La dernière fois que le président américain Joe Biden s’est rendu au Moyen-Orient pour une visite officielle, en 2016, il était toujours «à deux doigts de devenir président». Cette fois-ci, son premier mandat de président est bien entamé et il doit faire face, dans quelques mois, au verdict intérimaire américain lors des élections cruciales de mi-mandat.
Au cours de ce voyage, il se rendra compte que la région a considérablement changé depuis 2016. Cependant, de nombreux anciens défis persistent et ont même été exacerbés. Sa tournée dans la région en tant que vice-président a été délicate, peu après que Washington a accepté l’accord nucléaire avec l’Iran, ce qui a conduit à des frictions avec de nombreux pays du Golfe et en particulier avec l’administration Netanyahou en Israël. Les politiques contradictoires de l’Iran sont aussi pertinentes pour la stabilité et le bien-être de la région aujourd’hui qu’elles ne l’étaient à l’époque. De même, aucune résolution pacifique du conflit israélo-palestinien ne se profile à l’horizon. Au contraire, le conflit est plus susceptible d’imploser.
Mais le Moyen-Orient est en train de changer. En effet, une nouvelle génération de dirigeants est apparue, avec une vision différente de leurs pays et des affaires mondiales. La visite de M. Biden se concrétisera également pour lui, sachant qu’il se trouve dans le camp déterminé à contenir l’aventurisme iranien et à mettre de côté les autres divergences pour s’unir autour de cet objectif. Cependant, il s’inquiète qu’il y ait, au sein de cette génération, un plus grand scepticisme quant à l'engagement des États-Unis dans la région. Cela conduit à l’érosion concomitante du statut et du prestige des États-Unis chez de nombreuses personnes. Leur retrait précipité d’Afghanistan l’année dernière n’a fait qu’exacerber la méfiance envers Washington en tant qu’allié.
Une grande partie des discussions avant la visite de M. Biden portait sur la possibilité de lancer une alliance régionale de défense aérienne qui inclurait ouvertement Israël lors de sa rencontre avec les dirigeants régionaux à Djeddah. La logique d’une telle alliance – en particulier à la lumière des pourparlers hésitants entre les États-Unis et l’Iran sur le retour à une version modifiée du Plan d’action global commun – est claire. Et cela est d’autant plus urgent que Téhéran a, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, récemment commencé à enrichir de l’uranium à l’aide de centrifugeuses sophistiquées dans sa centrale nucléaire souterraine de Fordow, une configuration qui peut plus facilement basculer entre les niveaux d’enrichissement.
Stratégiquement, ce serait un succès pour l’administration Biden que de coordonner et d’organiser un tel projet, et contribuerait en partie à restaurer le leadership américain au Moyen-Orient. Les États-Unis sont particulièrement incités à jouer ce rôle en raison de l’essor des relations entre l’Arabie saoudite et la Chine. Ce n’est pas surprenant, étant donné que, le mois dernier, à la lumière d’une guerre d’envergure en Europe causée par l’agression russe, un sommet de l’Otan a désigné la Chine comme principale menace à long terme pour les membres de l’alliance et leurs valeurs, et non la Russie de Vladimir Poutine.
«Le président Biden adresse un message puissant selon lequel son administration ne reconnaît pas l’annexion de Jérusalem-Est par Israël.»
Yossi Mekelberg
Chaque visite présidentielle américaine à l’étranger revêt une certaine importance par le fait même qu’elle ait lieu, grâce aux discussions menées et aux ententes conclues mais aussi en raison de certains gestes symboliques d’amitié. Le président Biden affirme, dans son éditorial «Pourquoi je vais en Arabie saoudite», publié par le Washington Post, qu’il prendra un vol direct de Tel Aviv à Djeddah. Au Royaume, «les dirigeants de toute la région se réuniront, mettant en lumière la possibilité d’un Moyen-Orient plus stable et intégré où les États-Unis joueront un rôle de leadership vital», écrit-il.
Néanmoins, la visite du président Biden en Israël et en Palestine a une valeur plutôt symbolique que concrète. Sa décision juste – bien que controversée en Israël – de se rendre à Jérusalem-Est sans être accompagné par des responsables israéliens adresse un message puissant selon lequel son administration ne reconnaît pas l’annexion de Jérusalem-Est par Israël ou sa prétention que la ville entière est la capitale du pays. Cependant, cet acte ne serait probablement pas suivi de mesures concrètes de la part de Washington pour favoriser une paix juste et durable ou même pour soulager les souffrances des Palestiniens, qui continuent de vivre sous occupation, sous blocus ou en exil.
On dit que le moment où a lieu la visite empêche M. Biden d'exercer la moindre pression sur le gouvernement israélien actuel ou de faire des gestes de bienveillance envers les Palestiniens. Aux États-Unis comme en Israël, des élections cruciales sont imminentes. Le Premier ministre israélien, Yaïr Lapid, a pris ses fonctions il y a seulement quelques semaines et des élections générales devraient se tenir en novembre. M. Lapid est le candidat que Washington aimerait soutenir, ce qui signifie que, dans le contexte illogique des relations entre Israël et les Palestiniens, toute concession faite aux Palestiniens pourrait exposer M. Lapid – et ceux qui pourraient s’associer à lui dans un futur gouvernement de coalition – aux accusations de la droite selon lesquelles ils sont dociles et cèderont à la pression internationale, indépendamment du fait de savoir si de telles mesures qui permettent d’améliorer les relations avec les Palestiniens sont également bénéfiques pour Israël dans la prévention de futurs conflits.
Dans le discours actuel au sein de la société israélienne, toute mesure visant à atténuer la dureté de l’occupation ne risque pas de faire l’unanimité, ni d’ailleurs lors des élections américaines de mi-mandat. La décision du président Biden de se rendre à Jérusalem-Est pour rencontrer le président palestinien, Mahmoud Abbas, a été critiquée dans certains milieux politiques israéliens et américains, alors que pour le reste du monde, c’est la chose la plus évidente à faire.
Certes, l’organisation avec les Saoudiens d’une réunion des dirigeants des grandes puissances du Moyen-Orient afin de consolider leurs intérêts stratégiques communs est une très grande réussite pour les deux pays dans la maîtrise des politiques déstabilisatrices de Téhéran dans la région. Cependant, il est peu probable que M. Biden – entre autres présidents américains avant lui – trouve la conviction et l’endurance nécessaires pour faire une différence lorsqu’il s’agit de se rapprocher, ne serait-ce que très peu, de la fin de l’occupation israélienne, de garantir l’autodétermination et les droits de l’homme des Palestiniens et, ce faisant, apporter la paix aux Israéliens et aux Palestiniens. Cela laissera le goût amer d’une autre occasion manquée, qui est préjudiciable à la fois pour le Moyen-Orient et les intérêts américains dans la région.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com