La pandémie de Covid-19 n'a épargné aucun aspect des activités humaines. La migration, sujet des plus controversés et prépondérants de la politique internationale bien avant l'apparition du coronavirus, ne fait pas exception à cette règle.
La pandémie a mis à nu le camp hostile à la migration et a révélé son caractère tout à fait vicieux. Cependant, elle aurait pu contribuer à refaçonner le discours public de manière à intégrer la complexité de cette problématique, en écartant les préjugés et les partis pris contre la migration que la droite populiste a introduits dans les régions les plus fortunées du monde. Pour les populistes de droite, il est difficile de résister à la tentation de renouveler les propos alarmistes de 2015 à l'encontre des migrants et plus largement à l'encontre des étrangers, les accusant cyniquement de propager le coronavirus, sans que ces populistes - fidèles à leur credo - ne fournissent l'ombre d'une preuve.
Alors que la vague de Covid-19 était encore à ses débuts, des politiciens, comme le Rassemblement national de droite en France, ont appelé à stopper toute migration vers l'Europe, tout comme le parti d'extrême-droite Vox en Espagne qui a ajouté une note de racisme pur et simple à ce mélange, l'un de ses membres ayant tweeté : « Si je me perds, ne cherchez pas à me trouver dans un restaurant chinois ». Plus récemment, Nigel Farage, qui craint probablement de glisser dans l'obscurité au lendemain du Brexit, a laissé entendre que la ville de Douvres était confrontée à une crise liée à la Covid-19, quand 12 migrants sur un bateau accosté dans le sud-est de l'Angleterre avaient tous été testés positifs au coronavirus. Le ministère de l'Intérieur britannique a rétorqué que ces propos étaient inexacts et qu’ « aucune des 12 personnes n'a présenté un test positif à la Covid-19 ».
Il s'agissait bel et bien d'un exercice de minimisation des dégâts auquel se livraient les autorités, bien conscientes que, dans le monde des réseaux sociaux, le mal était déjà fait. Les propos de Farage au plus fort de la crise des réfugiés, accusant les migrants de Syrie d'être des terroristes, ont été repris dans une question qu’un répondant avait posée à un représentant du ministère de l'Intérieur pour savoir si ce dernier pouvait confirmer qu' « aucun des migrants n'appartenait à Daësh. - Non, je ne le pensais pas ». Outre cet étiquetage des migrants comme terroristes et criminels, ou comme débarquant sur les côtes des pays de l'Union européenne pour vivre aux dépens d'une société généreuse de bien-être, voilà que des stéréotypes encore plus négatifs se manifestent sous la forme d'accusations voulant que les migrants propagent un virus mortel.
Pour le mouvement anti-migration, la pandémie est un cadeau dont il doit tirer le meilleur parti. Comme toujours, il s’assure de ne pas distinguer les migrants économiques des réfugiés et des demandeurs d'asile, et décrit l'immigration et les immigrants comme une menace à la sécurité et à l'identité du pays. Cette représentation erronée offre une justification inacceptable, peu convaincante et scandaleuse à la suppression des droits des migrants. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques, les migrants représentent une part de plus en plus importante de la main-d'œuvre aux États-Unis et en Europe. Ils contribuent donc à la croissance économique dont profite toute la population.
Ceux qui souffrent de manière démesurée de cette crise sanitaire ravageuse sont bel et bien les migrants, notamment les réfugiés, qui sont, par définition, plus vulnérables que les autres. En temps normal, les personnes déplacées et les apatrides ont du mal à obtenir un permis de travail et à trouver un emploi régulier, ou à bénéficier des filets de sécurité sociale dans les pays d'accueil.
Yossi Mekelberg
Contrairement aux arguments des démagogues anti-migrants, les migrants ne « privent pas les autres de leur emploi ». Loin de là, ils comblent des lacunes importantes dans les différents secteurs de l'économie, qu'ils soient en croissance rapide ou en déclin, et contribuent à dynamiser le marché du travail. En ce qui concerne les réfugiés et les chercheurs d'asile, la communauté internationale a également l'obligation et l'engagement de garantir leur sécurité et leur bien-être, sans pour autant ignorer la contribution qu'ils apportent à l'économie et à la société.
