La Turquie a récemment annoncé qu’elle n’approuverait pas les candidatures de la Suède et de la Finlande pour rejoindre l’alliance militaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan).
De retour d’une visite en Azerbaïdjan, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a déclaré: «Tant que Tayyip Erdogan sera à la tête de la Turquie, nous ne pourrons jamais dire oui à l’adhésion à l’Otan de pays qui soutiennent le terrorisme.»
À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les deux pays nordiques ont exprimé leur souhait de rejoindre l’Otan pour des raisons de sécurité nationale.
La Turquie, membre de l’Otan, a menacé de mettre son veto à ces adhésions, invoquant l’échec de Stockholm et de Helsinki à répondre positivement aux demandes d’extradition de personnes qu’Ankara considère comme étant affiliées à des organisations terroristes kurdes.
La Turquie a également protesté contre ce qu’elle prétend être l’accueil de groupes militants kurdes par les deux nations et les sanctions suédoises imposées aux armes d’Ankara en lien avec ses opérations militaires en Syrie.
Selon les médias turcs, Ankara devrait capitaliser sur la situation du moment en matière d’adhésion à l’Otan, à la suite des précédentes occasions manquées impliquant la Grèce et la France.
En 1974, lorsque les Grecs se sont retirés du commandement militaire de l’Otan en raison des opérations militaires turques à Chypre, les États-Unis ont utilisé leur influence pour persuader Ankara de s’abstenir de poser son veto au retour de la Grèce – une décision que les Turcs ont depuis regrettée.
Le commandant suprême des forces alliées de l’Otan en Europe, le général Bernard Rogers, avait promis d’aider à résoudre la question litigieuse de la délimitation du commandement et du contrôle de la mer Égée et de l’espace aérien qui la surplombe, mais la Grèce a refusé de participer aux pourparlers.
Sur une question distincte, après l’éclatement de la Yougoslavie au début des années 1990, la Grèce s’est opposée à l'utilisation du nom de «Macédoine» pour qualifier le nouveau pays indépendant, proposant, au lieu de cela, l’«ex-République yougoslave de Macédoine». Dix années de négociations ont suivi, au cours desquelles Athènes a mis son veto à l’adhésion de la Macédoine à l’Union européenne (UE) jusqu’à ce que cette dernière accepte de changer son nom en «Macédoine du Nord».
La Turquie estime à présent que ses raisons de s’opposer à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan sont bien plus importantes et justifiées que les préoccupations macédoniennes de la Grèce.
La Turquie a raté une occasion similaire de poser son veto lorsque la France a voulu réintégrer la branche militaire de l’Otan.
À la fin des années 1960, le président français de l’époque, Charles de Gaulle, s’est brouillé avec les États-Unis au sujet de leur mainmise sur l’Otan et il a retiré son pays de la structure de commandement militaire intégrée de l’organisation. Lorsque la France a décidé de revenir dans le giron de l’Otan en 2009, la Turquie a de nouveau gardé le silence, même si les Français se sont fermement opposés à l’adhésion de la Turquie à l’UE. Le gouvernement turc regrette désormais de ne pas avoir négocié d’accord avec la France en échange du retrait de Paris de son opposition à l’adhésion d’Ankara à l’UE.
Aujourd’hui, cependant, le président Erdogan reste ferme et il exige des garanties écrites que la Suède et, dans une moindre mesure, la Finlande, mettent fin à leur soutien au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Mais en annonçant qu’elle pourrait mener de nouvelles opérations militaires en Syrie, la Turquie complique de plus en plus la situation. Une telle décision coïnciderait avec le fait que la Russie ait déjà commencé à retirer certaines de ses troupes de Syrie. Ces dernières sont remplacées par les forces iraniennes dans certaines zones. Cela aura des répercussions pour Israël, dont les forces de défense ont principalement concentré leurs attaques sur des cibles iraniennes opérant sur le territoire syrien.
«La Suède et la Finlande doivent ménager les susceptibilités de la Turquie tandis qu’Ankara doit tenir compte de leurs contraintes, faute de quoi toutes les parties seront perdantes.» - Yasar Yakis
Les pays de l’Otan auront à cœur de persuader la Turquie de changer d’avis quant à sa position vis-à-vis de la Suède et de la Finlande. Au pire, l’organisation pourrait trouver des moyens de marginaliser Ankara au sein de l’alliance en organisant des réunions en privé, en ne l’invitant pas aux pourparlers et en débattant de ces questions en son absence.
Devlet Bahceli, président du Parti d’extrême droite d’action nationaliste de Turquie – partenaire officieux de la coalition du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir – déclare: «La Turquie n’est pas à court d’options. Même l’idée de quitter l’Otan devrait être envisagée si les circonstances devenaient inextricables. Nous n’existons pas grâce à l’Otan; nous ne périrons pas sans l’Otan.»
La perspective du retrait de l’Otan d’un pays de la taille de la Turquie, compte tenu notamment de sa situation géographique stratégique, aurait de graves conséquences pour l’alliance, en particulier au moment où l’architecture de défense de l’Europe devrait prendre une nouvelle forme.
Bien que Moscou pourrait se réjouir de voir Ankara quitter l’Otan, ni la Turquie ni l’Otan ne devraient sérieusement envisager cette option.
À la lumière de ces données, la meilleure solution serait de résoudre le problème par la négociation. La Suède et la Finlande doivent ménager les susceptibilités de la Turquie tandis qu’Ankara doit tenir compte de leurs contraintes, faute de quoi toutes les parties seront perdantes.
Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.
Twitter: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com