Le pape François peut aider tous les Arabes, pas seulement les chrétiens

Des enfants chrétiens irakiens assistent à une messe à l'église de Saint Georges à Teleskof, en Irak, le 24 décembre 2017. (Photo, Reuters)
Des enfants chrétiens irakiens assistent à une messe à l'église de Saint Georges à Teleskof, en Irak, le 24 décembre 2017. (Photo, Reuters)
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Publié le Samedi 06 mars 2021

Le pape François peut aider tous les Arabes, pas seulement les chrétiens

Le pape François peut aider tous les Arabes, pas seulement les chrétiens
  • Le pape François entame un voyage en Irak - le premier du genre pour un pontife depuis l’avènement du christianisme il y a plus de deux millénaires
  • Autrefois une communauté prospère de 1,5 million de personnes dans le pays, les chrétiens irakiens se sont retirés dans la province nord-ouest de Ninive

La violence, le banditisme et le changement démographique imposés par les milices iraniennes en Irak aux villes chrétiennes, autrefois dominées et terrorisées par Daech, sont devenus si répandus et alarmants qu'ils ont incité le pape François à planifier un voyage en Irak - le premier du genre pour un pontife depuis l’avènement du christianisme il y a plus de deux millénaires.

Autrefois une communauté prospère de 1,5 million de personnes dans le pays, les chrétiens irakiens se sont retirés dans la province nord-ouest de Ninive, qui a toujours été l'une des zones les plus diversifiées de la région et abrite quelques communautés anciennes, dont certaines ont pour langue maternelle l'araméen. La plupart des historiens pensent que Jésus parlait l'araméen.

Entre 2014 et 2017, Daech a déclenché une vague de sévices contre tous les résidents du nord-ouest de l'Irak, mais en particulier contre les non-musulmans. Le groupe terroriste a marqué les maisons des chrétiens de la lettre «N», pour nazaréen, et les a forcés soit à se convertir à l'islam, soit à payer une impôt électoral. Et ces chrétiens-là étaient les plus chanceux. D'autres minorités qui n'étaient pas considérées comme faisant partie des «gens du Livre», comme les Yézidis, ont subi un traitement beaucoup plus sévère, dont l'esclavage de leurs femmes.

Les États-Unis ont dirigé une coalition mondiale qui a décimé Daech, mais les chrétiens et d'autres minorités craignent toujours de rentrer chez eux parce que le pouvoir qui a succédé à Daech, les milices chiites pro-iraniennes Al-Hashd Al-Shaabi, les ont également maltraitées. Dans quelques villes, les chrétiens ont formé leurs propres milices pour se protéger des violences. Mais les chrétiens n'ont pas les ressources nécessaires pour investir toutes leurs villes et quartiers, ce qui oblige beaucoup d'entre eux à rester déplacés. Et, pendant que les chrétiens sont absents, les milices chiites volent leurs biens, soit en falsifiant des documents, soit en les faisant chanter pour qu'ils vendent à des prix très bas. Le résultat final est que les chrétiens irakiens, dont le nombre est désormais estimé à 150 000, quittent le pays en masse.

Pour autonomiser ces chrétiens et les aider à rester dans leur patrie de toujours, le pape François se rendra en Irak, où il prévoit plusieurs arrêts, notamment à Qaraqosh - la plus grande ville chrétienne du nord-ouest - et à Irbil, la capitale de la région autonome du Kurdistan. Le pontife visitera également Najaf, où il rencontrera le grand ayatollah Ali Al-Sistani. Les deux dignitaires devraient signer un document appelant à la paix, similaire à celui que le pape a signé avec son homologue sunnite, le grand imam Ahmad Al-Tayyeb, lors de son voyage aux Émirats arabes unis en 2019.

