Les acteurs non étatiques, les organisations caritatives et les donateurs internationaux du Liban ont toujours joué un rôle important dans le soutien du gouvernement. Depuis la brève renaissance qui a suivi la fin de la guerre civile (1975-1990), les gouvernements libanais sont caractérisés par l’inefficacité et la corruption, et sont limités par les puissantes milices et les mouvements politiques qu’elles représentent.
Compte tenu de l’apathie grandissante de la population, la révolution du 17 octobre 2019 a conduit à une condamnation de la gouvernance sectaire, de la stagnation économique et de la corruption endémique à l’échelle nationale. Plus récemment, en mai, les Libanais se sont donné beaucoup de mal pour voter lors des élections législatives au cours desquelles les candidats ont promis des réformes. Quatre mois plus tard, incapable de se mettre d’accord sur un plan de stabilisation financière, le gouvernement intérimaire libanais, déjà chancelant, a perdu ses roues.
Pendant des décennies, les milliardaires qui dirigent les factions politiques libanaises ont prospéré dans un système dysfonctionnel noyauté par la corruption. L’allocation des ressources de l’État et des opportunités économiques selon des critères confessionnels est caractéristique d’un Liban dans lequel une minorité se porte très bien alors que la majorité voit son niveau de vie baisser de manière considérable. Dans un pays où les 10% les plus riches détiennent environ 70% de la richesse nationale, les insuffisances de l’État sont continuellement masquées par l’aide internationale.
Ce système subsiste grâce à la remarquable dextérité politique de l’élite politique libanaise, qui, tout en régnant sur les fiefs locaux, s’adresse aux donateurs internationaux comme de serviles suppliants en quête de transferts d’urgence. Entre la reconstruction financée par le Golfe dans les années 1990 et la guerre de 2006, le gouvernement n’a pas réussi à augmenter ses recettes de manière indépendante, devenant au contraire complètement dépendant de l’aide. Cette tendance a été renforcée par la crise des réfugiés syriens et le chaos régional provoqué par Daech. Les fonds des donateurs affluent au Liban en dépit de tout semblant de réforme structurelle et malgré les assurances du contraire.
Après avoir étudié la pire crise économique de l’histoire du pays, le rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, Olivier De Schutter, a expliqué que «l’impunité, la corruption et les inégalités structurelles font partie intégrante d’un système politique et économique vénal conçu pour laisser tomber ceux qui sont au bas de l’échelle».
Son rapport, basé sur une visite au Liban, déplore le rôle de l’establishment politique du pays, qui «était au courant du cataclysme imminent depuis des années mais n’a pas rien fait pour l’éviter».
Ce cataclysme est sans doute aujourd’hui à son comble. Le Liban n’est plus un État défaillant, il est en faillite. Quatre personnes sur cinq vivent dans la pauvreté, la moitié des enfants du pays sont obligés de sauter des repas, le carburant et l’électricité sont rationnés, et les médicaments de base sont toujours chroniquement insuffisants. Si, auparavant, cette triste réalité ne concernait pas les membres du gouvernement, l’effondrement complet du pays signifie que les fonctionnaires se retrouvent désormais coincés dans des ascenseurs sans électricité, qu’ils travaillent à la lueur de bougies et qu’ils ne peuvent pas tirer la chasse d’eau dans les bâtiments publics incongrûment opulents de ce pays appauvri, car l’approvisionnement en eau est très limité.
«Pendant des décennies, les milliardaires qui dirigent les factions politiques libanaises ont prospéré dans un système dysfonctionnel noyauté par la corruption»
Zaid M. Belbagi
L’éviscération de l’État a maintenant cessé, car il ne reste plus grand-chose à s’approprier. Pendant des décennies, le Liban recevait du carburant d’une manière qui permettait aux personnes au pouvoir de surfacturer le gouvernement pour un produit de qualité inférieure. Le Hezbollah et d’autres factions confessionnelles ont pu profiter du manque d’approvisionnement pour fournir leur propre énergie, administrée selon des critères religieux.
Aujourd’hui, les juges et les soldats dont le soutien pouvait autrefois être acheté, ne sont plus rémunérés et travaillent au noir pour proposer leurs services au plus offrant. La situation actuelle montre que les erreurs de gestion des décennies passées ont provoqué un tel effondrement que le Premier ministre milliardaire du pays, récemment élu, est encore plus compromis que ses prédécesseurs.
Alors que les employés du secteur public réclament une multiplication par cinq de leurs salaires pour faire face à l’explosion des coûts, les recettes de l’État se sont effondrées, la perception des impôts ayant été interrompue pendant les deux mois de grève des employés. La crise du coût de la vie, déjà désastreuse pour le pays, a été exacerbée par le fait que 70% de ses céréales sont importées d’Ukraine. Il est donc certain que le pays va connaître de nouveaux troubles.
Il reste à voir si les élites qui ont provoqué la chute vertigineuse de la monnaie et l’effondrement de l’économie, et qui ont permis à la Banque centrale d’anéantir les économies de toute une vie, plongeant ainsi la population dans la pauvreté, ne seront pas affectées. À moyen terme, cependant, le Liban doit chercher une solution à ses problèmes de l’intérieur. Un système d’imposition régulier et fiable permettrait au gouvernement de générer les recettes dont il a besoin. Mais pour qu’un tel système fonctionne, il doit cibler les riches du Liban, sinon ce sont les pauvres du pays qui souffriront une fois de plus des échecs de ses élites.
Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et conseille des clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).
TWITTER: @Moulay_Zaid
NDRL: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com