Espérons que la région réagira positivement au message de paix du pape François

Le pape François (Photo, fournie).
Le pape François (Photo, fournie).
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Publié le Jeudi 04 mars 2021

Espérons que la région réagira positivement au message de paix du pape François

Espérons que la région réagira positivement au message de paix du pape François
  • La visite du pape François véhiculera un message de paix et de réconciliation après les nombreuses années de souffrances du peuple irakien
  • Comme François d'Assise, autorisé à prêcher devant le sultan ayyoubide Al-Kamil il y a huit cent ans, le pape François a cette même volonté de franchir les frontières confessionnelles et sectaires

Dieu sait combien l'Irak a besoin de bonnes nouvelles. Plus de 4 000 personnes sont infectées par le coronavirus chaque jour. Les manifestants continuent à être massacrés et meurtris dans la ville de Nassiriya, ainsi que dans d'autres villes dans le sud du pays. Le gouvernement s'est engagé à poursuivre en justice les criminels qui ont par le passé assassiné des activistes, mais ces derniers vivent toujours en toute liberté. L'administration Biden vient de mener des frappes aériennes contre les positions des groupes Kata'ib Hezbollah et Kata'ib Sayyid al-Shuhada à la frontière syrienne. Avec d'autres milices chiites, ces groupes continuent à attaquer et à menacer des cibles américaines (mais également d’autres infrastructures comme plus récemment l’aéroport d’Erbil) en toute impunité. Ils continuent à opprimer et à tuer les Irakiens qu'ils prétendent protéger.

De son côté, la Turquie intimide librement les Kurdes (quoi de neuf dans cette histoire?). Enfin, l'Iran continue ses tactiques habituelles: il déstabilise des États, enrichit de l'uranium, attaque sans retenue des navires dans les eaux internationales et dicte avec arrogance au gouvernement irakien sa politique.

La majorité des Irakiens souhaitent vivre en paix avec leurs voisins dans un pays qui leur appartient,  j'en suis convaincu. Ils sont fiers de cette extraordinaire mosaïque communautaire, confessionnelle, sociale et ethnique que le grand savant irakien, feu Ali al-Wardi, considérait comme la caractéristique la plus marquante de l'Irak.

La prochaine visite du pape François – la première visite d'un souverain pontife –, si elle a lieu (et je prie pour ça avec ferveur), sera un rayon de lumière. Elle apportera sans aucun doute de l'espoir et du réconfort aux chrétiens d'Irak, mais également à des millions d'autres personnes dans la région, toutes confessions confondues. Elle leur rappellera qu'ils ne sont pas oubliés. Mais par-dessus tout, cette visite véhiculera un message de paix et de réconciliation après les nombreuses années de souffrances du peuple irakien. En tant que catholique, je vois cette visite comme une bénédiction pour l'avenir, mais aussi comme un appel à ne pas oublier les cicatrices du passé.

Je ne peux oublier ce jour triste de novembre, il y a déjà onze ans. Je me tenais la tête baissée dans l'église syriaque catholique de Notre-Dame du Salut à Bagdad. Une foule de fidèles pleurait ceux qui avaient été assassinés par Daech – compagnons de prière, prêtres, policiers et passants –  pendant la messe du dimanche 31 octobre 2010. Le bilan s'était élevé à près de 60 morts et 80 blessés, dont certains gravement touchés. Sept cercueils les rassemblaient tous. Parmi la foule, deux ou trois autres ambassadeurs étaient présents, de même que Sayyid Ammar al-Hakim, le chef du Conseil suprême islamique d'Irak à l'époque – l'un des deux principaux mouvements politiques chiites établis dans le pays. La présence de cet homme, dont le nom prestigieux résonnait, était à la fois remarquable et courageuse. Les forces de sécurité entouraient l'église de toutes parts pour assurer la sécurité: des snipers étaient postés sur les toits, des véhicules blindés bloquaient les rues, des policiers et des agents des services de renseignement (moukhabarat) flânaient dans les rues. L'avertissement du Christ à Simon Pierre m'est venu à l'esprit: «Tous ceux qui auront pris l'épée périront par l'épée ». Cependant, les églises et les dirigeants chrétiens n'ont pas toujours respecté ce commandement: tendre son autre joue est une chose difficile d'autant plus que le péché mortel de l'orgueil est séduisant. Mais ce commandement est au cœur de l'Évangile des chrétiens.

Le Moyen-Orient est le berceau du christianisme. Pendant des siècles, cette religion a été la religion la plus pratiquée, même après le déclin du pouvoir politique des chrétiens. En 1918, ils représentaient  près d'un quart de la population de la région. Aujourd'hui, leur nombre ne dépasse pas le vingtième des habitants du pays. Les Ottomans, à leur âge d'or, étaient plutôt tolérants. Pourtant, ils n’hésitaient pas à exécuter un patriarche ou deux chaque fois qu'ils soupçonnaient les Grecs de semer le trouble. Au cours de leur long déclin au XIXᵉ siècle, en raison de la pression accrue de la Russie et de la réticence des populations des Balkans, ils sont devenus plus répressifs. En effet, l'assassinat ciblé des chrétiens ottomans n'a pas commencé en 1915. Comme le montrent les documents de l'éminent historien turc Taner Akcam, cette oppression remonte à une époque beaucoup plus lointaine. Le Mont-Liban a en effet été le théâtre d'une guerre civile en 1860, au cours de laquelle les druzes ont massacré des chrétiens. Les massacres de 1876 en Bulgarie ont aussi été gravés dans l'histoire de l'Europe.

