Après avoir disparu des radars sans doute pour cause de pandémie de Covid-19, la crise migratoire a fait un retour spectaculaire au nord du Maroc avec des images angoissantes pour les deux rives de la Méditerranée.
Les images de groupes de candidats à l’immigration d’origine subsaharienne armés de machettes et de sabres défiant l’autorité de l’État marocain ont provoqué un choc immense dans les opinions pourtant habituées aux drames de l’immigration clandestine.
Devant le regard apeuré d’une Europe de plus en plus citadelle, ces événements ont obligé à s’interroger et remis à l’ordre du jour le fragile équilibre entre le Nord et le Sud sur une problématique devenue presque insoluble: comment traiter ce phénomène sans entrer dans une logique de chocs et de confrontations, sans faire de victimes et courir le risque de scandaliser les consciences?
Or, il arrive que sous la pression migratoire, les événements s’affolent et l’Histoire s’accélère.
Pour le Maroc, pays de transit historique où les candidats à l’immigration s’agglutinent sur sa frontière maritime avec l’Espagne avec le rêve d’atteindre la rive sud de l’Europe, ces imbroglios sont hélas vécus au quotidien et ils font partie intégrante de ses préoccupations. Ils ont depuis longtemps imposé aux autorités marocaines une gestion la plus réaliste possible de ces flux humains et de ces déplacements de population.
La politique migratoire du Maroc a toujours été de tenter une synthèse entre une approche sécuritaire ferme afin d’empêcher que le chaos et la loi de la jungle ne deviennent la règle absolue et une politique humanitaire pour traiter avec le maximum de respect et d’empathie un phénomène engageant des destins et des vies humaines. Avec une éventuelle intégration sur place ou un possible retour au pays d’origine dans des conditions décentes.
Or, il arrive que sous la pression migratoire, les événements s’affolent et l’Histoire s’accélère. Les tragiques confrontations entre candidats à l’immigration armés de machettes et d’armes blanches et les forces de l’ordre portent l’empreinte de cette crise migratoire croissante, mais aussi les traces d’un activisme accru des réseaux mafieux qui ont trouvé dans ce terreau et cette misère humaine une occasion de réaliser des bénéfices comme d’autres le font sur le grand banditisme et le trafic de drogue.
Les réseaux mafieux, outre qu’ils aspirent à réaliser des bénéfices économiques, peuvent être des instruments faciles à manipuler pour accomplir un agenda politique.
À l’heure des réseaux sociaux qui répercutent instantanément tout avec une effarante immédiateté, les scènes dévoilant des centaines de candidats à l’immigration défiant les forces de l’ordre marocaines montraient un degré d’organisation et de professionnalisme qui en dit long sur la volonté de créer un incident diplomatique entre le Maroc et l’Espagne.
Les réseaux mafieux, outre qu’ils aspirent à réaliser des bénéfices économiques, peuvent être des instruments faciles à manipuler pour accomplir un agenda politique. Dans cette région d’Afrique du Nord, la carte migratoire aujourd’hui comme la carte terroriste hier ont été une variable d’ajustement politique et diplomatique.
Ce qui conforte l’hypothèse d’une possible manipulation de cette crise est à lier avec la traversée de nombreux pays menée par des centaines de candidats à l’immigration avant d’arriver au Maroc. Venant du Soudan, ces groupes ont manifestement traversé la Libye et l’Algérie sous l’œil sinon bienveillant du moins complice des autorités de ces pays, notamment de l’Algérie.
L’Europe, qui se considère actuellement comme une citadelle, doit participer à l’effort de régulation de ces flux migratoires et ne pas laisser le coût économique de ce phénomène dominer les finances des pays de transit comme le Maroc.
La lutte contre l’immigration clandestine ne peut être le fardeau d’un seul pays, si forte soit sa détermination à lutter et si puissante soit sa volonté de réguler ce phénomène. Il s’agit d’un combat collectif qui relève de la responsabilité de pays concernés par le transit de ces flots de candidats à l’immigration. Pour peu qu’un de ces pays joue un jeu trouble, l’ensemble de l’architecture de sécurité peut sombrer dans le chaos.
Et parce que les pays de l’Union européenne (UE) ont pris conscience que le Maroc, seul, ne peut lutter contre cette pression migratoire de plus en plus forte en tentant d’ériger un barrage pour empêcher ce déplacement de population, ils ont montré une totale compréhension des drames survenus aux portes de la ville de Melilla. Il leur reste désormais à traduire cette compréhension en aide économique et logistique pour venir en aide au Royaume qui avait fait de la lutte contre l’immigration clandestine une de ses priorités absolues.
L’Europe, qui se considère actuellement comme une citadelle, doit participer à l’effort de régulation de ces flux migratoires et ne pas laisser le coût économique de ce phénomène dominer les finances des pays de transit comme le Maroc. Comme elle doit sortir de la vision purement sécuritaire de ses rapports avec les pays fournisseurs de candidats à l’immigration. Une souplesse dans les déplacements et une fluidité dans la mobilité légale est de nature à faire baisser le nombre potentiel de ces jeunes qui rêvent de l’eldorado européen, souvent au péril de leurs vies.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
TWITTER: @tossamus
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.