France: la démocratie de compromis

Julien Bayou, secrétaire national du parti écologiste Europe-Ecologie Les Verts (EELV) et député, part après des entretiens avec le président français Emmanuel Macron à l'Elysée, à Paris, le 22 juin 2022, trois jours après les législatives françaises. GONZALO FUENTES / POOL / AFP
Julien Bayou, secrétaire national du parti écologiste Europe-Ecologie Les Verts (EELV) et député, part après des entretiens avec le président français Emmanuel Macron à l'Elysée, à Paris, le 22 juin 2022, trois jours après les législatives françaises. GONZALO FUENTES / POOL / AFP
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Publié le Lundi 27 juin 2022

France: la démocratie de compromis

France: la démocratie de compromis
  • En France, le second tour des élections législatives a accouché d'une configuration parlementaire inédite sous le régime de la Cinquième République
  • Le président réélu ne peut appliquer le programme pour lequel il a été investi puisqu’il n’a pas obtenu la majorité absolue dans l'hémicycle parlementaire

En France, le second tour des élections législatives a accouché d'une configuration parlementaire inédite sous le régime de la Cinquième République. Trois pôles politiques se partagent désormais l'Assemblée nationale: la majorité relative acquise au président Macron, la nouvelle union de la gauche, sous la houlette de Jean-Luc Mélenchon, et l'extrême droite, qui, cette fois, est parvenue à devenir le deuxième parti politique de la France.
Dans la mesure où le système présidentialiste français n'était pas préparé à cette tournure plutôt adaptée aux modèles politiques parlementaires, il se trouve aujourd'hui face à un véritable dilemme.
En effet, le président réélu, Emmanuel Macron, ne peut appliquer le programme pour lequel il a été investi puisqu’il n’a pas obtenu la majorité absolue dans l'hémicycle parlementaire. Il se voit ainsi contraint de partager le pouvoir avec des forces antinomiques et très différentes de sa lignée politique.
Cette position contraignante impose au président Macron le recours à des compromis permanents s’il souhaite mener à bien les réformes et exécuter les décisions qu’il a promises.

Dans le modèle républicain français, le président de la république est l'incarnation visible de la nation, selon l'expression même de la Constitution.


Et si cette situation conflictuelle était, au fond, le contexte idéal de la pratique démocratique dans ses caractéristiques pluralistes et antagoniques?
La tradition républicaine française instituée depuis la révolution met l'accent sur le concept de participation et sur les modalités de l'intégration citoyenne. Elle présuppose de ce fait un régime vertical fort au détriment de la dynamique conflictuelle du jeu politique dans une conjoncture de liberté de conscience et d'action qui est la spécificité des sociétés libérales ouvertes.
Dans le modèle républicain français, le président de la république est l'incarnation visible de la nation, selon l'expression même de la Constitution. Dans les périodes de cohabitation imposées par l'émergence d'une majorité parlementaire absolue issue des rangs de l'opposition, les institutions apparaissent comme paralysées et deviennent inopérantes.
Au mois d’octobre 2000, une réforme constitutionnelle a pallié cette défaillance institutionnelle en introduisant le système quinquennal, qui rend presque concomitantes les élections présidentielles et législatives: en principe, le président élu doit acquérir une assise parlementaire assez solide pour mettre en œuvre son projet politique sans entraves. Mais si ce schéma a prévalu depuis 2002, il ne fonctionne plus aujourd'hui.
Contrarié, le président Macron s'attache à arracher un compromis bénéfique avec les différentes composantes du champ politique représentées dans l'Assemblée nationale.

D’illustres voix intellectuelles et politiques ont même considéré que le dernier séisme électoral qui s’est produit en France présente un aspect positif: le passage forcé d'une démocratie autoritaire à une démocratie libérale qui a toujours fait défaut dans l'Hexagone.


Cette situation, quoique inédite en France, est la règle d'usage dans les démocraties parlementaires européennes. Dix-neuf des vingt-sept États membres de l'Union européenne sont aujourd'hui gouvernés par des coalitions majoritaires et minoritaires d'obédiences parfois très disparates.
Le modèle allemand, souvent vanté pour sa stabilité et ses performances, se présente actuellement comme un idéal à suivre pour la France, sommée de réformer profondément un système politique à bout de souffle.
D’illustres voix intellectuelles et politiques ont même considéré que le dernier séisme électoral qui s’est produit en France présente un aspect positif: le passage forcé d'une démocratie autoritaire à une démocratie libérale qui a toujours fait défaut dans l'Hexagone.
La démocratie libérale est une pensée conceptualisée par toute une tradition philosophique, de Hobbes à John Rawls. Elle reconnaît et valorise la pluralité, l'adversité et la conflictualité comme des dimensions inaliénables du phénomène politique moderne. Le paradigme contractuel (le pacte social civique) a longtemps été utilisé pour cerner le mode de régulation normative et procédurale de la pluralité démocratique.
S'il a souffert, selon des critiques récurrentes, du défi de l'intégration consensuelle à la base dans les entités nationales solidaires, il n'en demeure pas moins le cadre adéquat pour penser le compromis dans des contextes pluralistes.
John Rawls a reformulé ce paradigme sous la notion de «consensus par recoupement» («overlapping consensus»), qui est le credo minimal entretenu dans une société constituée de subjectivités libres et raisonnables.
Les démocraties sont donc des régimes qui maintiennent le pluralisme conflictuel apaisé au sein même de la configuration politique instituée. Paul Ricœur, philosophe de référence pour le président Macron, affirmait: «Est démocratique un État qui ne se propose pas d’éliminer les conflits, mais d’inventer les procédures leur permettant de s’exprimer et de rester négociables.»
Cette injonction déterminera à coup sûr la démarche suivie par le président Macron, qui aura pour tâche majeure de maîtriser le passage, devenu inéluctable en France, à la démocratie de compromis.

Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.

TWITTER: @seyidbah

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français