Après un procès marathon comportant plus de 90 audiences et 46 témoins, un tribunal suédois a condamné la semaine dernière à la prison à vie un ancien responsable de la justice iranienne pour son implication dans l'exécution de masse et la torture de dizaines de milliers de prisonniers en Iran dans les années 1980.
La décision du tribunal contre Hamid Nouri, un ancien assistant du procureur adjoint de la prison iranienne de Gohardasht, âgé de 61 ans, a suscité des réactions diverses. Comme on pouvait s'y attendre, le régime iranien a fermement condamné le verdict, tandis que les organisations de défense des droits humains et les personnalités de l'opposition iranienne l'ont salué comme une victoire pour ceux qui ont été ou sont encore opprimés en Iran.
Quelques heures après le verdict, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Nasser Kanani, a affirmé que Téhéran réprouvait l’issue du procès. «La République islamique d'Iran condamne fermement cette déclaration politique basée sur des accusations fabriquées et sans fondement contre la République islamique et son système judiciaire.»
Des militants des droits de l'homme et des personnalités de l'opposition iranienne ont salué le verdict, affirmant que la décision créait un précédent pour juger et poursuivre d'autres responsables iraniens accusés d'avoir commis des crimes. Certains ont indiqué que la décision était un test décisif pour le principe de juridiction universelle. D'autres ont précisé que le verdict suédois pousserait d'autres pays à agir contre d'anciens responsables iraniens vivant en exil.
Ces réactions sont compréhensibles, car cette décision est une étape importante: c’est la première fois qu'un ancien responsable iranien est jugé pour son implication dans des exécutions de masse visant principalement des membres de l'Organisation des Moudjahidine du peuple d'Iran.
Alors que d'autres responsables et agents iraniens ont été condamnés en Allemagne, en France et, plus récemment, en Belgique, pour des assassinats et des complots liés au terrorisme, aucun d’entre eux n'a jamais été jugé pour des crimes commis en Iran, selon des experts juridiques. De plus, le verdict suédois est également intervenu à un moment où Ebrahim Raïssi, l'un des quatre juges qui ont supervisé les exécutions confirmées par la tristement célèbre commission de la mort en 1988, est devenu le président de la République – et serait en passe de devenir le prochain Guide suprême.
La décision contre Nouri est bien plus qu'un simple verdict juridique. Elle a montré aux familles des victimes et rappelé au monde que justice sera finalement rendue contre les auteurs de crimes contre l'humanité, même tardivement. Ce verdict a également envoyé le message d’avertissement au régime iranien que les oppresseurs seront un jour soumis à la justice et paieront le prix de leur oppression.
Le verdict suédois a également encouragé les familles des victimes à croire fermement que, malgré le passage de trois décennies depuis que le crime a été commis, et les dénégations prévisibles du régime iranien, elles peuvent toujours utiliser le principe de juridiction universelle pour poursuivre les auteurs devant des tribunaux hors de l'Iran.
Bien que cette décision indique sans aucun doute un changement attendu depuis longtemps dans la bonne direction de la part des puissances occidentales, certains politiciens européens semblent toujours déterminés à respecter les règles de l'Iran, alors que certaines voix critiques préviennent que l'apaisement de l'Iran est plus susceptible d'encourager une nouvelle diplomatie des otages que de dissuader Téhéran d’appliquer cette politique.
«La condamnation de Nouri rappelle au monde que justice sera finalement rendue contre les auteurs de crimes contre l'humanité, même tardivement»
Dr Mohammed al-Sulami
Le ministre belge de la Justice, Vincent Van Quickenborne, et un certain nombre de parlementaires soutiennent actuellement un accord controversé qui permettra l'échange d'un diplomate iranien emprisonné en Belgique accusé de complot d’attentat à la bombe, en échange d'un citoyen belge détenu par l'Iran pour de vagues accusations «d'espionnage».
Téhéran tient à ce que cet accord soit ratifié afin que son otage belge soit libéré en échange d'Assadollah Assadi, 50 ans, attaché à la mission iranienne à Vienne. Assadi a été reconnu coupable d'avoir fourni des explosifs pour un attentat à la bombe visant un rassemblement de l'opposition iranienne en France en 2018, auquel ont également participé cinq parlementaires britanniques.
