Les expulsions comme nécessité gouvernementale en France

Le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin (C) s'entretient avec un pompier lors d'une visite à la préfecture du Rhône, à Lyon, dans le centre-est de la France, le 30 juillet 2022. (THIERRY ZOCCOLAN / AFP)
Le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin (C) s'entretient avec un pompier lors d'une visite à la préfecture du Rhône, à Lyon, dans le centre-est de la France, le 30 juillet 2022. (THIERRY ZOCCOLAN / AFP)
Short Url
Publié le Mercredi 03 août 2022

Les expulsions comme nécessité gouvernementale en France

Les expulsions comme nécessité gouvernementale en France
  • L’arme punitive des visas pour les ressortissants maghrébins utilisée par les autorités françaises répondait à l’origine à un agenda politique, mais s’est poursuivie après les échéances électorales
  • L’expulsion assumée de sans-papiers par le gouvernement vise à tenter de damer le pion à l’extrême droite sans déstabiliser les milieux de gauche

Malgré les apparences d’un calme incontestable, la relation entre la France et les pays du Maghreb vit depuis des mois une sérénité de façade. En cause, l’austérité politique des visas pratiquée par Paris à l’égard des pays du Maghreb, au point que les chancelleries maghrébines s’interrogent sur l’utilité d’une telle démarche punitive.

Le fond du problème vient du constat fait par les autorités françaises du refus des pays du Maghreb d’accueillir leur population de sans-papiers expulsée de France. Pour Paris, une telle mauvaise volonté ne pouvait rester sans réaction. Cela a été le recours à l’arme des visas. Une diminution drastique qui fait mal aux flux d’échanges humains entre les deux rives de la Méditerranée.

Ce froid glacial dure depuis des mois. Les dernières déclarations du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, le maître d’œuvre de cette politique qu’on dit d’inspiration directement élyséenne, laissent penser une évolution positive de ce dossier. Cela veut-il dire que les pays concernés par ces expulsions ont ouvert leurs portes à ces retours forcés et montré plus disponibilité à accueillir leurs nationaux sans-papiers? L’optimisme ministériel indique une possible éclaircie entre la France et le Maghreb. Une posture de Darmanin qui a dû être appréciée à sa juste valeur, reflétant le niveau d’amertume et de déception de ces capitales.

Aussi bien pour les sans-papiers, les fichés S que les imams diffuseurs de pensées radicales, la stratégie du ministre de l’Intérieur est de veiller à ne pas laisser ce terrain en friche pour que l’extrême droite puisse s’y installer confortablement.

Lorsque la décision française a été prise de punir le Maghreb, ce fut sous la pression d’un agenda politique domestique qui voyait l’essor incontrôlable des deux icônes de l’extrême droite triomphante: Marine Le Pen et Éric Zemmour. Le recours à l’arme des visas, avec ses  spectaculaires effets, visait justement à montrer le candidat Macron agissait efficacement sur l’un des seuls domaines où son autorité était ardemment disputée: le régalien.

La politique d’expulsion a cependant continué, même après les élections. Récemment, Gérald Darmanin a usé jusqu’à la corde une certaine communication politique autour de l’expulsion de l’islamiste radical d’origine marocaine déchu de sa nationalité française, Hassan Iquioussen.

Ce sujet en particulier est d’une grande sensibilité politique. La droite républicaine et l’extrême droite ont longtemps reproché au gouvernement son inertie, voire son double discours sur cette question des imams et des mosquées radicales. Le diagnostic sécuritaire est fait et le traitement politique laisse à désirer. À chaque occasion, l’extrême droite brandit à la face du gouvernement son incapacité à agir et à traduire ses menaces en actes.

Aussi bien pour les sans-papiers, les fichés S que les imams diffuseurs de pensées radicales, la stratégie du ministre de l’Intérieur est de veiller à ne pas laisser ce terrain en friche pour que l’extrême droite puisse s’y installer confortablement. Parce qu’elle n’a pas d’idées originales ou attractives sur le plan économique, l’extrême droite concentre ses efforts sur l’immigration et ses dommages collatéraux. Cela devient par ailleurs son seul fonds de commerce pour séduire des Français apeurés par leur présent, angoissés pour leur avenir.

Aujourd’hui, les expulsions de sans-papiers sont devenues une voie assumée par le gouvernement pour tenter de vider de sa substance la stratégie de l’extrême droite.

La récente entrée massive des élus du Rassemblement national (RN) au Parlement sous la houlette d’une Marine Le Pen conquérante a sonné comme un bruyant avertissement pour le gouvernement. L’extrême droite est bien installée et si le gouvernement ne prend pas les initiatives susceptibles de démonter la mécanique de son discours, le risque est grand de la voir réaliser un raz-de-marée lors des prochains scrutins.

Aujourd’hui, les expulsions de sans-papiers sont devenues une voie assumée par le gouvernement pour tenter de vider de sa substance la stratégie de l’extrême droite. Pour de nombreux observateurs, le risque dans cette surenchère entre le ministre de l’Intérieur et l’extrême droite est de tomber dans un excès, qui pourrait ensuite pousser le gouvernement à commettre des impairs politiques susceptibles d’effrayer aussi bien l’aile gauche du gouvernement d’Élisabeth Borne que les députés de gauche de la majorité présidentielle.

C’est cette équation politique sensible qui oblige le ministre Darmanin à doser ses choix et sa stratégie. L’enjeu pour ce ministre emblématique de l’ère Macron est de tenter de damer le pion à l’extrême droite sans déstabiliser les milieux de gauche, sans lesquels le second mandat d’Emmanuel Macron ressemblerait à un long chemin de croix.

Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.  

TWITTER: @tossamus

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.