Des conseillers présidentiels turcs dans le bourbier de la corruption

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan (Photo fournie).
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan (Photo fournie).
Short Url
Publié le Mercredi 14 septembre 2022

Des conseillers présidentiels turcs dans le bourbier de la corruption

Des conseillers présidentiels turcs dans le bourbier de la corruption
  • Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a dû démettre le conseiller Serkan Taranoglu de ses fonctions pour son rôle dans de prétendus scandales de corruption
  • La vérité ne peut être révélée que si une enquête transparente est menée, mais le limogeage et la démission au palais présidentiel prouvent qu’il y a quelque chose de louche dans toute cette affaire

En 2020, Sedat Peker, un chef mafieux turc, a commencé à diffuser des vidéos qui révélaient des irrégularités dans le pays et au sein de la communauté turque à l’étranger. On pense que M. Peker vit à Dubaï. Les médias turcs affirment qu’Ankara aurait peut-être demandé aux autorités des Émirats arabes unis (EAU) de l’empêcher de diffuser de telles vidéos. En conséquence, après avoir publié des dizaines de vidéos qui ont récolté des dizaines de millions de vues, il a cessé de les diffuser pendant un moment, pour ensuite reprendre ses révélations, cette fois au moyen de dizaines de messages Twitter. Il a récemment annoncé qu’il divulguerait de nouveaux faits deux mois avant les élections prévues en juin prochain. Le fait qu’il envisage de les révéler à une date si proche du vote signifie peut-être qu’il a l’intention de porter un coup fatal au parti AKP au pouvoir.

Les révélations de la semaine dernière ont été largement relayées par les médias turcs. En conséquence, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a dû démettre le conseiller Serkan Taranoglu de ses fonctions pour son rôle dans les prétendus scandales de corruption. Un autre conseiller, Korkmaz Karaca, membre du Conseil présidentiel des politiques économiques, et dont le nom a également été cité dans les scandales de corruption, avait déjà démissionné une semaine plus tôt, invoquant des raisons de santé.

L’histoire semble avoir commencé avec la femme d’affaires Mine Sineren, qui souhaitait augmenter le capital de son entreprise. Elle a donc demandé de l’aide à l’ancien président du Conseil des marchés des capitaux, Ali Taskesenlioglu. Elle affirme que, pendant huit mois, on l’a empêchée d’accéder au Conseil des marchés des capitaux et qu’elle a finalement été dirigée vers les canaux de corruption, alors qu’aucun dossier d’augmentation de capital n’a été laissé en suspens pendant une si longue période.

M. Taskesenlioglu met Mme Sineren en contact avec sa sœur, Zehra Ban, qui est députée de l’AKP. Ainsi débute le cycle de la corruption. Zehra Ban oriente à son tour Mine Sineren vers une société de conseil financier – Way Out – avec qui elle a établi un partenariat commercial. Way Out exige douze millions de livres turques (660 000 dollars; 1 dollar = 0,98 euro) pour régler le problème. Après que la femme d’affaires a refusé de payer ces «honoraires de conseil», elle se tourne vers une autre personnalité influente, Salih Orakci, membre de l’Union des chambres et des bourses de marchandises.

«Le limogeage et la démission au palais présidentiel prouvent qu’il y a quelque chose de louche dans toute cette affaire.» - Yasar Yakis

M. Orakci explique à Mine Sineren qu’il lui serait plus facile de résoudre ses problèmes s’il était autorisé à devenir son partenaire commercial. Cependant, rien n’est gratuit. M. Orakci demande à la femme d’affaires de lui acheter deux voitures – une BMW et une Porsche – et de lui payer 2,5 millions de livres turques. Elle accepte cet accord, achète les voitures et paye les «frais», mais les projets d’augmentation du capital de son entreprise ne se concrétisent pas. Elle entame alors une procédure judiciaire pour annuler le contrat de partenariat avec Salih Orakci.

Une compétition éclate alors entre deux conseillers présidentiels. M. Taranoglu avertit Mme Sineren que M. Karaca veut également entrer en contact avec elle, mais il lui conseille de ne pas le faire, car il lui demanderait «beaucoup d'argent».

La femme d’affaires aurait alors informé les institutions publiques compétentes qu’elle faisait face à des obstacles inutiles. En réalité, peu de temps après avoir acheté deux nouvelles sociétés, elle reçoit une notification officielle affirmant que ces sociétés étaient mises sous séquestre en raison de billets à ordre qu’elle était censée avoir signés. Elle s’y oppose, affirmant que les signatures sur les billets sont fausses. Elle envoie les billets au bureau de vérification criminelle de la gendarmerie, qui confirme l’authenticité des signatures. Elle décide alors de les envoyer dans un laboratoire judiciaire à Ankara qui conclut que les signatures n’ont pas été rédigées par elle. Par conséquent, la fausse accusation est retirée.

L’affaire se complique lorsque Zehra Ban, la députée de l’AKP, engage une action en justice pour demander le divorce. Le lien entre le scandale de corruption et cette affaire est que Mme Ban a cité dans sa requête auprès du tribunal, peut-être inutilement, que son mari avait perdu 2,5 millions de dollars en bourse sur leur compte bancaire commun et qu’elle voulait qu’il rembourse cet argent. Elle a également fait part d’autres sommes que son mari lui devait.

Cette revendication attire l’attention sur le patrimoine de la famille. Les chiffres évoqués par Zehra Ban vont au-delà de ce qu’un couple – composé d’une députée et d’un universitaire – peut amasser dans un délai raisonnable.

La vérité ne peut être révélée que si une enquête transparente est menée, mais le limogeage et la démission au palais présidentiel prouvent qu’il y a quelque chose de louche dans toute cette affaire.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com