Le pape François a mis en garde contre les «conséquences amères si nous continuons à accentuer le conflit au lieu de la compréhension, si nous persistons à imposer obstinément nos propres modèles et nos visions despotiques, impérialistes, nationalistes et populistes, si nous ne nous soucions pas de la culture des autres, si nous faisons fi des appels à l’aide des gens ordinaires ou des pauvres et si nous continuons à diviser les gens de manière simpliste en bons et mauvais».

«Chérir l’espoir que nous ne détruisions ni la planète ni nous-mêmes ne semble pas être une ambition excessive.» - Baria Alamuddin

Nous ne pouvons pas simplement jeter nos ennemis à la mer. De nombreuses religions nous apprennent à aimer nos ennemis et à traiter tous les êtres humains comme nos voisins. Si nous voulons que notre espèce survive au XXIIe siècle, alors ce sont des leçons que nous devons apprendre rapidement. On m’accuse souvent d’être trop idéaliste, pourtant chérir l’espoir que nous ne détruisions ni la planète ni nous-mêmes ne semble pas être une ambition excessive.
Le grand imam a appelé à la reconstruction de «ponts de dialogue, de compréhension et de confiance, et à rétablir la paix dans un monde empli de souffrance», tandis que le roi de Bahreïn a appelé à remplacer le «désaccord par le consensus» et à favoriser «l’unité plutôt que la division».
Sur cette planète de plus en plus multipolaire, nous pouvons soit apprendre à coexister en paix, soit mourir dans le sang et l’anarchie. Comme le dit si bien le pape François: «Dans un monde globalisé, nous n’avançons qu’en ramant ensemble; si nous naviguons seuls, nous partons à la dérive.»

Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com