 

Cette visite apportera sans aucun doute de l'espoir et du réconfort aux chrétiens d'Irak, mais également à des millions d'autres personnes dans la région, toutes confessions confondues.

 

D'autres communautés ont également souffert, bien sûr. Les yézidis, les shabaks, les druzes, les alaouites, les amazighs, les touareg et d'autres encore ont souffert de manière souvent horrible. En 1918, la communauté juive de Bagdad représentait peut-être 40% de la population totale. De nombreux juifs, des parsis et des arméniens vivaient à Bassorah. Le Caire, Alexandrie, Mossoul et Alep faisaient partie des quatre grandes villes cosmopolites du monde. Hélas, ce n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui.

Mais les juifs possèdent désormais un État. Les chiites ont prospéré, alors même qu’ils ont vécu sous l'autoritarisme brutal du régime khomeiniste en Iran et sont actuellement une classe privilégiée en Irak, au Liban et en Syrie. Les chrétiens n'ont pas été aussi chanceux. En Égypte, où les coptes représentent encore peut-être un dixième de la population totale, l’émigration, même très limitée, continue et s’est considérablement amplifiée lorsque les Frères musulmans ont pris le pouvoir en 2012.

Lorsque les Frères musulmans ont été renversés, leurs partisans ont attaqué des cibles chrétiennes pour se venger. Les chrétiens, ne possédant pas de soutien tribaux, se sont trouvés sans défense. Dans les Territoires palestiniens, là même où le Christ a mis les pieds, les chrétiens représentaient auparavant peut-être un tiers de la population totale. Ils sont maintenant moins d'un vingtième. Il en va de même pour l’Irak, la terre des patriarches. C'est une histoire triste et troublante.

Et cela a des conséquences qui ne sont pas faciles à comprendre. Le regretté Yasser Arafat me disait que la présence continue de chrétiens palestiniens en Terre Sainte était d'une importance fondamentale pour lui. Ils étaient le levain (khamira) de la société palestinienne. Sans eux, elle risquait de devenir plate, monoculturelle et extrême. Vous pourriez faire le même raisonnement pour les minorités en Irak. Il est merveilleux que les musulmans de Mossoul tiennent à encourager – aidés par les financements des Émirats arabes unis – la reconstruction non seulement de leurs mosquées mais aussi des églises détruites par Daech, alors que les assyriens retournent dans les plaines de Ninive et les que les yézidis reviennent lentement au Sinjar.

 Mais ce sont des dissidents kurdes qui ont harcelé les misérables arméniens, après le fleuve de larmes de 1915. C'est Bakr Sidqi qui a effectué le premier massacre d'assyriens dans l'Irak moderne en 1933. Les shabaks, leurs voisins en Irak, ont ​​cherché à occuper leurs terres lorsque Daech est apparu. Et les milices chiites installent aujourd'hui leurs propres partisans là où se trouvaient autrefois les villages yézidis et chrétiens. De nombreux chrétiens irakiens – comme les coptes –  ont fini par émigrer dans le désespoir le plus total. Il reste encore un long chemin à parcourir.

Le nom même de François, choisi par le pape lors de son élection, rappelle la simplicité de saint François d'Assise, qui a été autorisé à prêcher devant le sultan ayyoubide Al-Kamil, le neveu du grand Salahuddin,  profitant d’une trêve au cœur de la sanglante Vᵉ croisade il y a huit cent ans. Le pape François a cette même volonté de franchir les frontières confessionnelles et sectaires. Une volonté plus que jamais nécessaire dans un monde où les politiques identitaires souvent violentes risquent de détruire le sens de notre humanité commune.

Le pape François se rendra non seulement à Bagdad, mais aussi à Najaf, où il fera appel au grand ayatollah Ali al-Sistani (un message pour nous tous), à Irbil, à Mossoul et à Karakosh. Il rencontrera le président, le Premier ministre et d’autres hauts fonctionnaires travaillant pour l’avenir de l’Irak. Il constatera l'effroyable destruction causée par Daech et entendra le témoignage de ceux qu'il a persécutés. Il célébrera la messe pour les fidèles catholiques. Il verra Nassiriya, la ville d'Abraham, et tiendra une réunion interreligieuse dans la plaine d'Ur. Tout le monde n'acceptera pas sa visite. Il devra se prémunir contre ceux qui souhaitent instrumentaliser sa présence à leurs propres fins. Il devra témoigner des souffrances de toutes les communautés en Irak et dans la région au sens large. Il devra être franc avec les politiciens irakiens sur le besoin de justice. Il sera, bien entendu, diplomate et homme d’État, d’une manière différente que saint François. Mais au fond, son message sera similaire: nous sommes des êtres humains, des enfants de Dieu, et nous devons mieux nous connaître et nous aimer. J'espère que ce message sera entendu non seulement à Bagdad mais dans le monde entier.

 

Sir John Jenkins est chercheur principal à Policy Exchange. Jusqu'en décembre 2017, il était directeur correspondant (Moyen-Orient) à l'Institut international d'études stratégiques (IISS), basé à Manama, Bahreïn, et a été associé principal au Jackson Institute for Global Affairs de l'université de Yale. Il a été ambassadeur britannique en Arabie saoudite jusqu'en janvier 2015.

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com