Mais les visites du Pape François au Moyen-Orient, destinées à promouvoir la paix et la coexistence, ne sont pas seulement symboliques. En rencontrant Al-Sistani, le pontife reconnaîtra techniquement le clerc irakien comme la plus haute autorité chiite - une reconnaissance qui perturbe les rivaux d'Al-Sistani en Iran, en particulier Ali Khamenei, qui, malgré la domination de la théocratie iranienne, n'a pas le pedigree religieux requis pour maîtriser les hauts dignitaires religieux de Najaf. La violence des milices chiites compense probablement le niveau de notoriété religieuse de  Khamenei.

Les milices iraniennes ont alarmé le pape François non seulement en Irak, mais aussi au Liban, où l'Église maronite en communion avec Rome, le patriarche, Béchara Boutros Al-Rai, jouit du rang de cardinal qui lui permet de voter chaque fois que l’église catholique élit son pape . Alors que la milice iranienne au Liban, le Hezbollah, resserre son étau sur le pays, provoquant anarchie et chute économique, le nombre de chrétiens libanais a également diminué, tout comme en Irak. Par conséquent, le pape a fait pression sur Al-Rai pour exiger que les résolutions de l'ONU concernant le Liban soient mises en œuvre, y compris la dissolution du Hezbollah et la relance de la trêve de 1949 avec Israël.

La position d'Al-Rai n'est pas restée sans réponse du Hezbollah, dont le porte-parole a décrit le patriarche, sans le nommer, comme l'un des « pires clercs que le Liban ait connus ». Le chef de la formation, Hassan Nasrallah, a également réfuté Al-Rai sans le nommer qualifiant ses propositions d’ «inacceptables». Le plus paradoxal est que le régime de terreur du Hezbollah au Liban est fondé sur le mythe de la protection des chrétiens et de la sauvegarde de leurs droits - un mensonge colporté par le président Michel Aoun, un maronite qui doit sa fonction à la milice pro-iranienne et qui adhère totalement à la ligne du Hezbollah.

Le pape François semble comprendre que le modèle imposé par le gouvernement islamiste d'Iran et ses milices à l'Iran, à l'Irak, à la Syrie, au Liban et au Yémen mine les chrétiens natifs de ces pays et les éloigne de leurs terres ancestrales.

Pour que les chrétiens du Levant prospèrent, leurs États doivent mettre fin à leur guerre sans fin et à leur rhétorique révolutionnaire. C'est le cœur du problème: l'Iran tente d'imposer son modèle - là où un chef suprême qu’on ne responsabilise pas et sa milice ont le dessus sur un président faible et un État incohérent - sur l'Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen. Le modèle a échoué en Iran, entraînant son isolement et la perte de capitaux et d'investissements. Alors que l'économie s'effondrait, le régime a accru sa rhétorique révolutionnaire populiste et les niveaux de violence ont augmenté.

Les visites du pontife au Moyen-Orient, destinées à promouvoir la paix et la coexistence, ne sont pas seulement symboliques.

Hussain Abdul-Hussain

Et pour que les chrétiens du Liban, de Syrie et d'Irak prospèrent, les milices doivent être dissoutes, et l'État et ses institutions - en particulier le pouvoir judiciaire - doivent appliquer les lois et la justice. Lorsque le monde retrouvera sa confiance dans l'État, les capitaux reviendront, l'économie commencera à croître et tous les citoyens, y compris les chrétiens, resteront dans leur patrie.

Le pape François le sait. Il semble comprendre que la survie des chrétiens du Levant exige que le régime iranien et ses milices soient renversés et que les pays reviennent à la normale. En tendant la main à ses homologues religieux comme Al-Sistani, le pontife semble rallier tous ceux qu’il peut pour contrer les mollahs iraniens. Si cela se réalise, non seulement les chrétiens le remercieront, mais tous les citoyens des pays arabes qui subissent une intervention iranienne forcée le feront aussi.

 

Hussain Abdul-Hussain est le chef du bureau de Washington du quotidien koweïtien Al-Rai et un ancien chercheur invité à Chatham House à Londres.

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com