Les agences d'espionnage iraniennes accumulent les humiliations

Des Iraniens se rassemblent pour inhumer le corps de Sayyad Khodaï, colonel du Corps des gardiens de la révolution islamique, le 24 mai 2022 à Téhéran. (AFP)
Des Iraniens se rassemblent pour inhumer le corps de Sayyad Khodaï, colonel du Corps des gardiens de la révolution islamique, le 24 mai 2022 à Téhéran. (AFP)
Short Url
Publié le Mardi 05 juillet 2022

Les agences d'espionnage iraniennes accumulent les humiliations

Les agences d'espionnage iraniennes accumulent les humiliations
  • Hossein Taeb, chef «intouchable» des services d'espionnage iraniens étroitement lié au Guide suprême, a été brutalement écarté en raison des nombreux échecs cuisants qu’il a essuyés
  • La corruption s'étend jusqu'au sommet de la hiérarchie: le général Ali Nasiri, commandant supérieur des Gardiens de la révolution, a été arrêté pour espionnage au profit d'Israël

Les services de renseignement iraniens ne sont finalement pas si intelligents qu’on pourrait le croire. Hossein Taeb, chef «intouchable» des services d'espionnage iraniens étroitement lié au Guide suprême, a été brutalement écarté en raison des nombreux échecs cuisants qu’il a essuyés.
Fort de pouvoirs immenses et de ressources inimaginables, il était chargé d'écraser les dissidents à l'intérieur du pays et d'éliminer les menaces et les ennuis qui proviennent de l'étranger.
En 2009, Hossein Taeb s'est hissé au plus haut niveau du pouvoir iranien en raison du rôle de premier plan qu’il a joué dans le massacre et la torture de manifestants. Le Corps des gardiens de la révolution islamique fait l'éloge de ces atrocités et les considère comme une grande réussite.
L'incompétence criante de Taeb est apparue ces deux derniers mois lorsque des agents israéliens ont assassiné au moins sept scientifiques nucléaires qui étaient aussi des responsables des services de renseignement. Les assaillants ont opéré au cœur de sites les plus secrets de l'Iran; ils ont surgi d'on ne sait où avant de disparaître. Les médias iraniens ont évoqué des robots assassins, des drones suicide, des assassins cagoulés et des mitrailleuses automatiques. Une partie de ces opérations de sabotage ont été coordonnées à partir de deux pays voisins, l'Azerbaïdjan et le Kurdistan irakien. Les auteurs de ces attaques ont pu recruter un grand nombre d'Iraniens qualifiés et bien placés, parmi lesquelles, probablement, des personnes qui travaillaient sur ces sites. Ils ont même mené deux attaques contre l’emblématique centrale nucléaire de Natanz.
Mais la corruption s'étend jusqu'au sommet de la hiérarchie: le général Ali Nasiri, commandant supérieur des Gardiens de la révolution, a été arrêté pour espionnage au profit d'Israël. Plusieurs dizaines d'employés qui travaillent dans le cadre du programme de développement des missiles du ministère de la Défense sont soupçonnés d'avoir divulgué aux Israéliens des informations militaires classifiées, notamment des modèles de missiles.
L'ingénieur aérospatial Ayoub Entezari a été empoisonné lors d'un dîner. On n'a pas revu l'hôte de la soirée depuis lors. La mort du «martyr» Entezari a été dénoncée dans un premier temps comme un acte de «terreur biologique». Les médias iraniens se sont empressés de changer de discours, rejetant l'hypothèse d'un acte criminel ou même le fait qu'Entezari occupait un poste important. Ils cherchaient ainsi, de toute évidence, à dissimuler la gravité de l'erreur commise par les services de renseignements. La même erreur qui se répète!
Chaque semaine, on entend parler d'explosions mystérieuses, d'assassinats et de piratage d'infrastructures vitales. Ainsi, une cyberattaque a visé la semaine dernière trois usines sidérurgiques en Iran; ces dernières fournissent des armes aux Gardiens de la révolution.
L'ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett s'est félicité de la «doctrine de la pieuvre» qu'il applique: il vise directement la tête plutôt que les tentacules. Malheureusement, même si elles sapent le moral du régime, ces attaques sont insignifiantes. Pour freiner le programme nucléaire de l'Iran et les activités de ses armées paramilitaires transnationales, Israël devra impérativement décapiter le régime iranien.
Pendant ce temps, cette pieuvre délirante se déchaîne. Elle menace de se venger, sans vraiment y parvenir. Vous vous souvenez sans doute des menaces de «vengeance divine» pour l'assassinat de Qassim Soleimani et d'Abou-Mehdi al-Muhandis en 2020 ou de la promesse de venger l'assassinat du chef de l’ingénieur nucléaire Mohsen Fakhrizadeh.

