Biden et Poutine: l’histoire de deux visites

Nous assistons à deux visites essentielles: le voyage récent du président américain, Joe Biden, en Arabie saoudite, et celui du dirigeant russe, Vladimir Poutine, cette semaine, à Téhéran (Photo fournie).
Nous assistons à deux visites essentielles: le voyage récent du président américain, Joe Biden, en Arabie saoudite, et celui du dirigeant russe, Vladimir Poutine, cette semaine, à Téhéran (Photo fournie).
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Publié le Jeudi 21 juillet 2022

Biden et Poutine: l’histoire de deux visites

Biden et Poutine: l’histoire de deux visites
  • Dans une attitude provocatrice – alors que M. Biden se trouvait toujours dans la région –, Téhéran a dévoilé une nouvelle flotte de navires et de sous-marins capables de transporter des drones armés
  • La visite de M. Biden montre que le monde arabe a réussi pour l’instant à regagner l’attention américaine, mais les dirigeants doivent maintenant faire tout ce qui est en leur pouvoir pour la maintenir

Nous assistons à deux visites essentielles: le voyage récent du président américain, Joe Biden, en Arabie saoudite, et celui du dirigeant russe, Vladimir Poutine, cette semaine, à Téhéran.

Dans un aveu implicite de l’échec antérieur de son administration à accorder la priorité au Moyen-Orient, le président Biden envoie un message clair aux dirigeants arabes: «Nous ne partirons pas en laissant derrière nous un vide à combler par la Chine, la Russie ou l’Iran.»

Dans une déclaration commune, les États-Unis et l’Arabie saoudite s’engagent à dissuader l’Iran «de s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres pays, de fournir un soutien au terrorisme au moyen de ses mandataires armés et de déployer des efforts pour porter atteinte à la sécurité et à la stabilité de la région», tout en reconnaissant la nécessité d’empêcher Téhéran «de se doter de l’arme nucléaire». Les mesures de sécurité spécifiques comprennent un groupe de travail maritime conjoint US-CCG (Conseil de coopération du Golfe) en mer Rouge.

Cela vient renforcer une déclaration commune antérieure publiée par le président américain et le Premier ministre israélien, Yaïr Lapid. Les deux dirigeants s’engagent à recourir «à tous les éléments de la puissance nationale» pour empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire. M. Biden déclare que les États-Unis sont prêts à utiliser la force militaire contre l’Iran en «dernier recours»: «La seule chose qui serait pire que l’Iran qui existe actuellement est un Iran disposant de l’arme nucléaire.»

Lors du sommet des dirigeants des six États du Golfe, en plus de l’Égypte, de la Jordanie et de l’Irak, qui s’est tenu la semaine dernière à Djeddah et auquel M. Biden a participé, les dirigeants ont fait part de leur engagement commun envers «la souveraineté, la sécurité et la stabilité» du Liban. La vigueur des propos quant au soutien à la démocratie irakienne et l’accord sur les réseaux électriques saoudo-irakiens interconnectés sont également des éléments importants du processus nécessaire pour arracher l’Irak à la dépendance iranienne. Cependant, on note une absence notable d’engagements pour affronter les forces paramilitaires soutenues par l’Iran dans ces États.

Certes, cette visite concernait bien plus que l’Iran uniquement. Comme le souligne l’ambassadrice de l’Arabie saoudite auprès des États-Unis, la princesse Reema bent Bandar, cette relation doit aller au-delà du paradigme «pétrole contre sécurité». Par conséquent, l’accent mis par les États-Unis sur la coopération en matière de technologie, d’énergie renouvelable, d’éducation et de diversification économique est le bienvenu.

M. Biden souligne par ailleurs «à quel point les intérêts des États-Unis sont étroitement liés au succès du Moyen-Orient». Et avec les milliers de milliards de dollars (1 dollar = 0,98 euro) d’investissements du CCG aux États-Unis et en Occident, il ne s’agit en aucun cas d’une relation à sens unique.

Dans le contexte de questions aussi importantes, de nombreux observateurs étaient atterrés face à la médiocrité d’une grande partie de la couverture médiatique occidentale. Des médias respectables se sont concentrés sur les poignées de main et les photos exclusives, tout en faisant largement fi des problèmes fondamentaux de sécurité mondiale dont il est question.

