Comme il l'avait annoncé pendant sa campagne électorale, Joe Biden, à peine élu, a fait savoir que les États-Unis entendaient revenir dans l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien. C'était une décision sage; d'abord, il n'est pas bon que la première puissance mondiale se croie autorisée à renier sa signature, c'est une question de respectabilité internationale; ensuite, quoi qu'en ait dit Donald Trump qui l'avait qualifié de «pire accord jamais conclu par les États-Unis», c'était plutôt un accord équilibré, fruit de compromis susceptibles de contribuer à la stabilité du Moyen-Orient.
Dès le départ, la position de Washington était ambiguë. Les Américains réclamaient en effet que soient abordées deux questions qui n'avaient jamais été incluses dans les négociations de 2015: celles des missiles à moyenne et longue portée dont l'Iran était en train de se doter, et ce que les diplomates américains appelaient «les activités hégémoniques de l'Iran au Moyen-Orient», visant entre autres le soutien à la Syrie, l'appui au Hezbollah et l'aide au Hamas. Il faut bien reconnaître que tout cela n'avait aucun rapport avec l'objet et le contenu de l'accord de Vienne.
De leur côté, les Iraniens, au comble de la suspicion, ont refusé de négocier directement avec la délégation américaine pourtant conduite par l'excellent Robert Malley, l'un des représentants les plus chevronnés de la diplomatie américaine, et ils ont fait appel à l'intermédiation de la délégation européenne. La France n'a pas arrangé les choses en suggérant d'associer Israël et l'Arabie saoudite aux pourparlers. Pour toutes ces raisons, c'était donc un bien mauvais départ. Ce qui, a priori, pouvait être simple – les États-Unis reprenaient leur place au sein de l'accord et levaient toutes les sanctions s'y rapportant, et l'Iran revenait au respect des règles concernant le taux d'enrichissement de l'uranium – est devenu alors très compliqué.
Le Moyen-Orient devient une zone à très haut danger. C'est un bouleversement international qui s'annonce, et pour les peuples méditerranéens, un plongeon dans l'inconnu.
- Hervé de Charette
En même temps, la situation politique en Iran tournait en défaveur du courant réformiste incarné par le président Hassan Rohani. Les élections législatives de 2020 et surtout la présidentielle de 2021 ont fait accéder au pouvoir une majorité parlementaire et un président, Ebrahim Raïssi, issus des forces ultraconservatrices associées aux Gardiens de la Révolution qui ont été depuis l'origine hostiles à l'accord de Vienne.
Aux États-Unis, des vents contraires soufflaient aussi. Quelques mois après l'élection présidentielle de novembre 2020, la popularité du président Biden s'effritait et pour le parti démocrate s'ouvrait la perspective d'une défaite aux élections de mi-mandat face à un Donald Trump plus agressif que jamais. S'y est ajouté depuis l'effet désastreux auprès de l'opinion publique américaine de l'absence de condamnation par l'Iran de l'agression subie par Salman Rushdie. Désormais, tant à Washington qu'à Téhéran, le climat n'est plus guère favorable aux concessions.
Enfin, la question se pose de savoir si les dirigeants iraniens sont vraiment désireux de faire revivre l'accord de Vienne. L'Union européenne (UE) a déposé en août dernier une version ultime dite «non négociable» d'un arrangement diplomatique, mais à ce jour l'Iran n'y a pas répondu.
Plusieurs raisons expliquent cette attitude. D'abord, la guerre en Ukraine change complètement la donne géostratégique. La Russie et la Chine, qui étaient précédemment plutôt favorables à un accord, ne le sont plus. Désormais, une signature iranienne paraîtrait faire le jeu de l'Occident. Dans le même temps, Israël, qui a toujours combattu l'accord de Vienne, mène une guerre larvée, mais désormais quasi officielle, contre l'Iran en Syrie, au Liban et jusque sur le territoire iranien lui-même, sans que les États-Unis s'y opposent, ce qui provoque à Téhéran un profond ressentiment.
Ajoutons que les filières de contournement du blocus américain permettent aujourd'hui à l'Iran d'exporter suffisamment de pétrole pour disposer d'un minimum de devises nécessaires à ses importations. Dès lors, l'Iran, qui est devenu incognito un «État du seuil», avec un stock d'uranium enrichi lui permettant sans doute de fabriquer une bombe nucléaire en quelques mois, ne serait plus prêt à y renoncer.
Pour toutes ces raisons, il semblerait que les dirigeants iraniens préfèrent s'en tenir pour le moment à la posture diplomatique qui consiste à rester en attente, en gelant le processus, profitant de ce que, à la Maison-Blanche, au moins jusqu'aux élections de mi-mandat de novembre prochain, la survie de l'accord de Vienne n’est vraisemblablement pas à l'ordre du jour. Attendre, toujours attendre des lendemains meilleurs!
L'enlisement de la négociation ouvre malheureusement la porte à un autre risque qui est très préoccupant. Il se pourrait bien en effet que l'Iran s'engage en réalité, sans le dire, mais définitivement, vers la possession de l'arme nucléaire, considérant comme l'a fait le dictateur de la Corée du Nord, que cette arme est la meilleure protection du régime des mollahs. Si tel est le cas, il faudra alors s'attendre à une cascade de conséquences néfastes. D’autres pourraient s'engager à leur tour sur la même voie. De son côté, Israël pourrait vouloir en découdre sans attendre et cherchera à entraîner avec lui son allié américain… Le Moyen-Orient devient une zone à très haut danger. C'est un bouleversement international qui s'annonce, et pour les peuples méditerranéens, un plongeon dans l'inconnu.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
TWITTER: @HdeCharette
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.