Pour former une version moyen-orientale de l'Otan, les rivaux doivent mettre leurs différends de côté

Photo: Reuters
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Publié le Mercredi 29 juin 2022

Pour former une version moyen-orientale de l'Otan, les rivaux doivent mettre leurs différends de côté

Pour former une version moyen-orientale de l'Otan, les rivaux doivent mettre leurs différends de côté
  • La Ligue arabe, fragmentée, ne fournit pas le soutien dont la Jordanie et ses voisins ont besoin
  • Amman a besoin d'une alliance susceptible de garantir sa sécurité face aux ambitions hégémoniques de l'Iran et à la réticence des États-Unis

La Force jordanienne de déploiement rapide collabore depuis des années avec la Force de réaction de l'Otan. Que ce soit dans les Balkans, en Afghanistan ou, plus récemment, en Libye, elle a pris part à des opérations de lutte contre le terrorisme et de maintien de la paix. De son côté, l'Otan fournit à la Jordanie une formation et un soutien logistique dans tous les domaines, en veillant à la sécurité des frontières de ce pays et en lui fournissant des équipements pendant la pandémie.
Partenaire fiable, la Jordanie offre à l'alliance un pied à terre important dans une région perturbée. Toutefois, la Jordanie, qui dispose de peu de ressources et dépend de l'aide, paie très cher ce rôle sans avoir de réelles perspectives d'adhésion à l'Otan. En effet, Amman se soucie de plus en plus de sa sécurité et les États-Unis se désengagent toujours plus de la région. Il n'est donc pas surprenant que le roi de Jordanie ait appelé la semaine dernière à une «version moyen-orientale de l’Otan» afin de contrer les menaces asymétriques qui planent sur la région.
Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a salué le mois dernier la coopération de l’organisation avec la Jordanie. Il a affirmé que ce pays «contribue à la stabilité dans la région», ajoutant: «La Jordanie est un ami de longue date, un ami fidèle et précieux de l'Alliance.» Ses propos faisaient notamment référence au rôle immense que joue Amman dans le maintien de la paix dans le monde.
En 1996, les États-Unis ont déclaré que la Jordanie était un allié majeur parmi les nations non membres de l’organisation. Depuis, ce pays participe au Dialogue méditerranéen de l’Otan, déploie ses troupes pour soutenir celles de l'alliance et accueille sur son territoire des exercices militaires conjoints.
L’Initiative de renforcement des capacités de défense Otan-Jordanie, lancée en 2018, vise à récompenser ces efforts; elle fournit à la Jordanie les moyens et les ressources nécessaires à la gestion des crises, tout en l'aidant à développer ses forces armées. Si les dirigeants jordaniens se félicitent de cette avancée, ils estiment néanmoins qu'il faut en faire davantage.
L'ancienne coopération entre la Jordanie et l'Occident – indispensable à la pérennité de ce jeune État – a parfois donné lieu à des controverses. La Jordanie a amorti les retombées de la crise palestinienne pendant des dizaines d'années; cela a compromis son propre développement et sa sécurité.
Dans un passé récent, la Jordanie a servi de sanctuaire aux personnes déplacées dans la région. Près de 150 000 Irakiens et quelque 650 000 Syriens ont été accueillis par ce pays, qui compte près de 10 millions d'habitants. Cependant, les retombées des conflits dans les pays susmentionnés sont loin d'être purement humanitaires. Le terrorisme qui les accompagne amène la Jordanie à combattre l'extrémisme depuis des décennies et à jouer un rôle clé dans la coalition anti-Daech.
La Jordanie entretient des relations solides avec les États-Unis et la Russie, mais également avec les pays arabes voisins. Elle s'efforce de résoudre les problèmes régionaux en coopérant avec toutes ces parties. Toutefois, le soutien des États-Unis et des pays du Golfe s'amenuise progressivement, ce qui met Amman à rude épreuve.
À deux occasions, le roi Abdallah s'est rendu à Washington pour demander aux États-Unis de réaffirmer leur soutien à son pays. Toutefois, l'administration Biden ne semble pas s'intéresser aux récents affrontements à Jérusalem, à la crise syrienne non résolue ni aux menaces qui pèsent sur la sécurité alimentaire. La Jordanie a donc raison de chercher à coopérer avec les organes régionaux.
La Ligue arabe, fragmentée, ne fournit pas le soutien dont la Jordanie et ses voisins ont besoin. L’union éphémère formée à la fin des années 1950 entre l’Irak et la Jordanie, en l'occurrence la Fédération arabe hachémite, a duré moins d'un an. En dépit de son désir de s'appuyer sur un allié militaire compétent dans la région, l'Otan n'offrira jamais à la Jordanie la protection dont elle a besoin. Les États du Golfe et l'Égypte se trouvent dans la même situation délicate.

En dépit de son désir de s'appuyer sur un allié militaire compétent dans la région, l'Otan n'offrira jamais à la Jordanie la protection dont elle a besoin.

Zaid M. Belbagi

Amman a besoin d'une alliance susceptible de garantir sa sécurité face aux ambitions hégémoniques de l'Iran et à la réticence des États-Unis. La Russie ne peut promettre de tisser des liens aussi profonds que ceux qu'entretient Washington avec la Jordanie. Elle ne peut en outre jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale, et les relations qu'elle entretient avec la Chine restent confinées aux échanges commerciaux. La sécurité dans la région va de mal en pis et les ressources naturelles perdent de leur importance géopolitique. Cette situation requiert de toute urgence une coopération entre les pays.
Avec l'Iran et Israël, la Jordanie conserve des relations froides, mais fonctionnelles. Elle a en outre maintenu des contacts avec le régime syrien tout en mettant son territoire à la disposition des rebelles et des opérations anti-Assad à la fois. Lorsque la Jordanie invoque une alliance de nations qui partagent les mêmes idées, la forme que prendrait un tel regroupement est peu explicite. Lorsqu’il déclare qu’il «invite les autres pays de la région à rejoindre cette alliance», le roi Abdallah projette sans doute de réunir les anciens ennemis et rivaux pour assurer la sécurité collective de la région, comme le fait l'Otan.
Une telle alliance ne peut fonctionner que si elle est globale, à l'instar de la Conférence de Bagdad pour la coopération et le partenariat, qui a réuni l'année dernière l'Iran et l'Arabie saoudite. La semaine dernière, le roi a qualifié la déstabilisation iranienne et la crise israélo-palestinienne persistante de «facteurs de perturbation».
De toute évidence, il est impossible de former une coalition moyen-orientale tant que les principales failles perdurent dans la région. Ennemis de longue date, l'Allemagne et la France, la Turquie et la Grèce font pourtant front commun au sein de l'Otan.


Zaid M. Belbagi, commentateur politique, est conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com