La normalisation des relations avec Bachar al-Assad semble être un objectif plus inaccessible que jamais. Le président syrien a perdu sa légitimité en massacrant son peuple et représente désormais une menace directe pour la santé du Golfe et de la communauté internationale. La Syrie se transforme en narco-État dont le dirigeant utilise la drogue comme monnaie d’échange.
Initialement, les réfugiés occupaient cette fonction. Bachar al-Assad les utilisait pour faire pression sur la communauté internationale et obtenir des conditions favorables sans faire de concessions. Cependant, il ne peut plus jouer cette carte puisque les Européens ont, en quelque sorte, intégré les vagues de réfugiés; la violence s’est en grande partie arrêtée en Syrie et la communauté internationale parle de redressement rapide sans qu’il soit nécessaire de normaliser les relations avec le régime.
Assad a donc dû trouver un nouvel atout. Au cours des huit premiers mois de l’année, 250 millions de comprimés de Captagon d’origine syrienne ont été confisqués à travers le monde. On pense que la Syrie a exporté des pilules d’une valeur de 17,5 milliards de dollars (1 dollar = 1,02 euro) en 2020, soit vingt-deux fois les exportations totales du pays. La principale destination de ces pilules est l’Arabie saoudite. De temps en temps, les autorités du Royaume trouvent de la drogue cachée dans des cargaisons de fruits. Celles-ci peuvent avoir transité au Liban au préalable pour contourner les soupçons.
Dans un entretien accordé au Figaro, un homme d’affaires syrien affilié au régime laisse entendre qu’Al-Assad cesserait d’envoyer du Captagon dans le monde si la communauté internationale assurait sa réinsertion sur la scène diplomatique sans qu’il ait à changer de méthode de gouvernance. D’après cette source, le régime doit d’ici là trouver des moyens de «survivre» aux sanctions sui lui sont imposées.
Plusieurs tentatives de réinsertion d’Al-Assad ont échoué. La Jordanie a essayé de lui venir en aide en plaidant sa cause auprès de l’administration Biden. En retour, Assad a fait passer des armes et de la drogue en contrebande en Jordanie. Des pourparlers ont également eu lieu sur le redéploiement par Amman de groupes d’opposition à Deraa, dans le sud-ouest de la Syrie, afin de servir de zone tampon entre les combattants au service d’Al-Assad et la frontière jordanienne.
L’attitude du dirigeant syrien envers la Jordanie montre qu’une approche par étapes ne fonctionne pas. Al-Assad fera toujours chanter la communauté internationale pour obtenir ce qu’il veut sans faire de concessions. Cela a du sens, en réalité, puisque la moindre concession qu’il ferait signerait la fin de son régime.
Al-Assad est un survivant. Il fera tout ce qu’il faut pour survivre. Lorsque l’aide est acheminée via Damas, il en détourne une majorité au profit de son régime. Maintenant que les sanctions l’ont isolé de l’économie mondiale, il s’est tourné vers l’économie clandestine pour assurer sa survie. Les drogues ont deux objectifs: elles servent à la fois de source de financement et de moyen pour faire chanter la communauté internationale.
Il franchit là toutefois une ligne rouge diplomatique. Qu’Al-Assad massacre son propre peuple en Syrie est un problème, qu’il mette en danger les pays du Golfe et de l’Europe en est un autre. L’Europe ne cédera pas face à Al-Assad. Le continent sait désormais que le dirigeant syrien n’est pas digne de confiance, que toute tentative d’apaisement conduit à plus de demandes de sa part.
Les drogues obligent l’Europe, le Golfe et le monde à regarder la réalité en face.
Dr Dania Koleilat Khatib
Les drogues obligent l’Europe, le Golfe et le monde, à commencer par les adeptes du « mieux vaut mal que l’on connait », de regarder la réalité en face. Il n’y a aucun moyen d’aller de l’avant avec Al-Assad. Il ne changera pas de comportement et continuera de faire chanter la communauté internationale, même si des fonds lui sont destinés.
L’ancien président américain Jimmy Carter, qui est favorable à la normalisation des relations avec le président syrien pour mettre fin au conflit, a un jour décrit le processus comme une «paix sinistre». Cependant, il n’y aura aucune sorte de paix avec Al-Assad. Il ne comprend pas que ses méthodes ne fonctionnent pas auprès de la communauté internationale ni que, s’il ne fait pas preuve de bonne volonté, personne ne lui prêtera main-forte.
L’ouverture de la Jordanie au régime de Bachar al-Assad était pour ce dernier une occasion en or de montrer une certaine bonne volonté qui aurait pu inciter d’autres pays arabes à entamer le processus de normalisation. Cependant, au lieu de montrer son appréciation au monarque jordanien, le comportement imprudent et immoral d’Al-Assad n’a fait qu’embarrasser le roi Abdallah. Quelle image envoie-t-il ainsi à ceux qui sont favorables à la normalisation des relations avec lui?
Al-Assad ne se rend pas compte qu’il est déjà en sursis. Il a fait preuve de beaucoup d’habileté vis-à-vis des divergences entre ses alliés et même parmi ses ennemis. Il a su trouver un équilibre entre les Russes et les Iraniens. Il s’est présenté comme un moyen de dissuasion contre la Turquie au plus fort des tensions d’Ankara avec les Émirats arabes unis. Cela a permis d’inciter Abu Dhabi à normaliser les relations avec le régime syrien et de lui apporter son aide. Cependant, un tel comportement ne saurait être accepté. Et l’épisode Captagon nous prouve qu’Al-Assad ne peut en aucun cas se racheter.
La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com