Une jeune Iranienne est morte il y a quelques jours après avoir été arrêtée par la police religieuse, car elle portait son voile islamique de façon irrégulière. Mahsa Amini, c’est son nom, est devenue en Iran le symbole d’une révolte notamment menée par des femmes qui souhaitent que le hijab ne soit plus une obligation dans le pays. Ces manifestations ont pour le moment coûté la vie à près de quatre-vingts personnes, parmi lesquelles une autre femme, Hadis Najafi, tuée par la police iranienne.
Ce mouvement de liberté soulève souvent une interrogation en Occident, où l’opinion publique a souvent tendance à confondre les pays musulmans du Golfe. En effet, à première vue, on s’étonne que les femmes des monarchies arabes ne suivent pas ce mouvement et ne se battent pas pour davantage de liberté.
Ainsi, aujourd’hui, une femme saoudienne n’a pas grand-chose à reprocher au pouvoir en place au sujet de sa situation individuelle et elle doit davantage travailler à gagner sa place dans la société en faisant évoluer les mentalités.
Or, la logique est profondément différente: les monarchies du Golfe, et l’Arabie saoudite tout particulièrement, ont mis en place des mesures qui permettent justement aux femmes de bénéficier d’une égalité de droit. Depuis 2020, une loi sur l’habillement ne mentionne plus l’obligation du hijab pour les femmes saoudiennes et la loi sur le statut personnel de 2022 aligne de façon assez spectaculaire les droits des femmes sur ceux des hommes.
Il existe donc de moins en moins de contraintes légales qui pourraient pousser les Saoudiennes à réclamer des changements au pouvoir et ce dernier a montré sa volonté, depuis dix ans, d’ouvrir progressivement la société aux femmes. La dynamique est donc enclenchée et les femmes saoudiennes n’ont pas de raison de la contester, bien au contraire.
L’autre aspect qui présente une grande différence réside dans le fait que les assassins de Mahsa Amini sont membres de la police religieuse iranienne, chargée de faire respecter les «bonnes mœurs», et qui agit souvent de façon brutale et humiliante. Les décisions de 2016, 2017 et 2018 qui ont consisté à réduire puis à faire disparaître la police religieuse en Arabie saoudite ont permis de retirer une sorte d’épée de Damoclès qui menaçait constamment les femmes saoudiennes. Un grand nombre d’entre elles ont d’ailleurs fait part de leur soulagement à la disparition de la Mutawa (police religieuse, NDLR), qui a permis une libéralisation en douceur de la société locale.
Ainsi, aujourd’hui, une femme saoudienne n’a pas grand-chose à reprocher au pouvoir en place au sujet de sa situation individuelle et elle doit davantage travailler à gagner sa place dans la société en faisant évoluer les mentalités. Dans les propos que j’ai recueillis dans mon livre La femme est l’avenir du Golfe, les paroles sont assez claires: le pouvoir politique a mis en place des bases qui permettent aux femmes de s’épanouir; il leur reste à agir et à trouver une place dans la société pour faire bouger de l’intérieur cette dernière.
Il est toujours difficile d’expliquer cette différence aux Occidentaux qui louent fort justement le courage des Iraniennes tout en se demandant pourquoi les femmes arabes du Golfe ne les imitent pas.
De même, la question du hijab est très évocatrice: les femmes interrogées ne le considèrent pas comme un symbole d’oppression, puisqu’elles sont conscientes de son caractère non obligatoire.
Autrement dit, elles sont conscientes que, désormais, les autorités ne peuvent plus les obliger à le porter, comme c’est le cas en Iran. Elles soulignent que se voiler relève du choix personnel et seulement une des Saoudiennes interrogées indique que, selon elle, revêtir le hijab est une obligation religieuse. Même si ce choix est souvent imposé par une forme de pression culturelle ou sociale, le fait qu’il n’existe plus de force de la part de l’ordre moral chargée de l’imposer constitue donc un véritable bol d’air pour les femmes saoudiennes, que leurs consœurs iraniennes réclament au péril de leur vie.
Il est toujours difficile d’expliquer cette différence aux Occidentaux qui louent fort justement le courage des Iraniennes tout en se demandant pourquoi les femmes arabes du Golfe ne les imitent pas. C’est tout simplement une question de société: lorsque l’État ne cherche pas à contrôler les agissements personnels des individus, la notion de libre choix prend davantage de sens et l’optimisme au sujet de l’avenir devient un moteur pour la société. C’est tout le sens de la modernité arabe, où, lentement, les individus font évoluer sans heurts les mentalités, profitant des libertés progressivement accordées par les gouvernements.
Arnaud Lacheret est docteur en sciences politiques, Associate Professor à Skema Business School et professeur à la French Arabian Business School.
Ses derniers livres: Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française et La femme est l’avenir du Golfe, aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.