Dans une attitude provocatrice – alors que M. Biden se trouvait toujours dans la région –, Téhéran a dévoilé une nouvelle flotte de navires et de sous-marins capables de transporter des drones armés. «Comme nous sommes conscients de l’attitude agressive du système de domination américain, il est nécessaire d’augmenter jour après jour nos capacités en matière de défense», déclare le chef de l’armée, Abdolrahim Mousavi, s’engageant à une «riposte aux conséquences fâcheuses» si «nos ennemis commettent une erreur».

Pourquoi les ayatollahs sont-ils si désireux de montrer l’évolution de leurs capacités en matière de drones à ce moment bien précis? Les drones turcs bon marché s’étant révélés une arme si étonnamment puissante pour les Ukrainiens, le président Poutine se rend de fait à Téhéran pour investir dans des drones iraniens. Des visites secrètes de prospection par des responsables russes se sont déjà tenues dans le but de vérifier le matériel militaire iranien. Les médias du Corps des Gardiens de la révolution (CGRI) vantent la manière dont les armes iraniennes peuvent compenser les «faiblesses» russes sur le champ de bataille.

Cependant, un responsable militaire américain dans le Golfe m’a indiqué que les capacités américaines sophistiquées en matière de défense antidrones et de missiles peuvent neutraliser de telles menaces. L’augmentation du budget de la défense de l’Iran, qui s’élève à 26 milliards de dollars pour 2022, en fait l’un des quinze premiers États au monde en matière de dépenses militaires, mais cela reste près de trente fois moins que les dépenses américaines en matière de défense. Par ailleurs, il existe des différences considérables en termes d’efficacité et de capacité, ce qui rend ridicules tous les propos agressifs antiaméricains de Téhéran.

Néanmoins, face à un axe Téhéran-Moscou mutuellement avantageux, il faudrait tirer la sonnette d’alarme. En plus de permettre à la Russie de se procurer des armes bon marché, ce serait une aubaine financière pour Téhéran, qui cherche depuis longtemps à vendre ses armes produites localement aux seigneurs de la guerre et aux terroristes à travers l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine. Des milliers de missiles iraniens de plus en plus sophistiqués ont été exportés vers des milices au Yémen, en Irak, au Liban et en Syrie. La planète devient moins sûre si nous permettons à l’Iran de devenir l’armurier de choix pour les États parias et les insurgés.

Lorsque des États parias s’unissent, ils risquent de former un bloc – un axe du mal, en quelque sorte – et il devient difficile d’exercer une pression significative contre eux, car ils commercent entre eux, exploitent les systèmes financiers parallèles, en plus de s’armer et de s’entraider pour échapper au droit international.

Pour éviter que les sanctions et les mesures antiprolifération ne deviennent inefficaces, les stratégies de M. Biden envers des États comme la Russie, l’Iran, la Corée du Nord et la Chine ne devraient pas être mises en œuvre de manière isolée. Une concentration restreinte sur l’Europe et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) ne rendra pas le monde sûr. Cela ne fera qu’encourager d’autres parias à faire étalage de leur force.

M. Biden a salué les efforts déployés par l'Arabie saoudite en vue d'un cessez-le-feu au Yémen. Cependant, il n’a jamais été aussi important pour les États arabes de se réapproprier leur rôle vital en Syrie, au Liban et en Irak si l’on veut limiter l’ingérence iranienne, qui a uniquement servi à maintenir ces nations dans un état de trouble permanent. Les États arabes doivent démontrer qu'ils possèdent la capacité diplomatique et la vision nécessaires pour jouer ce rôle primordial.

Il ne faut pas applaudir trop tôt le voyage de M. Biden et le sommet arabe. Oui, «l’Amérique est de retour», mais c’est maintenant que le vrai travail commence. Ce n’est un secret pour personne que le président était réticent à faire ce voyage en premier lieu; les États arabes doivent donc inciter les États-Unis à tenir leurs engagements et à garder cette administration fortement impliquée.

Cette région repose sur un équilibre fragile. Des années d’expansionnisme iranien ont rendu presque inévitable un grand conflit régionalisé. La visite de M. Biden montre que le monde arabe a réussi pour l’instant à regagner l’attention américaine. Les dirigeants doivent désormais faire tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir cette attention et la concentrer sur la résolution de ces menaces chroniques qui pèsent sur la stabilité régionale à long terme.

Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com