Le sacre de Macron détruit par les élections législatives en France

Le président français Emmanuel Macron donne une conférence de presse au bâtiment du Conseil européen à Bruxelles le 24 juin 2022 (Photo, AFP).
Le président français Emmanuel Macron donne une conférence de presse au bâtiment du Conseil européen à Bruxelles le 24 juin 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Dimanche 26 juin 2022

Le sacre de Macron détruit par les élections législatives en France

Le sacre de Macron détruit par les élections législatives en France
  • Les Français ont une fois de plus confirmé un soupçon plus général : ils votent pour Macron uniquement par manque d’alternatives
  • Les Français voulaient que leur chef vaniteux soit rabaissé d’un cran pour son arrogance

En tant qu’historien, j’ai toujours trouvé la fin du magnifique poème de Percy Shelley «Ozymandias » terriblement émouvante, puisqu’elle montre clairement que tout a une fin :

« Et sur le piédestal apparaissent ces mots :
« Je suis Ozymandias, Roi des Rois. 

Contemplez mon œuvre, ô puissants, et désespérez ! »

Auprès, rien ne demeure. Autour des ruines 
De cette colossale épave, infinis et nus,
Les sables monotones et solitaires s’étendent au loin. »

Personne ne se souvient, même vaguement, de qui était autrefois le grand Ozymandias. C’est bien là où je voulais en venir : la renommée est éphémère.

Cela ferait un bien fou à Emmanuel Macron, le président français récemment réélu, de se lancer dans l’étude du fatalisme qui caractérise la poésie du XIXe siècle. Il s’agit en effet d’une qualité dont le jeune et impérieux Macron aura bien besoin dans son second mandat. Ignorant la tradition électorale française selon laquelle les présidents nouvellement élus disposent d’un parlement docile et favorable aux partis, les Français ont une fois de plus confirmé un soupçon plus général : ils votent pour Macron uniquement par manque d’alternatives. 

Le vote du deuxième tour de ce mois-ci a accordé aux partisans de Macron 245 sièges au parlement ; 131 sièges aux forces de gauche de Jean-Luc Mélenchon, 89 sièges au camp d’extrême droite de Marine Le Pen, et 61 pour les vieux républicains gaullistes se remettant de leur désastreuse présidentielle. Étant donné que 289 sièges sont requis pour une majorité claire, on a privé le parti de Macron de la tranquillité pour son deuxième mandat. 

Trois points majeurs ressortent de ce résultat fascinant. Tout d’abord, il faut tenir compte des aspects politiques de ce qui vient de se passer. Une fois de plus, Macron a été puni par les Français pour son arrogance. Il s’est laissé aller et a tenu pour acquis sa confortable victoire sur Le Pen, 59-41%. Il a d’ailleurs préféré faire le tour du monde et rencontrer par exemple le président Volodymyr Zelensky à Kyiv. 

Les Français ont une fois de plus confirmé un soupçon plus général : ils votent pour Macron uniquement par manque d’alternatives. 

 

Dr. John C. Hulsman

Mais pour le dire simplement, cela ne donne pas une bonne image du leader « jupitérien » (son appellation, pas la mienne), faisant le jeu du narratif de l’extrême gauche comme de l’extrême droite : selon ces derniers, Macron se soucie beaucoup plus de la gloire de la politique étrangère que des besoins du peuple français face à la crise du coût de la vie qui touche l’Occident. Autrement dit, les Français voulaient que leur chef vaniteux soit rabaissé d’un cran pour son arrogance.

Il faut admettre que ce vieux tison de Mélenchon a réussi à unifier la gauche historiquement déchirée en une coalition parlementaire cohérente. En effet, en termes de pourcentage, la gauche a fait à peu près aussi bien que d’habitude. Or, vu que cette fois il n’y a pas eu d’opposition suicidaire entre les divers candidats de gauche, son taux global de réussite était bien meilleur. Alors qu’il voyait s’éloigner son utopique rêve de remporter les législatives, Mélenchon ainterdit à Macron, son ennemi juré, de gagner la majorité absolue. D’où la question suivante : la gauche peut-elle fonctionner en tant qu’opposition disciplinée et cohérente ou va-t-elle s’effondrer une fois de plus, comme elle l’a si souvent fait depuis l’époque de Robespierre, Danton et Desmoulins ? Mélenchon, ivre de sa victoire, a une tâche herculéenne devant lui. 

Cependant, le plus grand gagnant de la soirée a peut-être été le Rassemblement National, le parti d’extrême droite de Le Pen. Plus disciplinés et concentrés que leurs rivaux d’extrême gauche à l’opposé de l’échiquier politique, les députés de Le Pen sont passés d’un petit 8 à un impressionnant 89. Cette ascension étant loin d’être terminée, les récentes élections présidentielles et parlementaires représentent les meilleurs résultats électoraux de l’extrêmedroite jusqu’à ce jour. Celle-ci restera donc une force politique importante pour les années àvenir. 

Deuxièmement, à court terme, ces résultats apparemment sismiques auront néanmoins peu de sens au niveau politique. Encore une fois, la Ve République monarchique française permet au président d’être le maître incontesté des affaires étrangères, quels que soient les résultats parlementaires. Même en termes de politique intérieure, Macron envoie des signaux de paix aux gaullistes du centre-droit qui – bien qu’il soit peu probable qu’ils rejoignent les centristes de Macron dans une coalition formelle – ont déclaré qu’ils soutiendraient l’administration française, une fois d’accord avec elle. La réforme majeure de Macron en politique intérieure, relever l’âge de la retraite de 62 à 65 ans afin de refléter la réalité démographique et économique, a donc encore des chances de passer grâce à cet arrangement informel.

Cependant, il y a un troisième et dernier avertissement Ozymandien que Macron ferait bien de prendre en considération.  Le Président français devrait fermer les écoutilles alors qu’une énorme tempête de risques politiques est sur le point d’éclater. Il a en effet peu de contrôle sur la crise croissante du taux d’inflation/coût de la vie qui impacte la population, des événements en Ukraine ou la question de savoir si les Allemands vont se ressaisir et aider Paris à forger une UE plus efficace. 

Dans tous les cas, il est petit joueur et sera blâmé par son peuple si les choses tournent mal. Les jours de Macron en tant que grand Ozymandias touchent déjà à leur fin. 

• John C. Hulsman est le président et le directeur de l’Entreprise John C. Hulsman, une société mondiale de conseil en matière de risques politiques. Il est également éditorialistepour City AM, le journal de Londres. Il peut être contacté via johnhulsman.substack.com.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.