Le populisme nationaliste n'est pas animé par la peur du coronavirus, mais par la crainte ressentie à l'égard des migrants eux-mêmes. Il s’agit de cette peur xénophobe de voir les sociétés gagner en diversité. Ceux qui souffrent de manière démesurée de cette crise sanitaire ravageuse sont bel et bien les migrants, notamment les réfugiés, qui sont, par définition, plus vulnérables que les autres. En temps normal, les personnes déplacées et les apatrides ont du mal à obtenir un permis de travail et à trouver un emploi régulier, ou à bénéficier des filets de sécurité sociale dans les pays d'accueil.
Les réfugiés ne sont guère au bout de leurs peines, même s'ils ont échappé à l'enfer des guerres, des conflits civils ou d'autres perturbations sociales et économiques. Au-delà des traumatismes qu'ils ont endurés dans leurs pays natals, ils sont confrontés à des contraintes juridiques et administratives, pratiquement impossibles à surmonter, avant de pouvoir s'installer dans un autre pays, et ce, avec une aide limitée, voire inexistante. En raison des droits restreints au travail, de l'accès limité à un compte bancaire et, dans de nombreux cas, d'une liberté de mouvement limitée, la lutte pour survivre peut devenir une épreuve atroce. La Covid-19 a diminué la demande de main-d'œuvre dans certains secteurs, et les mesures de confinement ont fermé des services non essentiels, ce qui a affecté les migrants de manière démesurée.
Ainsi, un nombre considérable de migrants, sans qu'ils en soient responsables, ne parviennent pas à intégrer le marché du travail officiel. Ceci les amène à rejoindre l'économie informelle, qui est souvent constituée de lieux de travail petits ou indéfinis, de conditions de travail dangereuses et insalubres, de faibles niveaux de compétences et de productivité, de salaires médiocres ou irréguliers sans compter les longues heures de travail. À la suite de la pandémie du coronavirus, les migrants, notamment les moins qualifiés parmi eux, sont encore plus enclins à se jeter dans les bras de l'économie informelle et de certains employeurs peu scrupuleux. En effet, les personnes travaillant dans l'économie informelle ne sont pas reconnues, enregistrées, réglementées ou protégées par les lois régissant le travail et la sécurité sociale.
Les migrants, qu'il s'agisse de migrants économiques ou de ceux qui fuient les horreurs de la guerre et de l'oppression, sont perçus et traités comme les plus inutiles de la société dans bien des pays. La Covid-19 n'a fait qu'exacerber leur détresse. Si la pandémie a empêché de nombreux pays de réaliser des retours forcés, elle a également laissé les migrants sans revenu, dans la mesure où nombre d'entre eux ont dû accepter des contrats zéro-heure, ou n'ont pas parvenu à intégrer le système et ne bénéficient donc d'aucune aide sociale ; la pandémie a également porté préjudice à ceux qui ont des parents à l'étranger qui comptent sur les transferts de fonds.
Dans le monde développé, le discours sur les migrants devient de plus en plus toxique et peu constructif. Il ignore à la fois les avantages économiques et sociaux de la migration et l'obligation morale envers ceux dont la vie et les libertés sont en jeu. Il convient de ne pas trop simplifier un phénomène aussi complexe mais d'adopter une approche stratégique à long terme qui tienne compte des motifs profonds qui poussent tant de personnes à chercher une vie meilleure à l‘étranger. Cette approche doit également évaluer les besoins et les capacités des pays à absorber les migrants et doit reposer sur des faits concrets, sans pour autant ignorer l'argument moral et les obligations qui incombent à la communauté internationale envers les moins fortunés.
Nous sommes également tenus d'investir dans les pays d'origine des migrants et de coopérer avec eux pour y améliorer les conditions de vie. Ainsi, les gens ne seraient plus contraints de risquer leur vie, de se séparer de leur famille pour trouver la sécurité et fuir la pauvreté et le besoin.
• Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent’s University de Londres, où il dirige le programme des relations internationales et des sciences sociales. Il est également membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux écrits et électroniques. Twitter: @YMekelberg
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.