Alors que le ministre de la Justice n'a pas cité le nom de la personne prise en otage par Téhéran en février, les médias belges l'ont identifié comme étant Olivier Vandecasteele, un ancien travailleur humanitaire âgé de 44 ans.
L’accord belge, actuellement devant le Parlement pour ratification, a été critiqué au niveau national et à l'étranger comme sapant l'État de droit dans le pays. Aux États-Unis, Randy Weber, un élu républicain représentant le Texas, a tweeté qu'il était «choqué d'apprendre que le gouvernement belge avait conclu un accord avec le principal État commanditaire du terrorisme dans le monde, et envisageait de renvoyer des terroristes iraniens en Iran pour préparer davantage d'actes terroristes.»
Cependant, dans cette affaire, Raïssi, candidat favori de Khamenei pour sa succession, devrait être plus préoccupé que toute autre personne en Iran par ce que l'avenir lui réserve. En tant que membre important du comité de la mort qui a supervisé l'exécution de masse de prisonniers politiques, il partage la responsabilité d’avoir envoyé au moins 30 000 innocents à la potence sans aucun procès équitable.
Il n'est guère surprenant que le régime iranien ait poursuivi une politique de diplomatie des otages, utilisant les binationaux comme levier. Au mois de mai, l'Iran a annoncé son intention d'exécuter le scientifique irano-suédois Ahmad Reza Djalali, accusé d'espionnage pour le compte d'Israël, et d'avoir aidé ce pays à assassiner des scientifiques nucléaires iraniens.
Djalali avait quitté son domicile en Suède en avril 2016 pour participer à un atelier de deux semaines en Iran à l'invitation de l'université de Téhéran. Il a été arrêté quelques jours après son arrivée. À l'issue d'un simulacre de procès vivement critiqué par les organisations de défense des droits humains, Djalali a été condamné à mort par l'un des tribunaux iraniens dits «révolutionnaires» un an plus tard.
Il existe de nombreux cas similaires impliquant des binationaux qui subissent les terribles conséquences des jeux politiques du régime iranien avec l'Occident. Il s'agit notamment de la militante germano-iranienne de 67 ans Nahid Taghavi, qui a été arrêtée à Téhéran en octobre 2020 et accusée d'«appartenance à une organisation illégale» et de diffusion de «propagande antirégime».
Le récent verdict contre Nouri en Suède est susceptible d'annoncer le début d'une nouvelle approche du régime iranien. Ce verdict envoie un message clair, mettant en garde contre tout nouveau chantage, et rappelant à Téhéran que l'Occident peut prendre des contre-mesures à son encontre.
Plus important encore, le procès suédois, qui avait curieusement commencé le 10 août 2021, quelques jours après l'entrée en fonction de Raïssi, a été considéré par de nombreux observateurs comme ayant des répercussions préjudiciables pour le président iranien partisan d’une ligne dure. Le procès a fourni l’occasion idéale de révéler davantage de détails horribles concernant la terrible période des années 1980, que Raïssi a toujours tenu à occulter.
Avant son élection, Raïssi a été placé sur une liste de sanctions américaines en 2019. Cependant, en tant que chef d'État, il bénéficie théoriquement de l'immunité contre des poursuites, ce qui lui permet de se rendre à l'étranger pour des visites officielles et des réunions. Selon des militants des droits humains, le verdict suédois pourrait toutefois briser le cercle vicieux de l'impunité accordée aux responsables iraniens accusés d'atteintes aux droits humains.
En conclusion, il semble que la condamnation de Nouri ait fait d'une pierre deux coups. Premièrement, elle a permis de répondre au chantage de la diplomatie des otages de l'Iran et, deuxièmement, d’envoyer un message clair à Raïssi que l'âge de l'impunité touche à sa fin et que la justice n'a pas de date d'expiration ni de limites géographiques. Nous ne pouvons qu'espérer que d'autres pays européens agiront également contre la diplomatie des otages de l'Iran.
Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).
TWITTER: @mohalsulami
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com