 

La République islamique est une bombe à retardement prête à exploser sous le poids des échecs qu’elle accumule. Le moment est venu pour les puissances régionales d'allumer la mèche et de faire taire ce démon pour toujours.

Baria Alamuddin

Taeb a cherché à venger le meurtre du colonel Sayyad Khodaï, le commandant adjoint d'une unité secrète des Gardiens de la révolution. Il a envoyé ses gorilles en Turquie pour assassiner des diplomates et des touristes israéliens. Israël a toutefois prévenu Ankara du complot qui avait été déjoué. Le même type d'opération semble avoir été prévu en Égypte. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a fait savoir qu'Ankara ne tolérerait aucune attaque terroriste sur son sol. Cette déclaration montre que ces opérations bâclées rapprochent la Turquie des pays hostiles à l'Iran, dont l'alliance se resserre.
À travers ses positions fermes et ses nouvelles exigences farfelues, l'Iran compromet la relance de l'accord sur le nucléaire iranien. Par ailleurs, les parties prenantes ont peu d'espoir de parvenir à un accord. Elles craignent cependant les conséquences qu'engendrerait le fait d'admettre que les négociations se sont soldées par un échec.
À en croire les responsables américains, la perspective d'un pacte de défense de portée régionale a considérablement dissuadé l'Iran. En effet, Israël a accepté de livrer des systèmes de défense aérienne sophistiqués, des radars et des technologies informatiques à ses nouveaux alliés. Les États-Unis, quant à eux, invitent l'Égypte et la Jordanie à consolider leurs relations avec Israël en matière de sécurité. Enfin, la possibilité qu'Israël et l'Arabie saoudite se joignent à cette alliance pourrait changer la donne.
Cette appréhension explique sans aucun doute les tentatives récemment entreprises par Téhéran pour se rapprocher de Riyad. Les responsables saoudiens ont bien raison de se méfier des paroles de l'Iran. Ils ne se trompent pas en revendiquant des actions de désescalade plutôt que des paroles en l'air. Le soutien exprimé récemment par le président iranien en faveur d'un cessez-le-feu au Yémen pourrait constituer une avancée dans cette voie.
Face à cette inertie, l'Iran choisit de faire pression dans d'autres régions. Il a notamment tenté de prendre le contrôle du gouvernement irakien et a amené le Hezbollah à lancer trois drones qu'Israël a abattus non loin d'un champ gazier israélien revendiqué par le Liban.
«La région est en pleine évolution et les alliances changent... Il s'agit de menaces importantes qui méritent d'être déjouées», a confié d'un ton nerveux un haut responsable iranien à Reuters. Un autre a toutefois fait remarquer: «Notre programme nucléaire fait des avancées tous les jours. Le temps joue en notre faveur.»
Il est probable que les Gardiens de la révolution ne soient pas favorables à une relance de l'accord sur le nucléaire. Les sanctions ont entraîné un effet paradoxal: ils acheminent la plus grande partie du pétrole en contrebande via leurs vastes conglomérats économiques et réalisent des profits colossaux en raison de la flambée des prix. La plupart de leurs recettes ne proviennent pas du budget officiel du gouvernement. Ce scénario ne serait pas tenable si l'accord était relancé. Cela explique pourquoi les Gardiens dénoncent sciemment la levée des sanctions imposées à leur empire économique, Khatam al-Anbiya.
Pendant ce temps, l'Iran se décompose de l'intérieur. Des protestations et des grèves antigouvernementales majeures ont éclaté le mois dernier dans l’ensemble du pays. Les retraités ont manifesté pour protester contre la suppression de leurs pensions en raison de l'inflation galopante qui découle des politiques incompétentes du régime. La monnaie a chuté de 25% en quatre mois.
Le pire ennemi de la République islamique, c'est le régime lui-même. Ce dragon ne peut être vaincu que par un effondrement interne: les Iraniens haïssent le régime et le pays est composé en grande partie d'un amalgame de minorités opprimées qui ne tarderont pas à s'unir pour évincer les ayatollahs méprisés.
Les puissances régionales ont raison d'investir dans une alliance de défense pour parer à l'expansionnisme iranien; la seule chose que l’on peut regretter est que cette alliance ait pris quarante ans pour prendre forme.
Pour mettre fin à cette malveillance, il convient toutefois de lancer une action ciblée à l'intérieur même de l'Iran en misant sur l'incompétence, la mauvaise gouvernance et le sentiment de haine envers les ayatollahs.
La République islamique est une bombe à retardement prête à exploser sous le poids des échecs qu’elle accumule. Le moment est venu pour les puissances régionales d'allumer la mèche et de faire taire ce démon pour toujours.
Baria Alamuddin, présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni, est une journaliste plusieurs fois primée. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com